Moi? scria le magistrat en posant son poing sur lobjet en litige avec tant de force, quil faillit le briser.
Oui, vous.
Cest bien, raillez, monsieur! mais, quant reprendre ce coffret, je vous le dis, vous ne laurez quavec ma vie. Et quest-ce que je dis, avec ma vie! ne lai-je pas risque mille fois? Ne la dois-je pas, jusqu la dernire goutte de mon sang, au service de Sa Majest? Tuez-moi, vous en tes le matre; mais le bruit attirerait des vengeurs, mais jaurais encore assez de voix pour vous convaincre de tous vos crimes. Ah! vous rendre ce coffret! ajouta-t-il avec un rire amer, lenfer le rclamerait que je ne le rendrais pas!
Aussi nemploierai-je pas lintervention des puissances souterraines; il me suffira de lintervention de la personne qui fait heurter en ce moment la porte de votre cour.
En effet, trois coups frapps magistralement venaient de retentir.
Et dont le carrosse, continua Balsamo, coutez, entre en ce moment dans votre cour.
Cest un ami vous, ce quil parat, qui me fait lhonneur de me visiter?
Comme vous dites, un ami moi.
Et je lui rendrai ce coffret?
Oui, cher monsieur de Sartine, vous le lui rendrez.
Le lieutenant de police navait pas achev un geste de suprme ddain, lorsquun valet empress ouvrit la porte et annona que madame la comtesse du Barry demandait une audience monseigneur.
M. de Sartine tressaillit et regarda, stupfait, Balsamo, qui usait de toute sa puissance sur lui-mme pour ne pas rire au nez de lhonorable magistrat.
En ce moment, derrire le valet, une femme qui ne croyait pas avoir besoin de permission entra, rapide et toute parfume; ctait la belle comtesse, dont les jupes ondoyantes frlrent avec un doux bruit la porte du cabinet.
Vous, madame, vous! murmura M. de Sartine, qui, par un reste de terreur, avait saisi dans ses mains et serrait sur sa poitrine le coffret encore ouvert.
Bonjour, Sartine, dit la comtesse avec son gai sourire.
Puis, se tournant vers Balsamo:
Bonjour, cher comte, ajouta-t-elle.
Et elle tendit sa main ce dernier, qui sinclina familirement sur cette main blanche et posa ses lvres o staient tant de fois poses les lvres royales.
Dans ce mouvement, Balsamo avait eu le temps de profrer tout bas trois ou quatre paroles que navait pu entendre M. de Sartine.
Ah! justement, scria la comtesse, voil mon coffret.
Votre coffret! balbutia M. de Sartine.
Sans doute, mon coffret. Tiens, vous lavez ouvert, vous ne vous gnez pas!
Mais, madame
Oh! cest charmant, jen avais eu lide On mavait vol ce coffret; alors je me suis dis: Il faut que jaille chez Sartine, il me le retrouvera. Vous lavez retrouv auparavant, merci.
Et, comme vous le voyez, dit Balsamo, monsieur la mme ouvert.
Oui, vraiment! A-t-on imagin cela? Mais cest odieux, Sartine.
Madame, sauf tout le respect que jai pour vous, dit le lieutenant de police, jai peur que vous ne vous en laissiez imposer.
Imposer, monsieur! dit Balsamo; est-ce pour moi, par hasard, que vous dites ce mot?
Je sais ce que je sais, rpliqua M. de Sartine.
Et moi, je ne sais rien, dit tout bas madame du Barry Balsamo. Voyons, quy a-t-il, cher comte? Vous avez rclam la promesse que je vous ai faite de vous accorder la premire demande que vous me feriez. Jai de la parole comme un homme; me voici. Voyons, que voulez-vous de moi?
Madame, rpondit tout haut Balsamo, vous mavez, il y a peu de jours, confi cette cassette et tout ce quelle renferme.
Mais sans doute, dit madame du Barry, rpondant par un regard au regard du comte.
Sans doute! scria M. de Sartine; vous dites sans doute, madame?
Mais oui, et madame a prononc ces paroles assez haut pour que vous les ayez entendues.
Une cassette qui renferme dix conspirations peut-tre!
Ah! monsieur de Sartine, vous savez bien que vous navez pas de bonheur avec ce mot; ne le rptez donc pas. Madame vous redemande sa cassette, rendez-la-lui, voil tout.
Vous me la redemandez, madame? dit en tremblant de colre M. de Sartine.
Oui, cher magistrat.
Mais, au moins, sachez
Balsamo regarda la comtesse.
Je nai rien savoir que je ne sache, dit madame du Barry; rendez-moi le coffret; je ne me suis pas drange pour rien, comprenez-vous?
Au nom du Dieu vivant, au nom de lintrt de Sa Majest, madame
Balsamo fit un geste dimpatience.
Ce coffret, monsieur! dit brivement la comtesse, ce coffret, oui ou non! Rflchissez avant de dire non.
Comme il vous plaira, madame, dit humblement M. de Sartine.
Et il tendit la comtesse le coffret, dans lequel Balsamo avait dj fait rentrer tous les papiers pars sur le bureau.
Madame du Barry se tourna vers ce dernier avec un charmant sourire.
Comte, dit-elle, voulez-vous me porter ce coffret jusqu mon carrosse et moffrir la main pour que je ne traverse pas seule toutes ces antichambres meubles de si vilains visages? Merci, Sartine.
Et Balsamo se dirigeait dj vers la porte avec sa protectrice, quand il vit M. de Sartine se diriger, lui, vers la sonnette.
Madame la comtesse, dit Balsamo en arrtant son ennemi du regard, soyez assez bonne pour dire M. de Sartine, qui men veut normment de ce que je lui ai rclam votre cassette, soyez assez bonne pour lui dire combien vous seriez dsespre sil marrivait quelque malheur par le fait de M. le lieutenant de police, et combien vous lui en sauriez mauvais gr.
La comtesse sourit Balsamo.
Vous entendez ce que dit M. le comte, mon cher Sartine? Eh bien, cest la pure vrit; M. le comte est un excellent ami moi, et je vous en voudrais mortellement si vous lui dplaisiez en quelque chose que ce ft. Adieu, Sartine.
Et, cette fois, la main dans celle de Balsamo, qui emportait le coffret, madame du Barry quitta le cabinet du lieutenant de police.
M. de Sartine les vit partir tous deux sans montrer cette fureur que Balsamo sattendait voir clater.
Va! murmura le magistrat vaincu; va, tu tiens la cassette; mais, moi, je tiens la femme!
Et, pour se ddommager, il sonna de faon briser toutes les sonnettes.
Chapitre 126. O M. de Sartine commence croire que Balsamo est sorcier
Au tintement prcipit de la sonnette de M. de Sartine, un huissier accourut.
Eh bien, demanda le magistrat, cette femme?
Quelle femme, monseigneur?
Cette femme qui sest vanouie ici, et que je vous ai confie?
Monseigneur, elle se porte merveille, rpliqua lhuissier.
Trs bien; amenez-la-moi.
O faut-il laller chercher, monseigneur?
Comment! mais dans cette chambre.
Elle ny est plus, monseigneur.
Elle ny est plus! O est-elle donc, alors?
Je nen sais rien.
Elle est partie?
Oui.
Toute seule?
Oui.
Mais elle ne pouvait se soutenir.
Monseigneur, cest vrai, elle demeura quelques instants vanouie; mais, cinq minutes aprs que M. de Fnix eut t introduit dans le cabinet de monseigneur, elle se rveilla de cet trange vanouissement auquel ni essences ni sels navaient apport de remde. Alors elle ouvrit les yeux, se leva au milieu de nous tous, et respira dun air de satisfaction.
Aprs?
Aprs, elle se dirigea vers la porte; et, comme monseigneur navait en rien ordonn quon la retnt, elle est partie.
Partie? scria M. de Sartine. Ah! malheureux que vous tes! je vous ferai tous prir Bictre! Vite, vite, quon menvoie mon premier agent!
Lhuissier sortit vivement pour obir lordre quil venait de recevoir.
Le misrable est sorcier, murmura linfortun magistrat. Je suis lieutenant de police du roi, moi; il est lieutenant de police du diable, lui.
Le lecteur a dj compris, sans doute, ce que M. de Sartine ne pouvait sexpliquer. Aussitt aprs la scne du pistolet, et tandis que le lieutenant de police essayait de se remettre, Balsamo, profitant de ce moment de rpit, stait orient, et, se tournant successivement vers les quatre points cardinaux, bien sr de rencontrer Lorenza vers lun deux, il avait ordonn la jeune femme de se lever, de sortir, et de retourner par le mme chemin quelle avait dj pris, cest--dire rue Saint-Claude.