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Tout le monde, ce nest personne. Vous le savez bien, duc.

Au contraire, madame; tout le monde, cest cent mille mes pour Versailles seulement; cest six cent mille pour Paris; cest vingt-cinq millions pour la France! et remarquez bien que je ne compte pas La Haye, Hambourg, Rotterdam, Londres, Berlin, o il se fait autant de gazettes quil se fait de propos Paris.

Et lon dit Versailles, Paris, en France, La Haye, Hambourg, Rotterdam, Londres et Berlin?

Eh bien, on dit que vous tes la plus spirituelle, la plus charmante femme de lEurope; on dit que, grce cet ingnieux stratagme de paratre avoir pris un amant

Un amant! et sur quoi fonde-t-on, je vous prie, cette stupide accusation?

Accusation! que dites-vous, comtesse? admiration! On sait quau fond il nen est rien; mais on admire le stratagme. Sur quoi on fonde cette admiration, cet enthousiasme? On le fonde sur votre conduite tincelante desprit, sur votre tactique savante; on le fonde sur ce que vous avez feint, avec un art miraculeux, de rester seule la nuit, vous savez, la nuit o jtais chez vous, o le roi tait chez vous, et o M. dAiguillon tait chez vous, la nuit o je suis sorti le premier, o le roi est sorti le second, et M. dAiguillon le troisime

Eh bien, achevez.

Sur ce que vous avez feint de rester seule avec dAiguillon, comme sil tait votre amant; de le faire sortir petit bruit, le matin, de Luciennes, toujours comme sil tait votre amant; et cela de faon que deux ou trois imbciles, deux ou trois gobe-mouches, comme moi, par exemple, le vissent pour laller crier sur les toits; de sorte que le roi laura su, aura pris peur, et vite, vite, pour ne pas vous perdre, aura quitt la petite Taverney.

Madame du Barry et dAiguillon ne savaient plus quelle contenance tenir.

Richelieu ne les gnait cependant ni par ses regards, ni par ses gestes; sa tabatire et son jabot paraissaient, au contraire, absorber tout son attention.

Car enfin, continua le marchal tout en chiquenaudant son jabot, il parat certain que le roi a quitt cette petite.

Duc, reprit madame du Barry, je vous dclare que je ne comprends pas un mot toutes vos imaginations; et je suis certaine dune chose, cest que le roi, si on lui en parlait, ny comprendrait pas davantage.

Vraiment! fit le duc.

Oui, vraiment; et vous mattribuez, et le monde mattribue beaucoup plus dimagination que je nen ai; jamais je nai voulu piquer la jalousie de Sa Majest par les moyens que vous dites.

Comtesse!

Je vous jure.

Comtesse, la parfaite diplomatie, et il ny a pas de meilleurs diplomates que les femmes, la parfaite diplomatie navoue jamais quelle a rus en vain; car il y a un axiome en politique, je le sais, moi qui fus ambassadeur, un axiome qui dit: Ne donnez personne le moyen qui vous a russi une fois, car il peut vous russir deux fois.

Mais, duc

Le moyen a russi, voil tout. Et le roi est au plus mal avec tous les Taverney.

Mais, en vrit, duc, scria madame du Barry, vous avez une faon de supposer les choses qui nappartient qu vous.

Ah! vous ne croyez pas le roi brouill avec les Taverney? fit Richelieu en ludant la querelle.

Ce nest pas cela que je veux dire.

Richelieu essaya de prendre la main de la comtesse.

Vous tes un oiseau, dit-il.

Et vous, un serpent.

Ah! cest bien; une autre fois, on sempressera de vous apporter de bonnes nouvelles pour tre rcompens ainsi.

Mon oncle, dtrompez-vous, dit vivement dAiguillon, qui avait senti toute la porte de la manuvre de Richelieu, nul ne vous apprcie autant que madame la comtesse, et elle me le disait encore au moment o lon vous a annonc.

Le fait est, dit le marchal, que jaime fort mes amis; aussi ai-je voulu le premier vous apporter lassurance de votre triomphe, comtesse. Savez-vous que Taverney le pre voulait vendre sa fille au roi?

Mais cest fait, je pense, dit madame du Barry.

Oh! comtesse, que cet homme est adroit! Cest lui qui est un serpent; figurez-vous que, moi, je mtais laiss endormir ses contes damiti, de vieille fraternit darmes. On me prend toujours par le cur, moi; et puis comment croire que cet Aristide de province viendra exprs Paris pour essayer de couper lherbe sous le pied Jean du Barry, cest--dire au plus spirituel des hommes? Il a, en vrit, fallu tout mon dvouement vos intrts, comtesse, pour me rendre un peu de bon sens et de clairvoyance: dhonneur, jtais aveugle

Et cest fini, ce que vous dites du moins? demanda madame du Barry.

Oh! tout fait fini, je vous en rponds. Jai tanc si vertement ce digne pourvoyeur, quil doit avoir pris son parti maintenant, et que nous sommes matres du terrain.

Mais le roi?

Le roi?

Oui.

Sur trois points, jai confess Sa Majest.

Le premier?

Le pre.

Le second?

La fille.

Et le troisime?

Le fils Or, Sa Majest a daign nommer le pre un complaisant; sa fille, une pimbche; et quant au fils, Sa Majest ne la pas nomm du tout, car elle ne sen est pas mme souvenue.

Trs bien; nous voil dbarrasss de la race tout entire.

Je le crois.

Est-ce la peine de faire renvoyer cela dans son trou?

Je ne le pense pas: ils en sont aux expdients.

Et vous dites que ce fils, qui le roi avait promis un rgiment?

Ah! vous avez meilleure mmoire que le roi, comtesse. Il est vrai que messire Philippe est un fort joli garon qui vous envoyait force illades, et des plus assassines, mme. Dame! il nest plus ni colonel, ni capitaine, ni frre de favorite; mais il lui reste davoir t distingu par vous.

En disant cela, le vieux duc essayait dgratigner le cur de son neveu avec les ongles de la jalousie.

Mais M. dAiguillon ne songeait pas la jalousie pour le moment.

Il cherchait se rendre compte de la dmarche du vieux marchal et distinguer le vritable motif de son retour.

Aprs quelques rflexions, il espra que le vent de la faveur avait seul pouss Richelieu Luciennes.

Il fit madame du Barry un signe que le vieux duc aperut dans un trumeau, tout en ajustant sa perruque, et aussitt la comtesse invita Richelieu prendre le chocolat avec elle.

DAiguillon prit cong avec mille caresses faites son oncle et rendues par Richelieu.

Ce dernier resta seul avec la comtesse devant le guridon que venait de charger Zamore.

Le vieux marchal regardait tout ce mange de la favorite en murmurant tout bas:

Il y a vingt ans, jeusse regard la pendule en disant: Dans une heure, il faut que je sois ministre, et je leusse t. Quelle sotte chose que la vie, continua-t-il, toujours se parlant lui-mme: pendant la premire partie, on met le corps au service de lesprit; pendant la seconde, lesprit, qui seul a survcu, devient le valet du corps: cest absurde.

Cher marchal, dit la comtesse interrompant le monologue intrieur de son hte, maintenant que nous sommes bien amis, et surtout maintenant que nous ne sommes plus que deux, dites-moi pourquoi vous vous tes donn tant de mal pousser cette petite mijaure dans le lit du roi?

Ma foi, comtesse, rpondit Richelieu en effleurant sa tasse de chocolat du bout de ses lvres, cest ce que je me demandais moi-mme: je nen sais rien.

Chapitre 140. Retour

M. de Richelieu savait quoi sen tenir sur Philippe et il aurait pu sciemment annoncer son retour; car, le matin, en sortant de Versailles pour se rendre Luciennes, il lavait rencontr sur la grand-route, se dirigeant vers Trianon, et il lavait crois dassez prs pour avoir remarqu sur son visage tous les symptmes de la tristesse et de linquitude.

Philippe, en effet, oubli Reims; Philippe, aprs avoir pass par tous les degrs de la faveur, puis de lindiffrence et de loubli; Philippe, ennuy dabord de recevoir toutes les marques damiti de tous les officiers jaloux de son avancement, puis les attentions mme de ses suprieurs; Philippe, au fur et mesure que la dfaveur avait terni de son souffle cette brillante fortune, Philippe stait dgot de voir les amitis changes en froideur, les attentions en rebuffades; et, dans cette me si dlicate, la douleur avait pris tous les caractres du regret.