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Je voulais vous voir, continua Philippe, je voulais vous parler; jeusse, pour pntrer jusqu vous, brav la mort.

Balsamo continuait de garder le silence et semblait attendre un claircissement aux paroles du jeune homme, sans avoir la force ni la curiosit de le demander.

Je vous tiens, continua Philippe, je vous tiens enfin, et nous allons nous expliquer, sil vous plat; mais veuillez dabord congdier cet homme.

Et, du doigt, Philippe dsignait Fritz, qui venait de soulever la portire comme pour demander son matre ses derniers ordres lgard de limportun visiteur.

Balsamo attacha sur Philippe un regard dont le but tait de pntrer ses intentions; mais, en se retrouvant en face dun homme son gal par le rang et par la distinction, Philippe avait repris son calme et sa force. Il fut impntrable.

Alors Balsamo, dun simple mouvement de la tte, ou plutt des sourcils, congdia Fritz, et les deux hommes sassirent en face lun de lautre, Philippe le dos tourn la chemine, Balsamo le coude appuy sur un guridon.

Parlez vite et clairement, sil vous plat, monsieur, dit Balsamo; car je ne vous coute que par bienveillance et, je vous en prviens, je me lasserais promptement.

Je parlerai comme je dois, monsieur, et autant que je le jugerai convenable, dit Philippe; et, sauf votre bon plaisir, je vais commencer par une interrogation.

ce mot, un froncement terrible de sourcils dgagea des yeux de Balsamo un clair lectrique.

Ce mot lui rappelait de tels souvenirs, que Philippe et frmi sil avait su ce quil remuait au fond du cur de cet homme.

Cependant, aprs un moment de silence employ reprendre son empire sur lui-mme:

Interrogez, dit Balsamo.

Monsieur, rpondit Philippe, vous ne mavez jamais bien expliqu lemploi de votre temps pendant cette fameuse nuit du 31 mai, partir de ce moment o vous enlevtes ma sur du milieu des mourants et des morts qui encombraient la place Louis XV?

Quest-ce que cela signifie? demanda Balsamo.

Cela signifie, monsieur le comte, que toute votre conduite, cette nuit-l, ma t et mest plus que jamais suspecte.

Suspecte?

Oui, et que, selon toute probabilit, elle na point t celle dun homme dhonneur.

Monsieur, dit Balsamo, je ne vous comprends pas; vous devez remarquer que ma tte est fatigue, affaiblie, et que cette faiblesse me cause naturellement des impatiences.

Monsieur! scria son tour Philippe, irrit du ton plein de hauteur et de calme la fois que Balsamo gardait avec lui.

Monsieur, continua Balsamo du mme ton, depuis que jai eu lhonneur de vous voir, jai prouv un grand malheur; ma maison a brl en partie, et divers objets prcieux, trs prcieux, entendez-vous bien, ont t perdus pour moi; il en rsulte que jai conserv de ce chagrin quelque garement. Soyez donc fort clair, je vous prie, ou bien je prendrai cong de vous immdiatement.

Oh! non pas, monsieur, dit Philippe, non pas, vous ne prendrez point cong de moi aussi facilement que vous le dites; je respecterai vos chagrins si vous vous montrez compatissant aux miens; moi aussi, monsieur, il est arriv un malheur bien grand, bien plus grand qu vous, jen suis sr.

Balsamo sourit de ce sourire dsespr que Philippe avait dj vu errer sur ses lvres.

Moi, monsieur, continua Philippe, jai perdu lhonneur de ma famille.

Eh bien, monsieur, rpliqua Balsamo, que puis-je faire ce malheur, moi?

Ce que vous pouvez y faire? scria Philippe les yeux tincelants.

Sans doute.

Vous pouvez me rendre ce que jai perdu, monsieur!

Ah ! vous tes fou, monsieur! scria Balsamo.

Et il tendit sa main vers la sonnette.

Mais il fit ce geste si mollement et avec si peu de colre que le bras de Philippe larrta aussitt.

Je suis fou? scria Philippe dune voix saccade. Mais ne comprenez-vous donc pas quil sagit de ma sur, de ma sur que vous avez tenue vanouie dans vos bras, le 31 mai; de ma sur que vous avez conduite dans une maison, selon vous honorable, selon moi infme; de ma sur, en un mot, dont je vous demande lhonneur lpe la main?

Balsamo haussa les paules.

Eh! bon Dieu! murmura-t-il, que de dtours pour en arriver une chose si simple!

Malheureux! scria Philippe.

Quelle dplorable voix vous avez, monsieur! dit Balsamo avec la mme impatience triste; vous massourdissez. Voyons, ne venez-vous pas de me dire que javais insult votre sur?

Oui, lche!

Encore un cri et une insulte inutiles, monsieur; qui diable vous a donc dit que jeusse insult votre sur?

Philippe hsita; le ton avec lequel Balsamo avait prononc ces paroles le frappait de stupeur. Ctait le comble de limpudence, ou ctait le cri dune conscience pure.

Qui me la dit? reprit le jeune homme.

Oui, je vous le demande.

Cest ma sur elle-mme, monsieur.

Eh bien, monsieur, votre sur

Vous alliez dire? scria Philippe avec un geste menaant.

Jallais dire, monsieur, que vous me donnez, en vrit, de vous et de votre sur une bien triste ide. Cest la plus laide spculation du monde, savez-vous, que celle que font certaines femmes sur leur dshonneur. Or, vous tes venu, la menace la bouche, comme les frres barbus de la comdie italienne, pour me forcer, lpe la main, ou pouser votre sur, ce qui prouve quelle a grand besoin dun mari, ou vous donner de largent, parce que vous savez que je fais de lor. Eh bien, mon cher monsieur, vous vous tes tromp sur les deux points: vous naurez point dargent, et votre sur restera fille.

Alors, jaurai de vous le sang que vous avez dans les veines, scria Philippe, si toutefois vous en avez.

Non, pas mme cela, monsieur.

Comment?

Le sang que jai, je le garde, et javais pour le rpandre, si jeusse voulu, une occasion plus srieuse que celle que vous moffrez. Ainsi, monsieur, obligez-moi de vous en retourner tranquillement et, si vous faites du bruit, comme ce bruit me fera mal la tte, jappellerai Fritz; Fritz viendra, et, sur un signe de moi, il vous brisera en deux comme un roseau. Allez.

Cette fois, Balsamo sonna, et, comme Philippe voulait len empcher, il ouvrit un coffre dbne pos sur le guridon, prit dans ce coffre un pistolet deux coups quil arma.

Eh bien, jaime mieux cela, scria Philippe, tuez-moi!

Pourquoi vous tuerais-je?

Parce que vous mavez dshonor.

Le jeune homme pronona son tour ces paroles avec un tel accent de vrit, que Balsamo, le regardant dun il plein de douceur:

Serait-il donc possible, dit-il, que vous fussiez de bonne foi?

Vous en doutez? Vous doutez de la parole dun gentilhomme?

Et, continua Balsamo, que mademoiselle de Taverney et seule conu lindigne ide, quelle vous et pouss en avant? Je veux ladmettre; je vais donc vous donner une satisfaction. Je vous jure sur lhonneur que ma conduite envers mademoiselle votre sur, dans la nuit du 31 mai, est irrprochable; que ni point dhonneur, ni tribunal humain, ni justice divine, ne peuvent trouver quoi que ce soit de contraire la plus parfaite prudhomie; me croyez-vous?

Monsieur! fit le jeune homme tonn.

Vous savez que je ne crains pas un duel, cela se lit dans les yeux, nest-ce pas? Quant ma faiblesse, ne vous y trompez pas, elle nest quapparente. Jai peu de sang au visage, cest vrai; mais mes muscles nont rien perdu de leur force. En voulez-vous une preuve? Tenez

Et Balsamo souleva dune seule main, et sans effort, un norme vase de bronze pos sur un meuble de Boule.

Eh bien, soit, monsieur, dit Philippe, je vous crois quant au 31 mai; mais cest un subterfuge que vous employez, vous mettez votre parole sous la garantie dune erreur de date. Depuis, vous avez revu ma sur.

Balsamo hsita son tour.

Cest vrai, dit-il, je lai revue.

Et son front, clairci un instant, sassombrit dune faon terrible.

Ah! vous voyez bien! dit Philippe.

Eh bien, que jaie revu votre sur, quest-ce que cela prouve contre moi?