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Balsamo tmoigna par un geste quil ne se rappelait rien.

Je vais aider ta mmoire. Les cinq personnes dont il sagit taient reprsentes par cinq caractres arabes, et les caractres correspondaient, sur la note toi communique, aux noms et aux chiffres des nouveaux frres.

Soit, dit Balsamo.

Tu reconnais?

Ce que vous voudrez.

Le prsident regarda ses assesseurs pour prendre acte de cet aveu.

Eh bien, continua-t-il, sur cette mme note, la seule, entends-tu bien, qui ait pu compromettre les frres, un sixime nom se trouvait; ten souviens tu?

Balsamo ne rpliqua point.

Ce nom tait celui-ci: comte de Fnix!

Daccord, dit Balsamo.

Pourquoi alors, si les cinq noms des frres ont figur sur cinq lettres de cachet, pourquoi le tien, respect, caress, est-il entendu avec faveur la cour ou dans les antichambres des ministres? Si nos frres mritaient la prison, tu la mrites aussi; quas-tu rpondre?

Rien.

Ah! je devine ton objection; tu peux dire que la police a, par des moyens elle, surpris les noms des frres plus obscurs, mais quelle a d respecter le tien, nom dambassadeur, nom dhomme puissant; tu diras mme quelle na pas su souponner ce nom.

Je ne dirai rien du tout.

Ton orgueil survit ton honneur; ces noms, la police ne les a dcouverts quen lisant la note confidentielle que le conseil suprme tavait adresse, et voici comment elle la lue Tu lavais enferme dans un coffret; est-ce vrai?

Un jour, une femme est sortie de chez toi portant le coffret sous son bras; elle a t vue par nos agents de surveillance et suivie jusqu lhtel du lieutenant de police, dans le faubourg Saint-Germain. Nous pouvions arrter le malheur dans sa source; car, en prenant le coffret, en arrtant cette femme, tout devenait pour nous calme et sr. Mais nous avons obi aux articles de la constitution, qui prescrit de respecter les moyens occultes laide desquels certains associs entendent servir la cause, mme lorsque ces moyens auraient une apparence de trahison ou dimprudence.

Balsamo parut approuver cette assertion, mais par un geste si peu marqu, que, sans son immobilit passe, le geste et paru insensible.

Cette femme parvint jusquau lieutenant de police, dit le prsident; cette femme donna le coffret, et tout fut dcouvert. Est-ce vrai?

Parfaitement vrai.

Le prsident se leva.

Qutait cette femme? scria-t-il. Belle, passionne, dvoue toi corps et me, tendrement aime de toi; aussi spirituelle, aussi adroite, aussi souple quun des anges des tnbres qui aident lhomme russir dans le mal; Lorenza Feliciani est ta femme, Balsamo!

Balsamo laissa chapper un rugissement de dsespoir.

Tu es convaincu? dit le prsident.

Concluez, dit Balsamo.

Je nai pas encore achev. Un quart dheure aprs son entre chez le lieutenant de police, tu y entras toi-mme. Elle avait sem la trahison; tu venais rcolter la rcompense. Elle avait pris sur elle, en obissante servante, la perptration du crime; tu venais, toi, lgamment donner un dernier tour luvre infme. Lorenza ressortit seule. Tu la reniais sans doute, et tu ne voulais pas tre compromis en laccompagnant. Toi, tu sortis triomphant avec madame du Barry, appele l pour recueillir de ta bouche les indices que tu voulais te faire payer Tu es mont dans le carrosse de cette prostitue, comme le batelier dans le bateau avec la pcheresse Marie lgyptienne; tu laissais les notes qui nous perdaient chez M. de Sartine, mais tu emportais le coffret qui pouvait te perdre prs de nous. Heureusement, nous avons vu! la lumire de Dieu ne nous manque pas dans les bonnes occasions

Balsamo sinclina sans rien dire.

Maintenant, je puis conclure, ajouta le prsident. Deux coupables ont t signals lordre: une femme, ta complice, qui, peut-tre innocemment, mais qui, de fait, a port prjudice la cause en rvlant un de nos secrets; toi secondement, toi le matre, toi le grand cophte; toi le rayon lumineux qui as eu la lchet de tabriter derrire cette femme pour que lon vt moins clairement la trahison.

Balsamo souleva lentement sa tte ple, attacha sur les commissaires un regard tincelant de tout le feu qui avait couv dans sa poitrine depuis le commencement de linterrogatoire.

Pourquoi accusez-vous cette femme? dit-il.

Ah! nous savons que tu essayeras de la dfendre; nous savons que tu laimes avec idoltrie, que tu la prfres tout. Nous savons quelle est ton trsor de science, de bonheur et de fortune; nous savons quelle est pour toi un instrument plus prcieux que tout le monde.

Vous savez cela? dit Balsamo.

Oui, nous le savons, et nous te frapperons bien plus par elle que par toi.

Achevez

Le prsident se leva.

Voici la sentence: Joseph Balsamo est un tratre; il a manqu ses serments; mais sa science est immense, elle est utile lordre. Balsamo doit vivre pour la cause quil a trahie; il appartient ses frres, bien quil les ait renis.

Ah! ah! dit Balsamo sombre et farouche.

Une prison perptuelle protgera lassociation contre ses nouvelles perfidies, en mme temps quelle permettra aux frres de recueillir de Balsamo lutilit quelle a droit dattendre de chacun de ses membres. Quant Lorenza Feliciani, un chtiment terrible

Attendez, dit Balsamo avec le plus grand calme dans la voix. Vous oubliez que je ne me suis pas dfendu; laccus doit tre entendu dans sa justification Un mot me suffira, un seul document. Attendez-moi une minute, je vais rapporter la preuve que jai promise.

Les commissaires se consultrent un moment.

Oh! vous craignez que je ne me tue? dit Balsamo avec un sourire amer. Si je leusse voulu, ce serait fait. Il y a dans cette bague de quoi vous tuer tous cinq si je louvrais. Vous craignez que je ne menfuie? Faites-moi accompagner si cela vous convient.

Va! dit le prsident.

Balsamo disparut pendant une minute; puis on lentendit redescendre pesamment lescalier; il rentra.

Il tenait sur son paule le cadavre roidi, froid et dcolor de Lorenza, dont la blanche main pendait vers la terre.

Cette femme que jadorais, cette femme qui tait mon trsor, mon bien unique, ma vie, cette femme qui a trahi, comme vous dites, scria-t-il, la voici, prenez-la! Dieu ne vous a pas attendus pour punir, messieurs, ajouta t-il.

Et, par un mouvement prompt comme lclair, il fit glisser le cadavre sur ses bras et lenvoya rouler sur le tapis jusquaux pieds des juges, que les froids cheveux et les mains inertes de la morte allrent effleurer dans leur horreur profonde, tandis qu la lueur des lampes, on voyait la blessure dun rouge sinistre et profond souvrir au milieu de son cou dune blancheur de cygne.

Prononcez, maintenant, ajouta Balsamo.

Les juges, pouvants, poussrent un cri terrible, et, saisis dune vertigineuse terreur, ils senfuirent dans une confusion inexprimable. On entendit bientt les chevaux hennir et pitiner dans la cour; la porte gronda sur ses gonds, puis le silence, le silence solennel revint sasseoir auprs de la mort et du dsespoir.

Chapitre 134. Lhomme et Dieu

Tandis que la scne terrible que nous venons de raconter saccomplissait entre Balsamo et les cinq matres, rien ntait chang en apparence dans le reste de la maison; seulement, le vieillard avait vu Balsamo rentrer chez lui et emporter le cadavre de Lorenza, et cette nouvelle dmonstration lavait rappel au sentiment de tout ce qui se passait autour de lui.

En voyant Balsamo charger sur ses paules le corps et redescendre avec lui dans les tages infrieurs, il crut que ctait le dernier, lternel adieu de cet homme dont il avait bris le cur, et la peur le prit dun abandon qui, pour lui, pour lui surtout qui avait tout fait pour ne pas mourir, doublait les horreurs de la mort.

Ne sachant pas dans quel but Balsamo sloignait, ne sachant pas o il tait all, il commena appeler:

Acharat! Acharat!