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Voil tout, mon ami; et M. Gilbert aurait d me faire grce de ses commentaires.

Allons, voil que tu crases encore le pauvre enfant.

Oh! oui, prenez sa dfense, un charmant sujet!

Andre, par grce, ne sois pas si rude envers ce garon, tu le froisses, tu le rudoies, je tai vue luvre! Oh! mon Dieu, mon Dieu, Andre, quas-tu encore?

Cette fois, Andre tait tombe la renverse sur les coussins du sofa, sans profrer une parole; cette fois, le flacon ne put la faire revenir; il fallut attendre que lblouissement ft fini, que la circulation ft rtablie.

Dcidment, murmura Philippe, vous souffrez, ma sur, de faon effrayer des gens plus courageux que je ne le suis lorsquil sagit de vos souffrances; vous direz tout ce quil vous plaira, mais cette indisposition ne me parat pas devoir tre traite avec la lgret que vous affectez.

Mais enfin, Philippe, puisque le docteur a dit

Le docteur ne me persuade pas et ne me persuadera jamais. Que ne lui ai-je parl moi-mme! O le voit-on, ce docteur?

Il vient tous les jours Trianon.

Mais quelle heure, tous les jours? Est-ce le matin?

Le matin et le soir, quand il est de service.

Est-il de service en ce moment?

Oui, mon ami; et, sept heures prcises du soir, car il est exact, il montera le perron qui conduit aux logements de madame la dauphine.

Bien, dit Philippe plus tranquille, jattendrai chez vous.

Chapitre 142. Mprise

Philippe prolongea la conversation sans affectation, tout en surveillant du coin de lil sa sur, qui cherchait elle-mme reprendre assez dempire sur elle pour ne le plus inquiter par de nouvelles dfaillances.

Philippe parla beaucoup de ses mcomptes, de loubli du roi, de linconstance de M. de Richelieu, et, lorsque lon entendit sonner sept heures, il sortit brusquement, sinquitant peu de laisser deviner Andre ce quil voulait faire.

Il marcha droit au pavillon de la reine, et sarrta une distance assez grande pour ne pas tre interpell par les gens de service, assez rapproch pour que personne ne pt passer sans que lui, Philippe, reconnt la personne qui passait.

Il ntait pas l depuis cinq minutes, quil vit venir lui la figure roide et presque majestueuse du docteur quAndre lui avait signal.

Le jour baissait et, malgr la difficult quil devait prouver lire, le digne docteur feuilletait un trait rcemment publi Cologne sur les causes et les rsultats des paralysies de lestomac. Peu peu lobscurit se faisait autour de lui et le docteur devinait dj plutt quil ne lisait, lorsquun corps ambulant et opaque acheva dintercepter ce qui restait de lumire aux yeux du savant praticien.

Il leva la tte, vit un homme devant lui et demanda:

Quy a-t-il?

Pardonnez-moi, monsieur, dit Philippe; est-ce bien M. le docteur Louis que jai lhonneur de parler?

Oui, monsieur, rpliqua le docteur en fermant son livre.

Alors, monsieur, un mot, sil vous plat, dit Philippe.

Monsieur, excusez-moi; mais mon service mappelle chez madame la dauphine. Il est lheure de me rendre auprs delle, et je ne puis me faire attendre.

Monsieur et Philippe fit un mouvement de prire pour sopposer au passage du docteur monsieur, la personne pour laquelle je sollicite vos soins est au service de madame la dauphine. Elle souffre beaucoup, tandis que madame la dauphine nest point malade, elle.

De qui me parlez-vous dabord? demanda le docteur.

Dune personne chez laquelle vous avez t introduit par madame la dauphine elle-mme.

Ah! ah! serait-il question de mademoiselle Andre de Taverney, par hasard?

Justement, monsieur.

Ah! ah! fit le docteur en levant vivement la tte pour examiner le jeune homme.

Alors, vous savez quelle est fort souffrante.

Oui, des spasmes, nest-ce pas?

Des dfaillances continuelles, oui, monsieur. Aujourdhui, dans lespace de quelques heures, elle sest vanouie trois ou quatre fois dans mes bras.

Est-ce que la jeune dame est plus mal?

Hlas! je ne sais; mais vous comprenez, docteur, quand on aime les gens

Vous aimez mademoiselle Andre de Taverney?

Oh! plus que ma vie, docteur!

Philippe pronona ces mots avec une telle exaltation damour fraternel, que le docteur Louis se trompa leur signification.

Ah! ah! dit-il, cest donc vous?

Le docteur sarrta hsitant.

Que voulez-vous dire, monsieur? demanda Philippe.

Cest donc vous qui tes?

Qui suis, quoi, monsieur?

Eh! parbleu! qui tes lamant, fit le docteur avec impatience.

Philippe fit deux pas en arrire, en portant la main son front et en devenant ple comme la mort.

Monsieur, dit-il, prenez garde! vous insultez ma sur.

Votre sur! Mademoiselle Andre de Taverney est votre sur?

Oui, monsieur, et je croyais navoir rien dit qui pt donner lieu, de votre part, une si trange mprise.

Excusez-moi, monsieur, lheure laquelle vous mabordez, lair de mystre avec lequel vous madressiez la parole Jai cru, jai suppos quun intrt plus tendre encore que lintrt fraternel

Oh! monsieur, amant ou mari naimera ma sur dun amour plus profond que je ne laime.

Trs bien; en ce cas, je comprends que ma supposition vous ait bless, et je vous en prsente mes excuses; voulez-vous permettre, monsieur?

Et le docteur fit un mouvement pour passer.

Docteur, insista Philippe, je vous en supplie, ne me quittez pas sans mavoir rassur sur ltat de ma sur.

Mais qui donc vous a inquit sur cet tat?

Eh! mon Dieu, ce que jai vu.

Vous avez vu des symptmes qui annoncent une indisposition

Grave! docteur.

Cest selon.

coutez, docteur, il y a dans tout ceci quelque chose dtrange; on dirait que vous ne voulez pas, que vous nosez pas me rpondre.

Supposez plutt, monsieur, que, dans mon impatience de me rendre prs de madame la dauphine, qui mattend

Docteur, docteur, dit Philippe en passant sa main sur son front ruisselant, vous mavez pris pour lamant de mademoiselle de Taverney?

Oui; mais vous mavez dtromp.

Vous pensez donc que mademoiselle de Taverney a un amant?

Pardon, monsieur, mais je ne vous dois pas compte de mes penses.

Docteur, ayez piti de moi; docteur, vous avez laiss chapper une parole qui est reste dans mon cur comme la lame brise dun poignard; docteur, nessayez pas de me donner le change; vous tes en vain un homme dlicat et habile, docteur, quelle est cette maladie dont vous deviez compte un amant et que vous voulez cacher un frre? Docteur, je vous en supplie, rpondez-moi.

Je vous demanderai, au contraire, de me dispenser de vous rpondre, monsieur; car, la faon dont vous minterrogez, je vois que vous ne vous possdez plus.

Oh! mon Dieu, vous ne comprenez donc pas, monsieur, que chacun des mots que vous prononcez me pousse plus avant vers cet abme que je frmis dentrevoir.

Monsieur!

Docteur! scria Philippe avec une vhmence nouvelle, cest donc dire que vous avez mannoncer un si terrible secret que jai besoin pour lentendre de tout mon sang-froid et de tout mon courage?

Mais je ne sais dans quelle supposition vous vous garez, monsieur de Taverney; je nai rien dit de tout cela.

Oh! vous faites cent fois plus que de me dire! vous me laissez croire des choses! Oh! ce nest pas de la charit, docteur; vous voyez que je me ronge le cur devant vous; vous voyez que je prie, que je supplie; parlez, mais parlez donc! Tenez, je vous le jure, jai du sang-froid, du courage Cette maladie, ce dshonneur peut-tre Oh! mon Dieu! vous ne minterrompez pas, docteur, docteur!

Monsieur de Taverney, je nai rien dit, ni madame la dauphine, ni votre pre, ni vous; ne me demandez rien de plus.

Oui, oui mais vous voyez que jinterprte votre silence; vous voyez que je suis votre pense dans le chemin sombre et fatal o elle senfonce; arrtez-moi au moins si je mgare.