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Oui, monsieur, rpondit Gilbert, les yeux fixes, la bouche entrouverte, car il avait vu Andre et, plac comme il ltait, il pouvait continuer la regarder sans laisser au professeur le soupon que sa dmonstration ntait pas religieusement coute et comprise.

Pour goter la terre, dit M. de Jussieu, toujours abus par lhiatus de Gilbert, renfermez-en une poigne dans un clayon, versez quelques gouttes deau doucement par-dessus et gotez cette eau lorsquelle sortira filtre par la terre mme en dessous du clayon. Les saveurs salines, ou cres, ou fades, ou parfumes de certaines essences naturelles sapproprieront merveille aux sucs des plantes que vous voulez y faire pousser; car, dans la nature, dit M. Rousseau, votre ancien patron, tout nest quanalogie, assimilation, tendance lhomognit.

Oh! mon Dieu! scria Gilbert en tendant les bras devant lui.

Quy a-t-il donc?

Elle svanouit, monsieur, elle svanouit!

Qui cela? tes-vous fou?

Elle, elle!

Elle?

Oui, reprit vivement Gilbert, une dame.

Et son pouvante et sa pleur leussent trahi aussi bien que le mot elle, si M. de Jussieu net pas dtourn les yeux de dessus lui pour suivre la direction de sa main.

En suivant cette direction, M. de Jussieu vit, en effet, Andre qui stait trane derrire une charmille et qui, arrive l, tait tombe sur un banc et qui, l, demeurait immobile et prs de perdre le dernier souffle de sentiment qui lui restt.

Ctait lheure laquelle le roi avait lhabitude de faire sa visite madame la dauphine et dbouchait par le verger, passant du grand au petit Trianon.

Sa Majest dboucha donc tout coup.

Elle tenait une pche vermeille, miracle de prcocit, et se demandait, en vrai roi goste, sil ne vaudrait pas beaucoup mieux, pour le bonheur de la France, que cette pche ft savoure par lui que par madame la dauphine.

Lempressement de M. de Jussieu courir vers Andre, que le roi, avec sa vue faible, distinguait peine et ne reconnaissait pas du tout; les cris touffs de Gilbert qui indiquaient la terreur la plus profonde, acclrrent la marche de Sa Majest.

Quy a-t-il? quy a-t-il? demanda Louis XV en sapprochant de la charmille, dont il ntait plus spar que par la largeur dune alle.

Le roi! scria M. de Jussieu soutenant dans ses bras la jeune fille.

Le roi! murmura Andre en svanouissant tout fait.

Mais qui donc est l? rpta Louis XV; une femme? Que lui arrive-t-il, cette femme?

Sire, un vanouissement.

Ah! voyons, dit Louis XV.

Elle est sans connaissance, sire, ajouta M. de Jussieu en montrant la jeune fille tendue raide et immobile sur le banc o il venait de la dposer.

Le roi sapprocha, reconnut Andre et scria en frissonnant:

Encore! Oh! mais cest pouvantable, cela; quand on a de pareilles maladies, on reste chez soi; ce nest pas propre de mourir comme cela toute la journe devant le monde!

Et Louis XV rebroussa chemin pour gagner le pavillon du petit Trianon, en grommelant mille choses dsagrables pour la pauvre Andre.

M. de Jussieu, qui ignorait les antcdents, demeura un instant stupfait; puis, se retournant et voyant Gilbert dix pas dans lattitude de la crainte et de lanxit:

Arrive ici, Gilbert, cria-t-il; tu es fort; tu vas emporter mademoiselle de Taverney jusque chez elle.

Moi! scria Gilbert frmissant, moi, lemporter, la toucher? Non, non, elle ne me le pardonnerait pas; non, jamais!

Et il senfuit perdu en appelant au secours.

Chapitre 138. Le docteur Louis

quelques pas de lendroit o Andre stait vanouie, travaillaient deux aides jardiniers, qui accoururent aux cris de Gilbert et, stant mis aux ordres de M. de Jussieu, transportrent Andre dans sa chambre, tandis que Gilbert suivait de loin, et la tte baisse, ce corps inerte, morne, comme lassassin qui marche derrire le corps de sa victime.

M. de Jussieu, arriv au perron des communs, dbarrassa les jardiniers de leur fardeau; Andre venait douvrir les yeux.

Le bruit des voix et cet empressement significatif qui a lieu autour de tout accident attira M. de Taverney hors de la chambre: il vit sa fille, chancelante encore, essayer de se redresser pour monter les degrs avec lappui de M. de Jussieu.

Il accourut en demandant, comme le roi:

Quy a-t-il? Quy a-t-il?

Rien, mon pre, rpliqua faiblement Andre, un malaise, une migraine.

Mademoiselle est votre fille, monsieur? dit M. de Jussieu en saluant le baron.

Oui, monsieur.

Je ne puis donc la laisser en de meilleures mains; mais, au nom du Ciel, consultez un mdecin.

Oh! ce nest rien, dit Andre.

Et Taverney rpta:

Certainement, ce nest rien.

Je le souhaite, dit M. de Jussieu; mais, en vrit, mademoiselle tait bien ple.

Et, l-dessus, aprs avoir donn la main Andre jusquau haut du perron, M. de Jussieu prit cong.

Le pre et la fille demeurrent seuls.

Taverney, qui, pendant labsence dAndre, avait mis certainement le temps profit pour de bonnes rflexions, vint prendre la main dAndre, reste debout, la conduisit un sofa, la fit asseoir et sassit prs delle.

Pardon, monsieur, dit Andre; mais soyez assez bon pour ouvrir la fentre; je manque dair.

Cest que je voulais causer un peu srieusement avec vous, Andre, et, dans cette cage que lon vous a donne pour demeure, un souffle sentend de tous les cts; mais il nimporte, je parlerai bas.

Et il ouvrit la fentre.

Puis, revenant sasseoir en secouant la tte prs de sa fille:

Il faut avouer, dit-il, que le roi, qui nous avait dabord tmoign tant dintrt, ne fait pas preuve de galanterie en vous laissant habiter un pareil taudis.

Mon pre, rpondit Andre, il ny a pas de logement Trianon; vous savez que cest le grand dfaut de cette rsidence.

Quil ny ait pas de logement pour dautres, dit Taverney avec un sourire insinuant, je le concevrais la rigueur, ma fille; mais, pour vous, en vrit, je ne le conois pas.

Vous avez trop bonne opinion de moi, monsieur, rpliqua Andre en souriant, et, malheureusement, tout le monde nest pas comme vous.

Tous ceux qui vous connaissent, ma fille, sont, au contraire, comme moi.

Andre sinclina comme elle et fait pour remercier un tranger; car ces compliments, de la part de son pre, commenaient lui donner quelque inquitude.

Et, continua Taverney avec son mme ton doucereux, et le roi vous connat, je suppose?

Et, tout en parlant, il dardait sur la jeune fille un regard dont linquisition tait insupportable.

Mais le roi me connat peine, rpliqua Andre le plus naturellement du monde, et je suis peu de chose pour lui, ce que je prsume.

Ces mots firent bondir le baron.

Peu de chose! scria-t-il; mais, en vrit, je ne conois rien vos paroles, mademoiselle; peu de chose! par exemple, vous mettez un bien bas prix votre personne!

Andre regarda son pre avec tonnement.

Oui, oui, continua le baron, je le dis et je le rpte, vous tes dune modestie qui va jusqu loubli de la dignit personnelle.

Oh! monsieur, vous exagrez tout: le roi sest intress aux malheurs de notre famille, cest vrai; le roi a daign faire quelque chose pour nous; mais il y a tant dinfortunes autour du trne de Sa Majest, il schappe tant de largesses de sa main royale, que loubli devait ncessairement nous envelopper aprs le bienfait.

Taverney regarda fixement sa fille, et non sans une certaine admiration de sa rserve et de sa discrtion impntrable.

Voyons, lui dit-il en se rapprochant delle, voyons, ma chre Andre, votre pre sera le premier solliciteur qui sadresse vous et, ce titre, jespre que vous ne le repousserez pas.

Andre, son tour, regarda son pre en femme qui demande une explication.

Voyons, continua-t-il, nous vous en prions tous, intercdez pour nous, faites quelque chose pour votre famille