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Mais cet crin de perles est bien moi! dit Andre.

Ne touchez jamais ces perles, Andre; elles vous brleraient. Chacune de ces perles est dune nature trange, ma sur elles font des taches sur les fronts quelles touchent

Andre frissonna.

Je garde cet crin, ma sur, pour le rendre qui de droit. Je vous le dis, ce nest pas notre bien; non, et nous navons pas envie dy rien prtendre, nest-ce pas?

Comme il vous plaira, mon frre, rpliqua Andre toute frissonnante de honte.

Chre sur, habillez-vous une dernire fois pour votre visite madame la dauphine; soyez bien calme, bien respectueuse, bien touche de vous loigner dune aussi noble protectrice.

Oh! oui, bien touche, murmura Andre avec motion; cest une grande douleur dans mon malheur.

Moi, je vais Paris, ma sur, et je reviendrai vers ce soir; aussitt arriv, je vous emmnerai: payez ici tout ce quil vous reste devoir.

Rien, rien; javais Nicole, elle sest enfuie Ah! joubliais le petit Gilbert.

Philippe tressaillit; ses yeux sallumrent.

Vous devez Gilbert? scria-t-il.

Oui, dit naturellement Andre, il ma fourni des fleurs depuis le commencement de la saison. Or, comme vous me lavez dit vous-mme, parfois je fus injuste et dure envers ce garon, qui tait poli aprs tout Je le rcompenserai autrement.

Ne cherchez pas Gilbert, murmura Philippe.

Pourquoi? Il doit tre dans les jardins: je le ferai mander, dailleurs.

Non! non! vous perdriez un temps prcieux Moi, au contraire, en traversant les alles, je le rencontrerai je lui parlerai je le paierai

Alors, cest bien, sil en est ainsi.

Oui, adieu; ce soir.

Philippe baisa la main de la jeune fille, qui se jeta dans ses bras. Il comprima jusquaux battements de son cur dans cette molle treinte, et, sans tarder, il partit pour Paris, o le carrosse le dposa devant la porte du petit htel de la rue Coq-Hron.

Philippe savait bien rencontrer l son pre. Le vieillard, depuis sa rupture trange avec Richelieu, navait plus trouv la vie supportable Versailles, et il cherchait, comme tous les esprits surabondants dactivit, tromper les torpeurs du moral par les agitations du dplacement.

Or, le baron, quand Philippe sonna au guichet de la porte cochre, arpentait avec deffroyables jurons le petit jardin de lhtel et la cour attenant ce jardin.

Il tressaillit au bruit de la sonnette et vint ouvrir lui-mme.

Comme il nattendait personne, cette visite imprvue lui apportait une esprance: le malheureux, dans sa chute, se rattrapait toutes branches.

Il reut donc Philippe avec le sentiment dun dpit et dune curiosit insaisissables.

Mais il neut pas plus tt regard le visage de son interlocuteur, que cette sombre pleur, cette raideur des lignes et la crispation de la bouche glacrent la source de questions quil sapprtait ouvrir.

Vous! dit-il seulement, et par quel hasard?

Jaurai honneur de vous expliquer cela, monsieur, dit Philippe.

Bon! cest grave?

Assez grave, oui, monsieur.

Ce garon a toujours des faons crmonieuses qui inquitent Est-ce un malheur, voyons, ou un bonheur que vous apportez?

Cest un malheur, dit gravement Philippe.

Le baron chancela.

Nous sommes bien seuls? demanda Philippe.

Mais oui.

Voulez-vous que nous entrions dans la maison, monsieur?

Pourquoi pas en plein air, sous ces arbres?

Parce quil est de certaines choses qui ne se disent pas la lumire des cieux.

Le baron regarda son fils, obit son geste muet, et, tout en affectant limpassibilit, le sourire mme, il le suivit dans la salle basse, dont dj Philippe avait ouvert la porte.

Lorsque les portes furent soigneusement fermes, Philippe attendit un geste de son pre pour commencer la conversation, et, le baron stant assis commodment dans le meilleur fauteuil du salon:

Monsieur, dit Philippe, ma sur et moi, nous allons prendre cong de vous.

Comment cela? fit le baron trs surpris. Vous vous absentez! Et le service?

Il ny a plus de service pour moi: vous savez que les promesses faites par le roi nont pas t ralises heureusement.

Voil un heureusement que je ne comprends pas.

Monsieur

Expliquez-le-moi: comment pouvez-vous tre heureux de ntre pas colonel dun beau rgiment? Vous pousseriez loin la philosophie.

Je la pousse assez loin pour ne pas prfrer le dshonneur la fortune, voil tout. Mais nentrons pas, sil vous plat, monsieur, dans des considrations de cet ordre

Entrons-y, pardieu!

Je vous en supplie, rpliqua Philippe avec une fermet qui signifiait: Je ne veux pas!

Le baron frona le sourcil.

Et votre sur? Oublie-t-elle ses devoirs aussi? son service prs de madame?

Ce sont l des devoirs quelle doit subordonner dautres, monsieur.

De quelle nature, sil vous plat?

De la plus imprieuse ncessit.

Le baron se leva.

Cest une sotte espce, grommela-t-il, que lespce des faiseurs dnigmes.

Est-ce bien une nigme pour vous, tout ce que je dis l?

Absolument, rpondit le baron avec un aplomb qui tonna Philippe.

Je mexpliquerai donc: ma sur sen va parce quelle aussi est force de fuir pour viter un dshonneur.

Le baron clata de rire.

Tudieu! les enfants modles que jai l! scria-t-il. Le fils abandonne lespoir dun rgiment parce quil craint le dshonneur, la fille abandonne un tabouret tout acquis parce quelle a peur du dshonneur. En vrit, me voil revenu au temps de Brutus et de Lucrce! De mon temps, mauvais temps sans doute, et il ne vaut pas les beaux jours de la philosophie, quand un homme voyait venir de loin un dshonneur, et quil portait, comme vous, une pe au ct, et quand, comme vous, il avait pris des leons de deux matres et de trois prvts, il embrochait le premier dshonneur la pointe de son pe.

Philippe haussa les paules.

Oui, cest assez pauvre, ce que je dis l, pour un philanthrope qui naime pas voir couler le sang. Mais, enfin, les officiers ne sont pas prcisment ns pour tre philanthropes.

Monsieur, jai autant que vous la conscience des ncessits quimpose le point dhonneur; mais ce nest pas le sang vers qui rachte

Phrases! phrases de de philosophe! scria le vieillard irrit au point de devenir majestueux. Je crois que jallais dire de poltron.

Vous avez bien fait de ne pas le dire, rpliqua Philippe ple et frmissant.

Le baron soutint firement le regard implacable et menaant de son fils.

Je disais, reprit-il, et ma logique nest pas mauvaise autant quon voudrait me le faire accroire; je disais que tout dshonneur en ce monde vient, non pas dune action, mais dun propos. Ah! cest ainsi! Soyez criminel devant des sourds et devant des aveugles ou des muets, serez-vous dshonor? Vous allez me rpondre par ce vers stupide:

Le crime fait la honte et non pas lchafaud.

Cest bon dire des enfants ou des femmes; mais un homme, mordieu! lon parle un autre langage Or, je me figurais, moi, avoir cr un homme Maintenant que laveugle voie, que le sourd ait pu entendre, que le muet parle, et vous frappez sur la garde de votre pe, et vous crevez les yeux lun, le tympan lautre, vous coupez la langue au dernier; voil comment rpond lattaque du dshonneur un gentilhomme du nom de Taverney-Maison-Rouge!

Un gentilhomme de ce nom, monsieur, sait toujours, entre les choses quil a faire, que la premire, cest de ne pas commettre une action dshonorante: voil pourquoi je ne rpondrai pas vos arguments. Seulement, il arrive parfois que lopprobre est n dun malheur invitable; cest le cas o nous nous trouvons, ma sur et moi.

Je passe votre sur. Si, daprs mon systme, lhomme ne doit jamais fuir une chose quil peut combattre et vaincre, la femme aussi doit attendre de pied ferme. quoi sert la vertu, monsieur le philosophe, sinon repousser les attaques du vice? O est le triomphe de cette mme vertu, sinon dans la dfaite du vice?