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Ce mot fut magique.

Richelieu avait sond Taverney; il le connaissait rou, comme M. Lafare ou M. de Noc, ses amis de jeunesse, dont la belle rputation stait conserve intacte. Il craignait lalliance du pre et de la fille; il craignait quelque chose dinconnu, enfin, qui lui causerait disgrce.

Eh bien, ne te fche pas, dit-il; je tenterai encore une dmarche. Mais il me faut un prtexte.

Ce prtexte, tu las.

Moi?

Sans doute.

Lequel?

Le roi a fait une promesse.

qui?

mon fils. Et cette promesse

Eh bien?

On peut la lui rappeler.

En effet, cest un biais. As-tu cette lettre?

Oui.

Donne-la-moi.

Taverney la tira de la poche de sa veste, et la tendit au duc en lui recommandant la hardiesse et la circonspection tout la fois.

Le feu et leau, dit Richelieu; allons, on voit bien que nous extravaguons. Nimporte, le vin est tir, il faut le boire.

Il sonna.

Quon mhabille, et quon attelle, dit le duc.

Puis, se tournant vers Taverney:

Est-ce que tu veux assister ma toilette, baron? demanda-t-il dun air inquiet.

Taverney comprit quil dsobligerait fort son ami en acceptant.

Non, mon cher, impossible, dit-il; jai une course faire par la ville; donne-moi un rendez-vous quelque part.

Mais, au chteau.

Soit, au chteau.

Il importe que, toi aussi, tu voies Sa Majest.

Tu crois? dit Taverney enchant.

Je lexige; je veux que tu tassures par toi-mme de lexactitude de ma parole.

Je ne doute pas; mais enfin, puisque tu le veux

Tu aimes autant cela, hein?

Mais oui, franchement.

Eh bien, dans la galerie des Glaces, onze heures, pendant que moi, jentrerai chez Sa Majest.

Soit, adieu.

Sans rancune, cher baron, dit Richelieu, qui, jusquau dernier moment, tenait ne pas se faire un ennemi dont la force tait encore inconnue.

Taverney remonta dans son carrosse et partit pour faire, seul et pensif, une longue promenade dans le jardin, tandis que Richelieu, laiss aux soins de ses valets de chambre, se rajeunissait son aise, importante occupation qui ne prit pas moins de deux heures lillustre vainqueur de Mahon.

Ctait, cependant, bien moins de temps encore que Taverney ne lui en avait accord dans son esprit, et le baron aux aguets vit, onze heures prcises, le carrosse du marchal sarrter devant le perron du palais, o les officiers de service salurent Richelieu tandis que les huissiers lintroduisirent.

Le cur de Taverney battait avec violence: il abandonna sa promenade, et lentement, plus lentement que son esprit ardent ne let permis, il se rendit dans la galerie des Glaces, o bon nombre de courtisans peu favoriss, dofficiers porteurs de placets et de gentilltres ambitieux, posaient comme des statues sur le parquet glissant, pidestal fort bien appropri au genre de figures amoureuses de la Fortune.

Taverney se perdit en soupirant dans la foule, avec cette prcaution, cependant, de prendre une encoignure porte du marchal, lorsquil sortirait de chez Sa Majest.

Oh! murmurait-il entre ses dents, tre relgu avec les hobereaux et ces plumets sales, moi, moi qui, il y a un mois, soupais en tte tte avec Sa Majest!

Et de son sourcil pliss schappait plus dun soupon infme qui et fait rougir la pauvre Andre.

Chapitre 136. La mmoire des rois

Richelieu, comme il lavait promis, stait all poster bravement sous le regard de Sa Majest au moment o M. de Cond lui tendait sa chemise.

Le roi, en apercevant le marchal, fit un si brusque mouvement pour se dtourner, que la chemise faillit tomber terre, et que le prince, tout surpris, se recula.

Pardon, mon cousin, dit Louis XV, afin de bien prouver au prince quil ny avait rien de personnel pour lui dans ce brusque mouvement.

Aussi Richelieu comprit-il parfaitement que la colre tait pour lui.

Mais, comme il tait venu dcid provoquer toute cette colre, si besoin tait, afin davoir une explication srieuse, il changea de face comme Fontenoy, et salla poster lendroit o le roi devait passer pour entrer dans son cabinet.

Le roi, ne voyant plus le marchal, se remit parler librement et gracieusement; il shabilla, projeta une chasse Marly, et consulta longuement son cousin; car MM. de Cond ont toujours eu la rputation dtre grands chasseurs.

Mais, au moment de passer dans son cabinet, alors que tout le monde tait dj parti, il aperut Richelieu posant avec toutes ses grces pour la plus charmante rvrence quon et faite depuis Lauzun, qui, on se le rappelle, saluait si bien.

Louis XV sarrta presque dcontenanc.

Encore ici, monsieur de Richelieu? dit-il.

Aux ordres de Sa Majest; oui, sire.

Mais vous ne quittez donc pas Versailles?

Depuis quarante ans, sire, il est bien rare que je men sois loign pour autre chose que pour le service de Votre Majest.

Le roi sarrta en face du marchal.

Voyons, dit-il, vous me voulez quelque chose, nest-ce pas?

Moi, sire? fit Richelieu souriant; eh! quoi donc?

Mais vous me poursuivez, duc, morbleu! Je men aperois bien, ce me semble.

Oui! sire, de mon amour et de mon respect; merci, sire.

Oh! vous faites semblant de ne pas mentendre; mais vous me comprenez merveille. Eh bien, moi, sachez-le, monsieur le marchal, je nai rien vous dire.

Rien, sire?

Absolument rien.

Richelieu sarma dune profonde indiffrence.

Sire, dit-il, jai toujours eu le bonheur de me dire, en mon me et conscience, que mon assiduit prs du roi tait dsintresse: un grand point, sire, depuis ces quarante ans dont je parlais Votre Majest; aussi, les envieux ne diront pas que jamais le roi mait accord quelque chose. L dessus, heureusement, ma rputation est faite.

Eh! duc, demandez pour vous si vous avez besoin de quelque chose, mais demandez vite.

Sire, je nai absolument besoin de rien et, pour le prsent, je me borne supplier Votre Majest

De quoi?

De vouloir bien admettre la remercier

Qui cela?

Sire, quelquun qui a une bien grande obligation au roi.

Mais enfin?

Quelquun, sire, qui Votre Majest a fait lhonneur insigne Ah! cest que, quand on a eu lhonneur de sasseoir la table de Votre Majest, lorsquon a got de cette conversation si dlicate, de cette gaiet si charmante, qui fait de Votre Majest le plus divin convive, cest qualors, sire, on noublie jamais, et quon prend vite une si douce habitude.

Vous tes une langue dore, monsieur de Richelieu.

Oh! sire

En somme, de qui voulez-vous parler?

De mon ami Taverney.

De votre ami? scria le roi.

Pardon, sire.

Taverney! reprit le roi avec une espce dpouvante qui tonna fort le duc.

Que voulez-vous, sire! un vieux camarade

Il sarrta un instant.

Un homme qui a servi sous Villars avec moi.

Il sarrta encore.

Vous le savez, sire, on appelle ami, en ce monde, tout ce quon connat, tout ce qui nest pas ennemi; cest un mot poli qui ne couvre souvent pas grand-chose.

Cest un mot compromettant, duc, reprit le roi avec aigreur; cest un mot dont il convient duser avec rserve.

Les conseils de Votre Majest sont des prceptes de sagesse. M. de Taverney, donc

M. de Taverney est un homme immoral.

Eh bien, sire, dit Richelieu, foi de gentilhomme, je men tais dout.

Un homme sans dlicatesse, monsieur le marchal.

Quant sa dlicatesse, sire, je nen parlerai pas devant Sa Majest; je ne garantis que ce que je connais.

Comment! vous ne garantissez pas la dlicatesse de votre ami, dun vieux serviteur, dun homme qui a servi avec vous sous Villars, dun homme que vous mavez prsent, enfin? Vous le connaissez, cependant, lui!

Lui, certainement, sire; mais sa dlicatesse, non. Sully disait votre aeul Henri IV quil avait vu sortir sa fivre habille dune robe verte; moi, javoue bien humblement, sire, que je nai jamais su comment shabillait la dlicatesse de Taverney.