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Cest cela, et vous lui avez fait payer ce respect: vous vous tes veng de ses mpris, par quoi? par un guet-apens.

Oh! non, non; le guet-apens ne vient pas de moi; une occasion de commettre le crime ma t fournie.

Par qui?

Par vous.

Balsamo se redressa comme si un serpent let piqu.

Par moi? scria-t-il.

Par vous, oui, monsieur, par vous, rpta Gilbert; monsieur, vous avez endormi mademoiselle Andre; puis vous vous tes enfui; mesure que vous vous loigniez, les jambes lui manquaient; elle a fini par tomber. Je lai prise dans mes bras alors pour la reporter dans sa chambre; jai senti sa chair prs de ma chair: un marbre ft devenu vivant! moi, qui aimais, jai cd mon amour. Suis-je donc aussi criminel quon le dit, monsieur? Je vous le demande vous, vous la cause de mon malheur.

Balsamo reporta sur Gilbert son regard charg de tristesse et de piti.

Tu as raison, enfant, dit-il, cest moi qui ai caus ton crime et linfortune de cette jeune fille.

Et, au lieu dy porter remde, vous qui tes un homme si puissant et qui devriez tre si bon, vous avez aggrav le malheur de la jeune fille, vous avez suspendu la mort sur la tte du coupable.

Cest vrai, rpliqua Balsamo, et tu parles sagement. Depuis quelque temps, vois-tu, jeune homme, je suis une crature maudite, et tous mes desseins en sortant de mon cerveau, prennent des formes menaantes et nuisibles; cela tient des malheurs que, moi aussi, jai subis, et que tu ne comprends pas. Toutefois, ce nest point une raison pour que je fasse souffrir les autres: que demandes-tu? Voyons.

Je vous demande le moyen de tout rparer, monsieur le comte, crime et malheur.

Tu aimes cette jeune fille?

Oh! oui.

Il y a bien des sortes damour. De quel amour laimes-tu?

Avant de la possder, je laimais avec dlire; aujourdhui, je laime avec fureur. Je mourrais de douleur si elle me recevait avec colre; je mourrais de joie si elle me permettait de baiser ses pieds.

Elle est fille noble, mais elle est pauvre, dit Balsamo rflchissant.

Oui.

Cependant, son frre est un homme de cur que je crois peu entich du vain privilge de la noblesse. Quarriverait-il si tu demandais ce frre dpouser sa sur?

Il me tuerait, rpondit froidement Gilbert; cependant, comme je dsire plutt la mort que je ne la crains, si vous me conseillez de faire cette demande, je la ferai.

Balsamo rflchit.

Tu es un homme desprit, dit-il, et lon dirait encore que tu es un homme de cur, bien que tes actions soient vraiment criminelles, ma complicit part. Eh bien, va trouver, non pas M. de Taverney le fils, mais le baron de Taverney, son pre, et dis-lui, dis-lui, entends-tu bien, que le jour o il taura permis dpouser sa fille, tu apporteras une dot mademoiselle Andre.

Je ne puis pas dire cela, monsieur le comte: je nai rien.

Et moi, je te dis que tu lui porteras en dot cent mille cus que je te donnerai pour rparer le malheur et le crime, ainsi que tu le disais tout lheure.

Il ne me croira pas, il me sait pauvre.

Eh bien, sil ne te croit pas, tu lui montreras ces billets de caisse, et, en les voyant, il ne doutera plus.

En disant ces mots, Balsamo ouvrit le tiroir dune table et compta trente billets de caisse de dix mille livres chacun.

Puis il les remit Gilbert.

Et cest de largent, cela? demanda le jeune homme.

Lis.

Gilbert jeta un avide regard sur la liasse quil tenait la main et reconnut la vrit de ce que lui disait Balsamo.

Un clair de joie brilla dans ses yeux.

Il serait possible! scria-t-il. Mais non, une pareille gnrosit serait trop sublime.

Tu es dfiant, dit Balsamo; tu as raison, mais habitue-toi choisir tes sujets de dfiance. Prends donc ces cent mille cus, et va chez M. de Taverney.

Monsieur, dit Gilbert, tant quune pareille somme maura t donne sur une simple parole, je ne croirai pas la ralit de ce don.

Balsamo prit une plume et crivit:

Je donne en dot Gilbert, le jour o il signera son contrat de mariage avec mademoiselle Andre de Taverney, la somme de cent mille cus que je lui ai remise davance, dans lespoir dune heureuse ngociation.

Joseph Balsamo.

Prends ce papier, va, et ne doute plus.

Gilbert reut le papier dune main tremblante.

Monsieur, dit-il, si je vous dois un pareil bonheur, vous serez le dieu que jadorerai sur la terre.

Il ny a quun Dieu quil faille adorer, rpondit gravement Balsamo, et ce nest pas moi. Allez, mon ami.

Une dernire grce, monsieur?

Laquelle?

Donnez-moi cinquante livres.

Tu me demandes cinquante livres quand tu en tiens trois cent mille entre tes mains?

Ces trois cent mille livres ne seront moi, dit Gilbert, que le jour o mademoiselle Andre consentira mpouser.

Et pourquoi faire ces cinquante livres?

Afin que jachte un habit dcent avec lequel je puisse me prsenter chez le baron.

Tenez, mon ami, voil, dit Balsamo.

Et il lui donna les cinquante livres quil dsirait.

L-dessus, il congdia Gilbert dun signe de tte, et, du mme pas lent et triste, il rentra dans ses appartements.

Chapitre 152. Les projets de Gilbert

Une fois dans la rue, Gilbert laissa refroidir cette fivreuse imagination qui, aux derniers mots du comte, lavait emport au del, non seulement du probable, mais encore du possible.

Arriv la rue Pastourel, il sassit sur une borne, et, jetant les yeux autour de lui pour sassurer que personne ne lespionnait, il tira de sa poche les billets de caisse tout froisss par le serrement de sa main.

Cest quune ide terrible lui tait passe par lesprit et lui avait fait venir la sueur au front.

Voyons, dit-il en regardant les billets, si cet homme ne ma point tromp; voyons sil ne ma pas tendu un pige; voyons sil ne menvoie pas une mort certaine sous le prtexte de me procurer un bonheur certain; voyons sil ne fait pas pour moi ce que lon fait pour le mouton quon attire labattoir en lui offrant une poigne dherbe fleurie. Jai ou dire quil courait un grand nombre de faux billets de caisse, laide desquels les rous de la cour trompaient les filles dOpra. Voyons si le comte ne maurait pas pris pour dupe.

Et il dtacha de la liasse un de ces billets de dix mille livres; puis, entrant chez un marchand, il demanda, en montrant le billet, ladresse dun banquier pour le changer, ainsi que son matre, disait-il, len avait charg.

Le marchand regarda le billet, le tourna et le retourna en ladmirant fort, car la somme tait pompeuse et sa boutique bien modeste; puis il indiqua, rue Saint-Avoie, le financier dont Gilbert avait besoin.

Donc, le billet tait bon.

Gilbert, joyeux et tout gonfl de sa joie, rendit aussitt les rnes son imagination, serra plus prcieusement que jamais la liasse dans son mouchoir, et, avisant rue Saint-Avoie un fripier dont ltalage le sduisit, il fit emplette pour vingt-cinq livres, cest--dire pour un des deux louis que Balsamo lui avait donns, dun habit complet de petit drap marron, dont la propret le charma, dune paire de bas de soie noire un peu fans, et de souliers boucles luisantes; une chemise de toile assez fine complta le costume, plus dcent que riche, dans lequel Gilbert sadmira par un seul coup dil donn dans le miroir du fripier.

Puis, laissant ses vieilles hardes comme appoint des vingt-cinq livres, il serra le prcieux mouchoir dans sa poche et passa de la boutique du fripier dans celle du perruquier, lequel, en un quart dheure, acheva de rendre lgante et mme belle cette tte si remarquable du protg de Balsamo.

Enfin, lorsque toutes ces oprations furent accomplies, Gilbert entra chez un boulanger qui demeurait prs de la place Louis XV, et acheta dans sa boutique pour deux sous de pain, quil mangea rapidement en suivant la route de Versailles.