Выбрать главу

Il quitta la lucarne, et, aprs avoir donn un coup dil ses habits, il descendit lescalier pour se rendre chez Balsamo.

Chapitre 155. Au 15 dcembre

Gilbert nprouva, de la part de Fritz, aucune difficult pour tre introduit prs de Balsamo.

Le comte se reposait sur un sofa, comme les gens riches et oisifs, de la fatigue davoir dormi toute la nuit; du moins cest ce que pensa Gilbert en le voyant ainsi tendu une pareille heure.

Il faut croire que lordre avait t donn au valet de chambre dintroduire Gilbert aussitt quil se prsenterait, car il neut pas besoin de dire son nom ou mme douvrir la bouche.

son entre dans le salon, Balsamo se souleva lgrement sur son coude et referma son livre, quil tenait ouvert sans le lire.

Oh! oh! dit-il, voici un garon qui se marie.

Gilbert ne rpondit rien.

Cest bon, fit le comte en reprenant son attitude insolente, tu es heureux et tu es presque reconnaissant. Cest fort beau. Tu viens me remercier; cest du superflu. Garde cela, Gilbert, pour de nouveaux besoins. Les remerciements sont une monnaie de retour qui satisfait beaucoup de gens lorsquelle est distribue avec un sourire. Va, mon ami, va.

Il y avait dans ces paroles et dans le ton que Balsamo avait mis les prononcer quelque chose de profondment lugubre et doucereux, qui frappa Gilbert la fois comme un reproche et comme une rvlation.

Non, dit-il, vous vous trompez, monsieur, je ne me marie pas du tout.

Ah! fit le comte, que fais-tu donc alors? Que test-il arriv?

Il est arriv quon ma conduit, rpliqua Gilbert.

Le comte se retourna tout fait.

Tu ty es mal pris, mon cher.

Mais non pas, monsieur; je ne crois pas, du moins.

Qui ta vinc?

La demoiselle.

Ctait certain; pourquoi nas-tu pas parl au pre?

Parce que la fatalit na pas voulu.

Ah! nous sommes fataliste?

Je nai pas le moyen davoir de la foi.

Balsamo frona le sourcil, et regarda Gilbert avec une sorte de curiosit.

Ne parle pas ainsi des choses que tu ne connais pas, dit-il; chez les hommes faits, cest de la btise; chez les enfants, cest de loutrecuidance. Je te permets davoir de lorgueil, mais non dtre un imbcile; dis-moi que tu nas pas le moyen dtre un sot, et je tapprouverai. Au rsum, quas-tu fait?

Voici. Jai voulu, comme les potes, aller songer au lieu dagir; jai voulu maller promener dans des alles o javais eu du plaisir rver damour, et tout coup la ralit sest prsente moi sans que je fusse prpar: la ralit ma tu sur place.

Cest encore bien fait, Gilbert; car un homme, dans la situation o tu te trouves, ressemble aux claireurs dune arme. Ces gens-l ne doivent marcher que le mousqueton au poing droit et la lanterne sourde au poing gauche.

Enfin, monsieur, jai chou; mademoiselle Andre ma appel sclrat, assassin, et ma dit quelle me ferait tuer.

Bon! mais son enfant?

Elle ma dit que son enfant tait elle, non moi.

Aprs?

Aprs, je me suis retir.

Ah!

Gilbert releva la tte.

Queussiez-vous fait, vous? dit-il.

Je ne sais pas encore; dis-moi ce que tu veux faire.

La punir de ce quelle ma fait subir dhumiliations.

Cest un mot, cela.

Non, monsieur, cest une rsolution.

Mais tu tes laiss peut-tre arracher ton secret ton argent?

Mon secret est moi, et je ne le laisserai prendre personne; largent tait vous, je le rapporte.

Et Gilbert ouvrit sa veste et en tira les trente billets de caisse, quil compta minutieusement en les talant sur la table de Balsamo.

Le comte les prit, les plia, toujours en observant Gilbert, dont le visage ne trahit pas la plus lgre motion.

Il est honnte, il nest pas avide Il a de lesprit, de la fermet cest un homme, pensa-t-il.

Maintenant, monsieur le comte, dit Gilbert, jai vous rendre raison de deux louis que vous mavez donns.

Nexagre rien, rpliqua Balsamo; cest beau de rendre cent mille cus, cest puril de rendre quarante-huit livres.

Je ne voulais pas vous les rendre; je voulais seulement vous dire ce que jai fait de ces louis afin que vous sachiez pertinemment que jai besoin den avoir dautres.

Voil qui est diffrent Tu demandes, alors?

Je demande

Pourquoi?

Pour faire une chose de ce que vous avez tout lheure nomm un mot.

Soit. Tu veux te venger?

Noblement, je le crois.

Je nen doute pas; mais cruellement, est-ce vrai?

Cest vrai.

Combien te faut-il?

Il me faut vingt mille livres.

Et tu ne toucheras pas cette jeune femme? dit Balsamo croyant arrter Gilbert par cette question.

Je ne la toucherai pas.

Son frre?

Non plus; son pre non plus.

Tu ne la calomnieras pas?

Je nouvrirai jamais la bouche pour prononcer son nom.

Bien, je te comprends Mais cest tout un, de poignarder une femme avec le fer, ou de la tuer par des bravades continuelles Tu veux la braver en te montrant, en la suivant, en laccablant de sourires pleins dinsulte et de haine.

Je veux si peu faire ce que vous dites, que je viens vous demander, au cas o lenvie me prendrait de quitter la France, un moyen de passer la mer sans quil men cote.

Balsamo se rcria.

Matre Gilbert, dit-il de sa voix la fois aigre et caressante, qui ne contenait cependant ni douleur ni joie; matre Gilbert, il me semble que vous ntes pas consquent avec votre talage de dsintressement. Vous me demandez vingt mille livres, et, sur ces vingt mille livres, vous nen pouvez prendre mille pour vous embarquer?

Non, monsieur, et cela pour deux raisons.

Voyons les raisons.

La premire, cest que je naurai effectivement pas un denier le jour o je membarquerai; car, notez bien ceci, monsieur le comte, ce nest pas pour moi que je demande; je demande pour la rparation dune faute que vous mavez facilite

Ah! tu es tenace! dit Balsamo la bouche crispe.

Parce que jai raison. Je vous demande de largent pour rparer, vous dis-je, et non pour vivre ou pour me consoler; pas un sou de ces vingt mille livres neffleurera ma poche: ils ont leur destination.

Ton enfant, je vois cela

Mon enfant, oui, monsieur, rpliqua Gilbert avec un certain orgueil.

Mais toi?

Moi, je suis fort, libre et intelligent; je vivrai toujours; je veux vivre!

Oh! tu vivras! Jamais Dieu na donn une volont de cette force des mes qui doivent quitter prmaturment la terre. Dieu habille chaudement les plantes qui ont besoin de braver de longs hivers; il donne la cuirasse dacier aux curs qui ont subir les longues preuves. Mais tu avais, ce me semble, annonc deux motifs pour ne pas garder mille livres: la dlicatesse dabord

Ensuite la prudence. Le jour o je quitterai la France, force me sera de me cacher Ce nest donc pas en allant trouver un capitaine dans un port, en lui remettant de largent car je prsume que cest ainsi quon fait , ce nest pas, dis-je, en mallant vendre moi-mme que je russirai me cacher.

Alors, tu supposes que je puis taider disparatre?

Je sais que vous le pouvez.

Qui te la dit?

Oh! vous avez trop de moyens surnaturels votre disposition pour navoir pas aussi larsenal tout entier des moyens naturels. Un sorcier nest jamais si sr de lui quil nait quelque bonne porte de salut.

Gilbert, dit tout coup Balsamo en tendant la main sur le jeune homme, tu es un esprit aventureux, hardi; tu es ptri de bien et de mal, comme une femme; tu es stoque et probe sans affterie; je ferai de toi un homme trs grand; demeure avec moi. Je te crois capable de reconnaissance; demeure ici, te dis-je, cet htel est un asile sr; moi, dailleurs, je quitte lEurope dans quelques mois, je temmnerai.