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M. de Sartine fut pris dune toux dirritation.

Balsamo sarrta, et attendit tranquillement que la toux ft calme.

Donc, continua-t-il quand le lieutenant de police lui en laissa le loisir, voil le spculateur au grenier enrichi du surcrot de la valeur; voyons, est ce clair, cela?

Parfaitement clair, dit M. de Sartine; mais, ce que je vois, monsieur, vous auriez la prtention de me dnoncer une conspiration ou un crime dont Sa Majest serait lauteur.

Justement, reprit Balsamo, vous comprenez.

Cest hardi, monsieur, et je suis vritablement curieux de savoir comment le roi prendra votre accusation; jai bien peur que le rsultat ne soit prcisment le mme que je me proposais en feuilletant les papiers de cette cassette avant votre arrive; prenez-y garde, monsieur, vous aboutirez toujours la Bastille.

Ah! voil que vous ne me comprenez plus.

Comment cela?

Mon Dieu, que vous me jugez mal et que vous me faites tort, monsieur, en me prenant pour un sot! Comment, vous vous figurez que je vais maller attaquer au roi, moi, un ambassadeur, un curieux? Mais ce que vous dites l serait luvre dun niais. coutez-moi donc jusquau bout, je vous prie.

M. de Sartine fit un mouvement de tte.

Ceux qui ont dcouvert cette conspiration contre le peuple franais pardonnez-moi le temps prcieux que je vous prends, monsieur; mais vous verrez tout lheure que ce nest point du temps perdu ceux qui ont dcouvert cette conspiration contre le peuple franais sont des conomistes, qui, trs laborieux, trs minutieux, en appliquant leur loupe investigatrice sur ce tripotage, ont remarqu que le roi ne jouait pas seul. Ils savent bien que Sa Majest tient un registre exact du taux des grains sur les divers marchs; ils savent bien que Sa Majest se frotte les mains quand la hausse lui a produit huit ou dix mille cus; mais ils savent aussi qu ct de Sa Majest est un homme dont la position facilite les marchs, un homme qui, tout naturellement, grce certaines fonctions cest un fonctionnaire, vous comprenez surveille les achats, les arrivages, les encaissements, un homme, enfin, qui sentremet pour le roi; or, les conomistes, les gens loupe, comme je les appelle, ne sattaquent pas au roi, attendu que ce ne sont point des imbciles, mais lhomme, mon cher monsieur, mais au fonctionnaire, mais lagent qui tripote pour Sa Majest.

M. de Sartine essaya de rendre lquilibre sa perruque, mais ce fut en vain.

Or, continua Balsamo, jarrive au fait. De mme que vous saviez, vous qui avez une police, que jtais M. le comte de Fnix, je sais, moi, que vous tes M. de Sartine.

Eh bien, aprs? dit le magistrat embarrass. Oui, je suis M. de Sartine. La belle affaire!

Ah! mais comprenez donc, ce M. de Sartine est prcisment lhomme aux carnets, aux tripotages, aux encaissements, celui qui, soit linsu du roi, soit sa connaissance, trafique des estomacs de vingt-sept millions de Franais que ses fonctions lui prescrivent de nourrir aux meilleures conditions possibles. Or, figurez-vous un peu leffet dune dcouverte pareille! Vous tes peu aim du peuple: le roi nest pas un homme tendre; aussitt que le cri des affams demandera votre tte, Sa Majest, pour carter tout soupon de connivence avec vous, sil y a connivence, ou pour faire justice, sil ny a pas complicit, Sa Majest se htera de vous faire accrocher un gibet pareil celui dEnguerrand de Marigny, vous rappelez-vous?

Imparfaitement, dit M. de Sartine fort ple, et vous faites preuve de bien mauvais got, monsieur, ce me semble, en parlant gibet un homme de ma condition.

Oh! si je vous en parle, mon cher monsieur, dit Balsamo, cest quil me semble encore le voir, ce pauvre Enguerrand. Ctait, je vous jure, un parfait gentilhomme de Normandie, dune trs ancienne famille et dune trs noble maison. Il tait chambellan de France, capitaine du Louvre, intendant des finances et des btiments; il tait comte de Longueville, qui est comt plus considrable que celui dAlby qui est le vtre. Eh bien, monsieur, je lai vu accroch au gibet de Montfaucon quil avait fait construire; et, Dieu merci! ce nest pas faute de lui avoir rpt: Enguerrand, mon cher Enguerrand, prenez garde! vous taillez dans les finances avec une largeur que Charles de Valois ne vous pardonnera pas. Il ne mcouta point, monsieur, et prit malheureusement. Hlas! si vous saviez combien jen ai vu de prfets de police, depuis Ponce-Pilate, qui condamna Jsus-Christ, jusqu M. Bertin de Belle-Isle, comte de Bourdeilles, seigneur de Brantme, votre prdcesseur, qui a tabli les lanternes et dfendu les bouquets!

M. de Sartine se leva, essayant en vain de dissimuler lagitation laquelle il tait en proie.

Eh bien, dit-il, vous maccuserez si vous voulez; que mimporte le tmoignage dun homme comme vous, qui ne tient rien?

Prenez garde, monsieur! dit Balsamo, ce sont souvent ceux qui ont lair de ne tenir rien qui tiennent tout; et, lorsque jcrirai dans tous ses dtails lhistoire de ces bls accapars mon correspondant ou Frdric, qui est philosophe, comme vous savez; lorsque Frdric se sera empress dcrire la chose, commente de sa main, M. Arouet de Voltaire; lorsque celui-ci en aura fait avec sa plume, que vous connaissez de rputation au moins, je lespre, un petit conte drolatique dans le genre de lHomme aux quarante cus. Lorsque M. dAlembert, cet admirable gomtre, aura calcul quavec les grains de bl drobs par vous la subsistance publique on et pu nourrir cent millions dhommes pendant trois ou quatre ans; lorsque Helvtius aura tabli que le prix de ces grains, traduit en cus de six livres et pos en pile, pourrait monter jusqu la lune, ou bien, en billets de caisse poss les uns ct des autres, pourrait stendre jusqu Saint-Ptersbourg; lorsque ce calcul aura inspir un mauvais drame M. de La Harpe, un entretien du Pre de famille Diderot et une paraphrase terrible de cet entretien avec commentaires Jean-Jacques Rousseau, de Genve, qui mord aussi pas mal quand il sy met; un mmoire M. Caron de Beaumarchais, qui Dieu vous prserve de marcher sur le pied; une petite lettre M. Grimm, une grosse boutade M. dHolbach, un aimable conte moral M. de Marmontel, qui vous assassinera en vous dfendant mal; lorsquon parlera de cela au caf de la Rgence, au Palais-Royal, chez Audinot, chez les grands danseurs du roi, entretenus, comme vous savez, par M. Nicolet: ah! monsieur le comte dAlby, vous serez un lieutenant de police bien autrement malade que ce pauvre Enguerrand de Marigny, dont vous ne voulez pas entendre parler, le fut, lev sur son gibet, car il se disait innocent, lui, et cela de si bonne foi, que, parole dhonneur, je lai cru quand il me la affirm.

ces mots, M. de Sartine, sans prendre garde plus longtemps au dcorum, ta sa perruque et essuya son crne, tout ruisselant de sueur.

Eh bien, soit, dit-il, mais tout cela nempchera rien. Perdez-moi si vous pouvez. Vous avez vos preuves, jai les miennes. Gardez votre secret, je garde la cassette.

Eh bien, monsieur, dit Balsamo, voil encore une profonde erreur dans laquelle je suis tonn de voir tomber un homme de votre force; cette cassette

Eh bien, cette cassette?

Vous ne la garderez pas.

Oh! scria M. de Sartine avec un rire ironique, cest vrai; joubliais que M. le comte de Fnix est un gentilhomme de grand chemin qui dtrousse les gens main arme. Je ne voyais plus votre pistolet, parce que vous lavez remis dans votre poche. Excusez-moi, monsieur lambassadeur.

Eh! mon Dieu! il ne sagit pas de pistolet ici, monsieur de Sartine; vous ne croyez pas, bien certainement, que je vais, de vive force, de haute lutte, vous enlever ce coffret, pour quune fois sur lescalier jentende votre sonnette tinter et votre voix crier au voleur. Non pas! lorsque je dis que vous ne garderez pas le coffret, jentends dire par l que vous allez, de bonne grce et de votre pleine volont, me le restituer vous-mme.