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Chang, moi! jai chang votre gard, Philippe? Expliquez-vous. En vrit, je ne comprends rien ce que vous me dites depuis que vous tes rentr.

Oui, Andre, dit le jeune homme en la pressant sur sa poitrine; oui, ma douce sur, les passions de la jeunesse ont succd aux affections de lenfance, et vous ne mavez plus trouv assez bon ou assez sr pour me montrer votre cur envahi par lamour.

Mon frre, mon ami, fit Andre de plus en plus tonne, mais que me dites-vous donc l? Que parlez-vous damour, moi?

Andre, jaborde courageusement une question pleine de dangers pour vous, pleine dangoisses pour moi-mme. Je sais bien que solliciter ou plutt exiger votre confiance en ce moment, cest me perdre dans votre esprit; mais jaime mieux, et croyez que cest cruel dire pour moi, jaime mieux sentir que vous maimez moins, que de vous laisser en proie aux malheurs qui vous menacent, malheurs effrayants, Andre, si vous persvrez dans le silence que je dplore, et dont je ne vous eusse pas crue capable vis--vis dun frre, dun ami.

Mon frre, mon ami, dit Andre, je vous jure que je ne comprends rien vos reproches.

Andre, voulez-vous que je vous fasse comprendre?

Oh! oui certes, oui.

Mais alors si, encourag par vous, je parle avec trop de prcision, si je provoque la rougeur monter sur votre front, la honte peser sur votre cur, alors, ne vous en prenez qu vous, vous qui mavez forc par dinjustes dfiances fouiller jusquau fond de cette me pour en arracher votre secret.

Faites, Philippe, et je vous jure que je ne saurais vous en vouloir de ce que vous ferez.

Philippe regarda sa sur, se leva tout agit, et parcourut la chambre grands pas. Il y avait, dans laccusation quil formulait contre elle dans son esprit, et la tranquillit de cette jeune fille, une si trange opposition, quil ne savait quelle ide sarrter.

Andre, de son ct, considrait son frre avec stupeur et se glaait peu peu au contact de cette solennit, si diffrente de la douce autorit fraternelle.

Aussi, avant que Philippe et repris la parole, Andre se leva-t-elle son tour et alla-t-elle passer son bras sous celui de son frre.

Alors, le regardant avec une tendresse inexprimable:

coute, Philippe, dit-elle, regarde-moi comme je te regarde!

Oh! je ne demande pas mieux, rpondit le jeune homme en fixant sur elle ses yeux ardents; que veux-tu me dire?

Je veux te dire, Philippe, que tu as toujours t un peu jaloux de mon amiti; cest naturel, puisque, de mon ct, jtais jalouse de tes soins et de ton affection; eh bien, regarde-moi comme je te lai dit.

La jeune fille sourit.

Vois-tu un secret dans mes yeux? continua-t-elle.

Oui, oui, jen vois un, dit Philippe. Andre, tu aimes quelquun.

Moi? scria la jeune fille avec un tonnement si naturel, que la plus habile comdienne net certes jamais pu imiter laccent de cette seule parole.

Et elle se mit rire.

Moi, jaime quelquun? dit-elle.

On taime, alors?

Ma foi, tant pis; car, comme cette personne inconnue ne sest jamais fait connatre et, par consquent, ne sest pas explique, cest de lamour en pure perte.

Alors, voyant sa sur rire et plaisanter sur cette question avec tant de franchise, voyant lazur si limpide de ses yeux, la candeur si chaste de son maintien, Philippe, qui sentait battre dun mouvement gal le cur dAndre sur son cur, se dit quun mois dabsence ne pouvait amener un tel changement dans le caractre dune jeune fille irrprochable; que la pauvre Andre tait souponne indignement; que la science mentait; il savoua que le docteur Louis avait une excuse, lui qui ne connaissait ni la puret ni les instincts exquis dAndre; lui qui pouvait la croire pareille toutes ces filles de noblesse qui, fascines par des exemples indignes, ou entranes par la chaleur prcoce dun sang corrompu, abdiquaient la virginit sans regrets, sans ambition mme.

Un dernier regard jet sur Andre expliqua Philippe la faillibilit du docteur; et Philippe se trouva si heureux de son explication, quil embrassa sa sur comme ces martyrs qui confessaient la puret de la Vierge Marie, en confessant du mme coup leur croyance son divin Fils.

Ce fut cette priode des fluctuations que Philippe entendit dans lescalier les pas du docteur Louis, fidle la promesse quil lui avait faite.

Andre tressaillit: tout lui devenait un vnement dans la situation o elle tait.

Qui vient l? demanda-t-elle.

Mais le docteur Louis, probablement, dit Philippe.

Au mme instant, la porte souvrit, et le mdecin, attendu avec tant danxit de la part de Philippe, parut en effet dans la chambre.

Ctait, nous lavons dit, un de ces hommes graves et honntes pour qui toute science est un sacerdoce et qui en tudient les mystres avec religion.

cette poque toute matrialiste, le docteur Louis, chose rare, cherchait, sous les maladies du corps, dcouvrir les maladies de lme; il allait franchement, brusquement, dans cette voie, sinquitant peu des rumeurs et des obstacles, conomisant son temps, ce patrimoine des gens laborieux, avec une avarice qui le rendait brutal pour les oisifs et les bavards.

Cest pour cela quil avait si rudement trait Philippe leur premire entrevue: il lavait pris pour un de ces muguets de cour qui viennent cajoler le mdecin, afin dobtenir des compliments sur leurs prouesses amoureuses, et qui sont tout fiers davoir une discrtion payer. Mais, sitt que la mdaille stait retourne, et quau lieu du fat plus ou moins amoureux, le docteur avait vu apparatre la sombre et menaante figure du frre; sitt qu la place dun dsagrment, il avait vu sesquisser un malheur, le praticien philosophe, lhomme de cur stait mu et, depuis les dernires paroles de Philippe, le docteur stait dit lui-mme:

Non seulement jai pu me tromper, mais encore je voudrais mtre tromp.

Voil pourquoi, mme sans la prire instante de Philippe, il ft venu trouver Andre, pour se rendre compte, par un examen plus dcisif, de ce que la premire preuve lui avait fourni de probabilits.

Il entra donc, et son premier coup dil, cette prise de possession du mdecin et de lobservateur, sattacha ds lantichambre sur Andre, quil ne quitta plus.

Justement, soit motion cause par la visite du docteur, soit accident naturel, Andre venait dtre saisie dune de ces attaques qui avaient effray Philippe, et elle chancelait, portant avec douleur son mouchoir ses lvres.

Philippe, tout occup de recevoir le docteur, navait rien vu.

Docteur, dit-il, soyez le bienvenu et pardonnez-moi ma faon un peu brusque; quand je vous ai abord, il y a une heure, jtais aussi agit que je suis calme en ce moment.

Le docteur cessa pour un instant de regarder Andre et laissa tomber son observation sur le jeune homme, dont il analysa le sourire et lpanouissement.

Vous avez caus avec mademoiselle votre sur, comme je vous en ai donn le conseil? demanda-t-il.

Oui, docteur, oui.

Et vous tes rassur?

Jai le ciel de plus et lenfer de moins dans le cur.

Le docteur prit la main dAndre et tta longuement le pouls de la jeune fille.

Philippe la regardait et semblait dire:

Oh! faites, docteur; je ne crains plus maintenant les commentaires du mdecin.

Eh bien, monsieur? dit-il dun air de triomphe.

Monsieur le chevalier, rpondit le docteur Louis, veuillez me laisser seul avec votre sur.

Ces mots, prononcs simplement, abattirent lorgueil du jeune homme.

Quoi! encore? dit-il.

Le docteur fit un geste.

Cest bien, je vous laisse, monsieur, rpliqua Philippe dun air sombre.