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Allons, allons, dit-il, je meurs sans regret; jai tout possd sur la terre; jai tout connu; jai pu tout ce quil est donn la crature de pouvoir; jallais atteindre limmortalit.

Balsamo fit entendre un sombre rire dont le sinistre clat rappela lattention du vieillard.

Alors Althotas, lui lanant travers les flammes qui lui faisaient comme un voile un regard empreint dune majest farouche:

Oui, tu as raison, dit-il, il y a une chose que je navais pas prvue: je navais pas prvu Dieu.

Et, comme si ce mot puissant et dracin toute son me, Althotas se renversa sur son fauteuil; il avait rendu Dieu ce dernier soupir quil avait espr soustraire Dieu.

Balsamo poussa un soupir; et, sans essayer de rien soustraire au bcher prcieux sur lequel cet autre Zoroastre stait couch pour mourir, il redescendit prs de Lorenza et lcha le ressort de la trappe, qui alla se rajuster au plafond, drobant ses yeux limmense fournaise qui bouillonnait, pareille au cratre dun volcan.

Pendant toute la nuit, la flamme gronda au-dessus de la tte de Balsamo comme un ouragan, sans que Balsamo fit rien pour lteindre ou pour la fuir, insensible quil tait tout danger prs du corps insensible de Lorenza; mais, contre son attente, aprs avoir tout dvor, aprs avoir mis nu la vote de brique dont il avait ananti les prcieux ornements, le feu steignit, et Balsamo entendit ses derniers rugissements, qui, pareils ceux dAlthotas, dgnraient en plaintes et mouraient en soupirs.

Chapitre 135. O lon redescend sur la terre

M. le duc de Richelieu tait dans la chambre coucher de son htel de Versailles, o il prenait son chocolat la vanille, en compagnie de M. Raft, lequel lui demandait ses comptes.

Le duc, fort occup de son visage, quil regardait de loin dans une glace, ne prtait quune fort mdiocre attention aux calculs plus ou moins exacts de M. son secrtaire.

Tout coup, un certain bruit de souliers craquant dans lantichambre annona une visite, et le duc expdia promptement le reste de son chocolat en regardant avec inquitude du ct de la porte.

Il y avait des heures o M. de Richelieu, comme les vieilles coquettes, naimait pas recevoir tout le monde.

Le valet de chambre annona M. de Taverney.

Le duc allait sans doute rpondre par quelque chappatoire, qui eut remis un autre jour, ou du moins une autre heure la visite de son ami; mais, aussitt la porte ouverte, le ptulant vieillard se prcipita dans la chambre, tendit, en passant, un bout de doigt au marchal et courut sensevelir dans une immense bergre qui gmit sous le choc bien plus que sous le poids.

Richelieu vit passer son ami, pareil un de ces hommes fantastiques lexistence desquels Hoffmann nous a fait croire depuis. Il entendit le craquement de la bergre, il entendit un soupir norme et, se retournant vers son hte:

Eh! baron, dit-il, quy a-t-il donc de nouveau? Tu me sembles triste comme la mort.

Triste, dit Taverney, triste!

Pardieu! ce nest pas un soupir de joie que tu as pouss l, ce me semble.

Le baron regarda le marchal dun air qui voulait dire que, tant que Raft serait l, on naurait pas lexplication de ce soupir.

Raft comprit sans avoir la peine de se retourner; car lui aussi, comme son matre, regardait parfois dans les glaces.

Ayant compris, il se retira donc discrtement.

Le baron le suivit des yeux, et, comme la porte se refermait derrire lui:

Ne dis pas triste, duc, fit le baron; dis inquiet, et inquiet mortellement.

Bah!

En vrit, scria Taverney en joignant les mains, je te conseille de faire ltonn. Voil prs dun grand mois que tu me promnes avec des mots vagues, tels que ceux-ci: Je nai pas vu le roi; ou bien encore: Le roi ne ma pas vu ou bien: Le roi me boude. Cordieu! duc, ce nest pas ainsi quon rpond un vieil ami. Un mois, comprends donc! mais cest lternit.

Richelieu haussa les paules.

Que diable veux-tu que je dise, baron? rpliqua-t-il.

Eh! la vrit.

Mordieu! je te lai dite, la vrit; mordieu! je te la corne aux oreilles, la vrit; seulement, tu ne veux pas la croire, voil tout.

Comment, toi, un duc et pair, un marchal de France, un gentilhomme de la chambre, tu veux me faire accroire que tu ne vois pas le roi, toi qui vas tous les matins au lever? Allons donc!

Je te lai dit et je te le rpte, cela nest pas croyable, mais cest ainsi; depuis trois semaines, je vais tous les jours au lever, moi duc et pair, moi marchal de France, moi gentilhomme de la chambre!

Et le roi ne te parle pas, interrompit Taverney, et tu ne parles pas au roi? Et tu veux me faire avaler une pareille bourde?

Eh! baron, mon cher, tu deviens impertinent; tendre ami, tu me dmens, en vrit, comme si nous avions quarante ans de moins et le coup de pointe facile.

Mais cest enrager, duc.

Ah! cela, cest autre chose; enrage, mon cher; jenrage bien, moi.

Tu enrages?

Il y a de quoi. Puisque je te dis que, depuis ce jour, le roi ne ma pas regard! Puisque je te dis que Sa Majest ma constamment tourn le dos! Puisque, chaque fois que jai cru devoir lui sourire agrablement, le roi ma rpondu par une affreuse grimace! Puisque enfin je suis las daller me faire bafouer Versailles! Voyons, que veux-tu que jy fasse?

Taverney se mordait cruellement les ongles pendant cette rplique du marchal.

Je ny comprends rien, dit-il enfin.

Ni moi, baron.

En vrit, cest croire que le roi samuse de tes inquitudes; car enfin

Oui, cest ce que je me dis, baron. Enfin!

Voyons, duc, il sagit de nous sortir de cet embarras; il sagit de tenter quelque adroite dmarche par laquelle tout sexplique.

Baron, baron, reprit Richelieu, il y a du danger provoquer les explications des rois.

Tu penses?

Oui. Veux-tu que je te dise?

Parle.

Eh bien, je me dfie de quelque chose.

Et de quoi? demanda le baron firement.

Ah! voil que tu te fches.

Il y a de quoi, ce me semble.

Alors, nen parlons plus.

Au contraire, parlons-en; mais explique-toi.

Tu as le diable au corps avec tes explications; en vrit, cest une monomanie. Prends-y garde.

Je te trouve charmant, duc; tu vois tous nos plans arrts, tu vois une stagnation inexplicable dans la marche de mes affaires, et tu me conseilles dattendre!

Quelle stagnation? Voyons.

Dabord, tiens.

Une lettre?

Oui, de mon fils.

Ah! le colonel.

Beau colonel!

Bon! quy a-t-il encore par l?

Il y a que, depuis prs dun mois aussi, Philippe attend Reims la nomination que le roi lui a promise, que cette nomination narrive pas, et que le rgiment va partir dans deux jours.

Diable! le rgiment part?

Oui, pour Strasbourg. De sorte que, si dans deux jours Philippe na pas reu ce brevet

Eh bien?

Dans deux jours, Philippe sera ici.

Oui, je comprends, on la oubli, le pauvre garon: cest l lordinaire dans les bureaux organiss comme ceux du nouveau ministre. Ah! si jeusse t ministre, le brevet serait parti!

Hum! reprit Taverney.

Tu dis?

Je dis que je nen crois pas un mot.

Comment?

Si tu eusses t ministre, tu eusses envoy Philippe aux cinq cents diables.

Oh!

Et son pre aussi.

Oh! oh!

Et sa sur encore plus loin.

Il y a du plaisir causer avec toi, Taverney; tu es rempli desprit; mais brisons l.

Je ne demande pas mieux pour moi; mais mon fils ne peut briser l, lui! sa position nest pas tenable. Duc, il faut absolument voir le roi.

Eh! je ne fais que cela, te dis-je.

Lui parler.

Eh! mon cher, on ne parle pas au roi, sil ne vous parle pas.

Le forcer.

Ah! je ne suis pas le pape, moi.

Alors, dit Taverney, je vais me dcider parler ma fille; car il y a dans tout ceci du louche, monsieur le duc.