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Votre Excellence a-t-elle des ordres me donner? dit-il.

Aucun ordre, Fritz.

Votre Excellence, continua Fritz en balbutiant.

Et bien? demanda Balsamo avec une douceur infinie.

Votre Excellence se rend-elle prs deux sans armes?

Sans armes, oui.

Mme sans votre pe?

Et pourquoi prendrais-je mon pe, Fritz?

Mais je ne sais, dit le fidle serviteur en baissant les yeux; je pensais, je croyais, javais peur

Cest bien, retirez-vous, Fritz.

Fritz fit quelques pas pour obir et revint.

Navez-vous pas entendu? demanda Balsamo.

Excellence, je voulais vous dire que vos pistolets deux coups sont dans le coffret dbne, sur le guridon dor.

Allez, vous dis-je, rpondit Balsamo.

Et il entra dans le salon.

Chapitre 133. Le jugement

Fritz avait bien raison, les htes de Balsamo ntaient pas entrs rue Saint-Claude avec un appareil pacifique, pas plus quavec un extrieur bienveillant.

Cinq hommes cheval escortaient la voiture de voyage dans laquelle les matres taient venus; cinq hommes de mine altire et sombre, arms jusquaux dents, avaient referm la porte de la rue et la gardaient, tout en paraissant attendre leurs matres.

Un cocher, deux laquais, sur le sige de ce carrosse, tenaient sous leur manteau des couteaux de chasse et des mousquetons. Ctait bien plutt pour une expdition que pour une visite que tout ce monde tait venu rue Saint Claude.

Aussi cette invasion nocturne de gens terribles que Fritz avait reconnus, cette prise dassaut de lhtel avait-elle impos tout dabord lAllemand une terreur indicible. Il avait essay de refuser lentre tout le monde, lorsquil avait vu par le guichet lescorte et devin les armes; mais ces signes tout-puissants, irrsistible tmoignage du droit des arrivants, ne lui avaient plus permis de contester. peine matres de la place, les trangers staient posts, comme dhabiles capitaines, chaque issue de la maison, sans prendre la peine de dissimuler leurs intentions malveillantes.

Les prtendus valets dans la cour et dans les passages, les prtendus matres dans le salon, ne prsageaient rien de bon Fritz: voil pourquoi il avait bris la sonnette.

Balsamo, sans stonner, sans se prparer, entra dans le salon, que Fritz, pour faire honneur comme il le devait tout visiteur, avait clair convenablement.

Il vit assis sur des fauteuils les cinq visiteurs dont pas un ne se leva quand il parut.

Lui, le matre du logis, les ayant vus tous, les salua civilement.

Ce fut alors seulement quils se levrent et lui rendirent gravement son salut.

Il prit un fauteuil en face des leurs, sans remarquer ou sans paratre remarquer ltrange ordonnance de cette assistance. En effet, les cinq fauteuils formaient un hmicycle pareil ceux des tribunaux antiques, avec un prsident dominant deux assesseurs, et son fauteuil lui, Balsamo, tabli en face de celui du prsident, occupant la place quon donne laccus dans les conciles ou les prtoires.

Balsamo ne prit pas le premier la parole, comme il let fait en toute autre circonstance; il regardait sans bien voir, toujours par suite de cette douloureuse somnolence qui lui tait reste aprs le choc.

Tu nous as compris, ce quil parat, frre, dit le prsident, ou plutt celui qui occupait le fauteuil du milieu. Tu as cependant bien tard venir, et nous dlibrions dj pour savoir si lon enverrait ta recherche.

Je ne vous comprends pas, rpondit simplement Balsamo.

Ce nest pas ce que javais cru en te voyant prendre vis--vis de nous la place et lattitude de laccus.

De laccus? balbutia vaguement Balsamo.

Et il haussa les paules.

Je ne comprends pas, dit-il.

Nous allons te faire comprendre, et cela ne sera pas difficile, si jen crois ton front ple, tes yeux teints, ta voix qui tremble On dirait que tu nentends pas.

Si fait, jentends, rpondit Balsamo en secouant la tte comme pour en faire tomber des penses qui lobsdaient.

Te souvient-il, frre, continua le prsident, que, dans ses dernires communications, le comit suprieur tait donn avis dune trahison mdite par un des grands appuis de lordre?

Peut-tre oui je ne dis pas non.

Tu rponds comme il convient une conscience tumultueuse et trouble; mais remets-toi ne te laisse point abattre; rponds avec la clart, la prcision que te commande une position terrible; rponds-moi daprs cette certitude que tu peux nous convaincre, car nous napportons ici ni prventions ni haine; nous sommes la loi: elle ne parle quaprs que le juge a cout.

Balsamo ne rpliqua rien.

Je te le rpte, Balsamo, et mon avertissement une fois donn sera comme lavis que se donnent des combattants avant de sattaquer lun lautre; je vais tattaquer avec des armes loyales mais puissantes; dfends toi.

Les assistants, voyant le flegme et limmobilit de Balsamo, se regardrent non sans tonnement, puis reportrent leurs yeux sur le prsident.

Tu mas entendu, nest-ce pas, Balsamo? rpta ce dernier.

Balsamo fit de la tte un signe affirmatif.

Jai donc, en frre plein de loyaut, de bienveillance, averti ton esprit et fait pressentir le but de mon interrogatoire. Tu es averti; garde-toi, je recommence.

Aprs cet avertissement, continua le prsident, lassociation dlgua cinq de ses membres pour surveiller Paris les dmarches de celui quon nous signalait comme un tratre.

Or, nos rvlations nous ne sont pas sujettes lerreur; nous les tenons ordinairement, tu le sais toi-mme, soit dagents dvous parmi les hommes, soit dindices certains parmi les choses, soit de symptmes et de signes infaillibles parmi les mystrieuses combinaisons que la nature na encore rvles qu nous. Or, lun de nous avait eu sa vision par rapport toi; nous savons quil ne sest jamais tromp; nous nous sommes tenus sur nos gardes, et nous tavons surveill.

Balsamo couta le tout sans donner la moindre marque dimpatience ou mme dintelligence. Le prsident continua:

Ce ntait pas chose aise que de surveiller un homme tel que toi; tu entres partout, ta mission est de prendre pied partout o nos ennemis ont une maison, un pouvoir quelconque. Tu as ta disposition toutes tes ressources naturelles, qui sont immenses, celles que lassociation te donne pour faire triompher sa cause. Longtemps nous avons flott dans le doute en voyant venir chez toi des ennemis tels quun Richelieu, une du Barry, un Rohan. Il y avait eu, dailleurs, dans la dernire assemble de la rue Pltrire, un discours prononc par toi, discours plein dhabiles paradoxes qui nous ont laiss croire que tu jouais un rle en flattant, en frquentant cette race incorrigible quil sagit dextirper de la terre. Nous avons respect pendant un temps les mystres de ta conduite, esprant un heureux rsultat; mais enfin la dsillusion est arrive.

Balsamo conserva son immobilit, son impassibilit, de sorte que le prsident se laissa gagner par limpatience.

Il y a trois jours, dit-il, cinq lettres de cachet furent expdies. Elles avaient t demandes au roi par M. de Sartine; remplies aussitt quelles furent signes, elles furent prsentes, le mme jour, cinq de nos principaux agents, frres trs fidles, trs dvous, qui habitent Paris. Tous cinq furent arrts et conduits, deux la Bastille, o ils sont crous au plus profond secret; deux Vincennes, dans loubliette; un Bictre, dans le plus mortel des cabanons. Connaissais-tu cette particularit?

Non, dit Balsamo.

Cela est trange, daprs les relations que nous te connaissons avec les puissants du royaume. Mais ce qui est plus trange encore, le voici.

Balsamo couta.

M. de Sartine, pour faire arrter ces cinq fidles amis, devait avoir eu sous les yeux la seule note qui renferme lisiblement les cinq noms des victimes. Cette note ta t adresse par le conseil suprme en 1769, et cest toi-mme qui as d recevoir les nouveaux membres et leur donner immdiatement le rang que le conseil suprme leur assignait.