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Eh bien, cachez-vous ici, mon enfant; le petit grenier est toujours libre.

Vous tes un homme que jaime, mon matre! scria Gilbert, et loffre que vous me faites me comble de joie; je ne vous demande, en effet, quun abri; quant mon pain, je le gagnerai; vous savez que je ne suis pas un paresseux.

Eh bien, dit Rousseau dun air inquiet, si la chose est convenue ainsi, montez l-haut; que madame Rousseau ne vous voie pas ici; elle ne monte plus au grenier, puisque, depuis votre dpart, nous ny serrons plus rien; votre paillasse y est reste, arrangez-vous du mieux possible.

Merci, monsieur; cela tant ainsi, je serai plus heureux que je ne le mrite.

Maintenant, est-ce l tout ce que vous dsirez? dit Rousseau en poussant du regard Gilbert hors de la chambre.

Non, monsieur; mais encore un mot, sil vous plat.

Dites.

Vous mavez un jour, Luciennes, accus de vous avoir trahi; je ne trahissais personne, monsieur, je suivais mon amour.

Ne parlons plus de cela. Est-ce tout?

Oui; maintenant, monsieur Rousseau, quand on ne sait pas ladresse de quelquun Paris, est-il possible de se la procurer?

Sans doute, quand cette personne est connue.

Celle dont je veux parler est fort connue.

Son nom?

M. le comte Joseph Balsamo.

Rousseau frissonna; il navait pas oubli la sance de la rue Pltrire.

Que voulez-vous cet homme? demanda-t-il.

Une chose toute simple. Je vous avais accus, vous, mon matre, dtre moralement la cause de mon crime, puisque je croyais navoir obi qu la loi naturelle.

Et je vous ai dtromp? scria Rousseau tremblant lide de cette responsabilit.

Vous mavez clair, du moins.

Eh bien, que voulez-vous dire?

Que mon crime a non seulement eu une cause morale, mais une cause physique.

Et ce comte de Balsamo est la cause physique, nest-ce pas?

Oui. Jai copi des exemples, jai saisi une occasion, et, en cela, je le reconnais maintenant, jai agi en animal sauvage, et non en homme. Lexemple, cest vous; loccasion, cest M. le comte de Balsamo. O demeure-t-il? le savez-vous?

Oui.

Donnez-moi son adresse, alors.

Rue Saint-Claude, au Marais.

Merci, je vais chez lui de ce pas.

Prenez garde, mon enfant, scria Rousseau en le retenant, cest un homme puissant et profond.

Ne craignez rien, monsieur Rousseau, je suis rsolu, et vous mavez appris me possder.

Vite, vite, montez l-haut! scria Rousseau, jentends se fermer la porte de lalle; cest sans doute madame Rousseau qui rentre; cachez-vous dans ce grenier jusqu ce quelle soit revenue ici; ensuite vous sortirez.

La clef, sil vous plat?

Au clou, dans la cuisine, comme dhabitude.

Adieu, monsieur, adieu.

Prenez du pain, je vous prparerai du travail pour cette nuit.

Merci!

Et Gilbert sesquiva si lgrement, quil tait dj dans son grenier avant que Thrse et mont le premier tage.

Muni du prcieux renseignement que lui avait donn Rousseau, Gilbert ne fut pas long excuter son projet.

En effet, Thrse neut pas plus tt referm la porte de son appartement, que le jeune homme, qui, de la porte de la mansarde, avait suivi tous ses mouvements, descendit lescalier avec autant de rapidit que sil net pas t affaibli par un long jene. Il avait la tte pleine dides desprance, de rancunes, et derrire tout cela planait une ombre vengeresse qui laiguillonnait de ses plaintes et de ses accusations.

Il arriva rue Saint-Claude dans un tat difficile dcrire.

Comme il entrait dans la cour de lhtel, Balsamo reconduisait jusqu la porte le prince de Rohan, quun devoir de politesse avait amen chez son gnreux alchimiste.

Or, comme le prince en sortait, sarrtant une dernire fois pour renouveler ses remerciements Balsamo, le pauvre enfant, dguenill, sy glissait comme un chien, nosant regarder autour de lui de peur de sblouir.

Le carrosse du prince Louis lattendait au boulevard; le prlat traversa lestement lespace qui le sparait de sa voiture, qui partit avec rapidit ds que la portire fut referme sur lui.

Balsamo lavait suivi dun regard mlancolique et, quand la voiture eut disparu, il se tourna vers le perron.

Sur ce perron tait une espce de mendiant dans lattitude de la supplication.

Balsamo marcha lui; quoique sa bouche ft muette, son regard expressif interrogeait.

Un quart dheure daudience, sil vous plat, monsieur le comte, dit le jeune homme aux habits dguenills.

Qui tes-vous, mon ami? demanda Balsamo avec une suprme douceur.

Ne me reconnaissez-vous pas? demanda Gilbert.

Non; mais nimporte, venez, rpliqua Balsamo sans sinquiter de la mine trange du solliciteur, non plus que de ses vtements et de son importunit.

Et, marchant devant lui, il le conduisit dans la premire chambre, o, stant assis, sans changer de ton et de visage:

Vous demandiez si je vous reconnaissais? dit-il.

Oui, monsieur le comte.

En effet, il me semble vous avoir vu quelque part.

Taverney, monsieur, lorsque vous y vntes, la veille du jour du passage de la dauphine.

Que faisiez-vous Taverney?

Jy demeurais.

Comme serviteur de la famille?

Non pas; comme commensal.

Vous avez quitt Taverney?

Oui, monsieur, voil prs de trois ans.

Et vous tes venu?

Paris, o dabord jai tudi chez M. Rousseau; aprs quoi, jai t plac dans les jardins de Trianon en qualit daide-jardinier-fleuriste, par la protection de M. de Jussieu.

Voil de beaux noms que vous me citez l, mon ami. Que me voulez vous?

Je vais vous le dire.

Et, faisant une pause, il fixa sur Balsamo un regard qui ne manquait pas de fermet.

Vous rappelez-vous, continua-t-il, tre venu Trianon pendant la nuit du grand orage, il y aura vendredi six semaines?

Balsamo devint sombre, de srieux quil tait.

Oui, je me souviens, dit-il; mauriez-vous vu, par hasard?

Je vous ai vu.

Alors, vous venez pour vous faire payer le secret? dit Balsamo dun ton menaant.

Non, monsieur; car ce secret, jai plus dintrt encore que vous le garder.

Alors vous tes celui quon nomme Gilbert? dit Balsamo.

Oui, monsieur le comte.

Balsamo enveloppa de son regard profond et dvorant le jeune homme dont le nom emportait une accusation si terrible.

Il fut surpris, lui qui se connaissait en hommes, de lassurance de son maintien, de la dignit de sa parole.

Gilbert stait pos devant une table sur laquelle il ne sappuyait pas; une de ses mains effiles, blanches mme malgr lhabitude des travaux rustiques, tait cache dans sa poitrine; lautre tombait avec grce son ct.

Je vois votre contenance, dit Balsamo, ce que vous venez faire ici: vous savez quune dnonciation terrible a t faite contre vous par mademoiselle de Taverney, quavec laide de la science jai force de dire la vrit; vous venez me reprocher ce tmoignage, nest-ce pas? cette vocation dun secret qui, sans moi, ft rest envelopp dans les tnbres comme dans une tombe?

Gilbert se contenta de secouer la tte.

Vous auriez tort cependant, continua Balsamo; car, en admettant que jeusse voulu vous dnoncer sans y tre forc par mon intrt, moi que lon accusait; en admettant que je vous eusse trait en ennemi, que je vous eusse attaqu tandis que je me contentais de me dfendre; en admettant, dis-je, tout cela, vous navez le droit de rien dire, car, en vrit, vous avez commis une lche action.

Gilbert froissa rudement sa poitrine avec ses ongles, mais il ne rpondit encore rien.

Le frre vous poursuivra, et la sur vous fera tuer, reprit Balsamo, si vous avez limprudence de vous promener comme vous faites dans les rues de Paris.

Oh! quant cela, peu mimporte, dit Gilbert.

Comment, peu vous importe?

Oui; jaimais mademoiselle Andre; je laimais comme elle ne sera aime de personne; mais elle ma mpris, moi qui avais des sentiments si respectueux pour elle; elle ma mpris, moi qui dj deux fois lavais tenue entre mes bras, sans mme oser approcher mes lvres du bas de sa robe.