Выбрать главу

Oh!

Conspirateur.

Oh!

Faussaire.

Oh!

Adultre, faux monnayeur, empirique, charlatan, chef de secte; un homme dont jai lhistoire sur mes registres, dans cette cassette que vous voyez, partout.

Ah! oui, je comprends, dit Balsamo; vous avez lhistoire, mais vous navez pas lhomme.

Non.

Diable! ce serait plus important, ce me semble.

Sans doute; mais vous allez voir comme nous sommes prs de le tenir. Certes, Prote na pas plus de formes; Jupiter na pas plus de noms que nen a ce mystrieux voyageur: Acharat en gypte, Balsamo en Italie, Somini en Sardaigne, marquis dAnna Malte, marquis Pellegrini en Corse, enfin comte de

Comte de? ajouta Balsamo.

Cest ce dernier nom, monsieur, que je nai pas bien pu lire, mais vous maiderez, nest-ce pas, jen suis sr, car il nest point que vous nayez connu cet homme pendant vos voyages et dans chacune des contres que jai cites tout lheure.

Renseignez-moi un peu, voyons, dit Balsamo avec tranquillit.

Ah! je comprends; vous dsirez une sorte de signalement, nest-ce pas, monsieur le comte?

Oui, monsieur, sil vous plat.

Eh bien, dit M. de Sartine en fixant sur Balsamo un il quil essayait de rendre inquisiteur, cest un homme de votre ge, de votre taille, de votre tournure; tantt grand seigneur semant lor, tantt charlatan cherchant les secrets naturels, tantt affili sombre de quelque confrrie mystrieuse qui jure dans lombre la mort des rois et lcroulement des trnes.

Oh! dit Balsamo, cest bien vague.

Comment, bien vague?

Si vous saviez combien jai vu dhommes qui ressemblent ce portrait!

En vrit!

Sans doute; et vous ferez bien de prciser un peu si vous voulez que je vous aide. Dabord, savez-vous en quel pays il habite de prfrence?

Il les habite tous.

Mais en ce moment, par exemple?

En ce moment, il est en France.

Et quy fait-il, en France?

Il dirige une immense conspiration.

Ah! voil un renseignement, la bonne heure; et, si vous savez quelle conspiration il dirige, eh bien, vous tenez un fil au bout duquel, selon toute probabilit, vous trouverez votre homme.

Je le crois comme vous.

Eh bien, si vous le croyez, pourquoi, en ce cas, me demandez-vous conseil? Cest inutile.

Ah! cest que je me consulte encore.

Sur quoi?

Sur ceci.

Dites.

Le ferai-je arrter, oui ou non?

Oui ou non?

Oui ou non.

Je ne comprends pas le non, monsieur le lieutenant de police; car enfin, sil conspire

Oui; mais sil est un peu garanti par quelque nom, par quelque titre?

Ah! je comprends. Mais quel nom, quel titre? Il faudrait me dire cela pour que je vous aidasse dans vos recherches, monsieur.

Eh! monsieur, je vous lai dj dit, je sais le nom sous lequel il se cache; mais

Mais vous ne savez point celui sous lequel il se montre, nest-ce pas?

Justement; sans quoi

Sans quoi, vous le feriez arrter?

Immdiatement.

Eh bien, mon cher monsieur de Sartine, cest bien heureux, comme vous me le disiez tout lheure, que je sois arriv en ce moment, car je vais vous rendre le service que vous me demandiez.

Vous?

Oui.

Vous allez me dire son nom?

Oui.

Le nom sous lequel il se montre?

Oui.

Vous le connaissez donc?

Parfaitement.

Et quel est ce nom? demanda M. de Sartine en expectative de quelque mensonge.

Le comte de Fnix.

Comment! le nom sous lequel vous vous tes fait annoncer?

Le nom sous lequel je me suis fait annoncer, oui.

Votre nom?

Mon nom.

Alors, cet Acharat, ce Somini, ce marquis dAnna, ce marquis Pellegrini, ce Joseph Balsamo, cest vous?

Mais oui, dit simplement Balsamo, cest moi-mme.

M. de Sartine prit une minute pour se remettre de lblouissement que lui causa cette effronte franchise.

Javais devin, vous voyez, dit-il. Je vous connaissais, je savais que ce Balsamo et ce comte de Fnix ne faisaient quun.

Ah! vous tes un grand ministre, dit Balsamo, je lavoue.

Et vous un grand imprudent, dit le magistrat en se dirigeant vers sa sonnette.

Imprudent! pourquoi?

Parce que je vais vous faire arrter.

Allons donc! rpliqua Balsamo en faisant un pas entre la sonnette et le magistrat, est-ce quon marrte, moi?

Pardieu! que ferez-vous pour men empcher? Je vous le demande.

Vous me le demandez?

Oui.

Mon cher lieutenant de police, je vais vous brler la cervelle.

Et Balsamo sortit de sa poche un charmant pistolet mont en vermeil, et quon et cru cisel par Benvenuto Cellini, quil dirigea tranquillement vers le visage de M. de Sartine, qui plit et tomba dans un fauteuil.

L, dit Balsamo en attirant un autre fauteuil prs de celui du lieutenant de police, et en sasseyant; maintenant, nous voil assis, nous pouvons causer un peu.

Chapitre 125. Causerie

M. de Sartine fut un instant se remettre dune alarme si chaude. Il avait vu, comme sil et voulu regarder dedans, la gueule menaante du pistolet; il avait mme senti sur son front le froid de son cercle de fer.

Enfin, il se remit.

Monsieur, dit-il, jai sur vous un avantage; sachant quel homme je parlais, je navais pas pris les prcautions que lon prend contre les malfaiteurs ordinaires.

Oh! monsieur, rpliqua Balsamo, voil que vous vous irritez et que les gros mots dbordent; mais vous ne vous apercevez donc pas combien vous tes injuste! Je viens pour vous rendre service.

M. de Sartine fit un mouvement.

Service, oui, monsieur, reprit Balsamo, et voil que vous vous mprenez mes intentions; voil que vous me parlez de conspirateurs, juste au moment o je venais vous dnoncer une conspiration.

Mais Balsamo avait beau dire, en ce moment-l, M. de Sartine ne prtait pas grande attention aux paroles de ce dangereux visiteur; si bien que ce mot de conspiration, qui let rveill en sursaut en temps ordinaire, put peine lui faire dresser loreille.

Vous comprenez, monsieur, puisque vous savez si bien qui je suis, vous comprenez, dis-je, ma mission en France: envoy par Sa Majest le grand Frdric, cest--dire ambassadeur plus ou moins secret de Sa Majest prussienne; or, qui dit ambassadeur dit curieux; or, en ma qualit de curieux, je nignore rien des choses qui se passent, et lune de celles que je connais le mieux, cest laccaparement des grains.

Si simplement que Balsamo et prononc ces dernires paroles, elles eurent plus de pouvoir sur le lieutenant de police que nen avaient eu toutes les autres, car elles rendirent M. de Sartine attentif.

Il releva lentement la tte.

Quest-ce que laffaire des grains? dit-il en affectant autant dassurance que Balsamo lui-mme en avait dploy au commencement de lentretien. Veuillez me renseigner votre tour, monsieur.

Volontiers, monsieur, dit Balsamo. Voici ce que cest.

Jcoute.

Oh! vous navez pas besoin de me le dire Des spculateurs fort adroits ont persuad Sa Majest le roi de France quil devait construire des greniers pour les grains de ses peuples, en cas de disette. On a donc fait des greniers: pendant quon y tait, on sest dit quil fallait mieux les faire grands; on ny a rien pargn, ni la pierre ni le moellon, et on les a faits trs grands.

Ensuite?

Ensuite, il a fallu les remplir; des greniers vides taient inutiles; on les a donc remplis.

Eh bien, monsieur? fit M. de Sartine ne voyant pas bien clairement encore o voulait en venir Balsamo.

Eh bien, vous devinez que, pour remplir de trs grands greniers, il a fallu y mettre une trs grande quantit de bl. Nest-ce pas vraisemblable?

Sans doute.

Je continue. Beaucoup de bl retir de la circulation, cest un moyen daffamer le peuple; car, notez ceci, toute valeur retire de la circulation quivaut un manque de production. Mille sacs de grains au grenier sont mille sacs de moins sur la place. Multipliez ces mille sacs par dix seulement, le bl augmente aussitt.