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Aussitt cette volont formule dans lesprit de Balsamo, un courant magntique stait tabli entre lui et la jeune femme, laquelle, obissant lordre quelle recevait par intuition, stait leve et retire sans que personne soppost son dpart.

M. de Sartine, le soir mme, se mit au lit et se fit saigner; la rvolution avait t trop forte pour quil put la supporter impunment, et un quart dheure de plus, assura le mdecin, il et succomb une attaque dapoplexie.

Pendant ce temps, Balsamo avait reconduit la comtesse son carrosse, et avait essay de prendre cong delle; mais elle ntait pas femme le quitter ainsi sans savoir, ou tout au moins sans chercher savoir le mot de ltrange vnement qui venait de saccomplir sous ses yeux.

Elle pria donc le comte de monter prs delle; le comte obit, et un piqueur emmena Djrid en main.

Vous voyez, comte, si je suis loyale, dit-elle, et si, quand jai appel quelquun mon ami, jai dit la parole avec la bouche ou avec le cur. Jallais retourner Luciennes, o le roi ma dit quil devait venir me voir demain matin; mais votre lettre est venue et jai tout quitt pour vous. Beaucoup se fussent pouvants de ces mots de conspirations et de conspirateurs que M. de Sartine nous jetait au visage; mais je vous ai regard avant que dagir et jai fait selon vos vux.

Madame, rpondit Balsamo, vous avez pay amplement le faible service que jai pu vous rendre; mais avec moi rien nest perdu; je sais tre reconnaissant, vous vous en apercevrez. Ne croyez pas cependant que je sois un coupable, un conspirateur, comme dit M. de Sartine. Ce cher magistrat avait reu des mains de quelquun qui me trahit ce coffret plein de mes petits secrets chimiques, secrets, madame la comtesse, que je veux vous faire partager, pour que vous conserviez cette immortelle, cette splendide beaut, cette blouissante jeunesse. Or, voyant les chiffres de mes formules, le cher M. de Sartine a appel son aide la chancellerie, laquelle, pour ne pas se laisser prendre en dfaut, a interprt mes chiffres sa manire. Je crois vous lavoir dit une fois, madame, le mtier nest pas encore affranchi de tous les prils qui lentouraient au Moyen ge; il ny a que les esprits intelligents et jeunes comme le vtre qui lui soient favorables. Bref, madame, vous mavez sauv dun embarras; je vous en tmoigne et vous en prouverai ma reconnaissance.

Mais que vous et-il donc fait si je ne fusse pas venue votre secours?

Il met, pour faire pice au roi Frdric, que Sa Majest dteste, renferm Vincennes ou la Bastille. Jen serais sorti, je le sais bien, grce mon procd pour fondre la pierre sous le souffle; mais jeusse perdu cela mon coffret, qui renferme, jai eu lhonneur de vous le dire, beaucoup de curieuses et dimpayables formules, arraches par un heureux hasard de la science aux ternelles tnbres.

Ah! comte, vous me rassurez et me charmez tout la fois. Vous me promettez donc un philtre pour rajeunir?

Oui.

Et quand me le donnerez-vous?

Oh! nous ne sommes pas presss. Vous me le demanderez dans vingt ans, belle comtesse. Maintenant, je pense que vous navez pas envie de redevenir enfant.

Vous tes un homme charmant, en vrit; mais une dernire question et je vous laisse, car vous me semblez fort press.

Parlez, comtesse.

Vous mavez dit que quelquun vous avait trahi: est-ce un homme ou une femme?

Cest une femme.

Ah! ah! comte: de lamour!

Hlas! oui, doubl dune jalousie qui va jusqu la rage, et qui produit les beaux effets que vous avez vus; voil une femme qui, nosant me donner un coup de couteau, parce quelle sait quon ne me tue pas, a voulu me faire enterrer dans une prison ou me ruiner.

Comment, vous ruiner?

Elle le croyait du moins.

Comte, je fais arrter, dit la comtesse en riant. Est-ce donc au vif-argent qui court dans vos veines que vous devez cette immortalit qui fait quon vous dnonce au lieu de vous tuer? Faut-il que je vous descende ici ou que je vous reconduise chez vous?

Non, madame; ce serait trop de bont vous que de vous dranger pour moi de votre chemin. Jai l mon cheval Djrid.

Ah! ce merveilleux animal qui dpasse, dit-on, le vent la course?

Je vois quil vous plat, madame.

Cest un magnifique coursier, en effet.

Permettez-moi de vous loffrir, cette condition que vous le monterez seule.

Oh! non, merci; je ne monte pas cheval, ou du moins jy monte fort timidement. Votre intention a donc pour moi tout le mrite du prsent. Adieu, cher comte, noubliez pas, dans dix ans, mon philtre rgnrateur.

Jai dit vingt ans.

Comte, vous connaissez le proverbe: Jaime mieux tenir Et mme, si vous pouvez me le donner dans cinq ans On ne sait pas ce qui peut arriver.

Quand il vous plaira, comtesse. Ne savez-vous pas que je suis tout vous?

Un dernier mot, comte.

Jcoute, madame.

Il faut que je vous aie en bien grande confiance pour vous ladresser.

Balsamo, qui avait dj mis pied terre, surmonta son impatience et se rapprocha de la comtesse.

On dit partout, continua madame du Barry, que le roi a du got pour cette petite Taverney.

Ah! madame, dit Balsamo, est-ce possible?

Un got fort vif, ce quon prtend. Il faut que vous me le disiez: si cela est vrai, comte, ne me mnagez pas; comte, traitez-moi en amie, je vous en conjure; comte, dites-moi la vrit.

Madame, rpliqua Balsamo, je ferai plus; je vous garantis, moi, que jamais mademoiselle Andre ne sera la matresse du roi.

Et pourquoi cela, comte? scria madame du Barry.

Parce que je ne le veux pas, dit Balsamo.

Oh! fit madame du Barry, incrdule.

Vous doutez?

Nest-ce point permis?

Ne doutez jamais de la science, madame. Vous mavez cru quand jai dit oui; quand je dis non, croyez-moi.

Mais enfin vous avez donc des moyens?

Elle sarrta en souriant.

Achevez.

Des moyens capables dannihiler la volont du roi ou de combattre ses caprices?

Balsamo sourit.

Je cre des sympathies, dit-il.

Oui, je sais cela.

Vous y croyez mme.

Jy crois.

Eh bien, je crerai de mme des rpugnances, et, au besoin, des impossibilits. Ainsi tranquillisez-vous, comtesse, je veille.

Balsamo rpandait tous ces lambeaux de phrases avec un garement que madame du Barry net pas pris, comme elle le prit, pour de la divination, si elle eut connu toute la soif fivreuse quavait Balsamo de retrouver Lorenza au plus vite.

Allons, dit-elle, dcidment, comte, vous tes non seulement mon prophte de bonheur, mais encore mon ange gardien. Comte, faites-y bien attention, je vous dfendrai, dfendez-moi. Alliance! alliance!

Cest fait, madame, rpliqua Balsamo.

Et il baisa encore une fois la main de la comtesse.

Puis, refermant la portire du carrosse, que la comtesse avait fait arrter aux Champs-lyses, il monta sur son cheval, qui hennit de joie, et disparut bientt dans lombre de la nuit.

Luciennes! cria madame du Barry console.

Balsamo, cette fois, fit entendre un lger sifflement, pressa lgrement les genoux et enleva Djrid, qui partit au galop.

Cinq minutes aprs, il tait dans le vestibule de la rue Saint-Claude, regardant Fritz.

Eh bien? demanda-t-il avec anxit.

Oui, matre, rpondit le domestique, qui avait lhabitude de lire dans son regard.

Elle est rentre?

Elle est l-haut.

Dans quelle chambre?

Dans la chambre aux fourrures.

Dans quel tat?

Oh! bien fatigue; elle courait si rapidement que, moi qui la vis venir de loin, parce que je la guettais, je neus pas mme le temps de courir au devant delle.