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Quoi! mme avec ma protection?

Surtout avec votre gracieuse protection, madame, dit Philippe rsolument.

Cest vrai! murmura la princesse en plissant.

Et puis, madame, non joubliais, joubliais en vous parlant, quil ny a plus de bonheur sur la terre joubliais que, rentr dans lombre, je nen dois plus sortir; dans lombre un homme de cur prie et se souvient!

Philippe pronona ces mots avec un accent qui fit tressaillir la princesse.

Un jour viendra, dit-elle, o jaurai le droit de dire ce que je ne puis que penser en ce moment. Monsieur, votre sur peut, ds quil lui plaira, entrer Saint-Denis.

Merci, madame, merci.

Quant vous je veux que vous madressiez une demande.

Mais, madame

Je le veux!

Philippe vit sabaisser vers lui la main gante de la princesse; cette main demeurait suspendue comme dans lattente; peut-tre nexprimait-elle que la volont.

Le jeune homme sagenouilla, prit cette main, et lentement, avec un cur gonfl, palpitant, y posa ses lvres.

Cette demande! voyons, dit la dauphine si mue, quelle ne retira pas sa main.

Philippe courba la tte. Un flot damres penses lengloutit comme le naufrag dans une tempte Il demeura quelques secondes muet et immobile; puis, se relevant dcolor et les yeux teints:

Un passeport pour quitter la France, dit-il, le jour o ma sur entrera dans le couvent de Saint-Denis.

La dauphine se recula comme pouvante; puis, voyant toute cette douleur que sans doute elle comprit, que peut-tre elle partageait, elle ne trouva rien rpondre que ces mots peine intelligibles:

Cest bien.

Et elle disparut dans une alle de cyprs, les seuls qui eussent conserv intactes leurs feuilles ternelles, parure des tombeaux.

Chapitre 157. Lenfant sans pre

Le jour de douleur, le jour de honte approchait. Andre, malgr les visites de plus en plus frquentes du bon docteur Louis, malgr les soins affectueux et les consolations de Philippe, sassombrissait dheure en heure, comme les condamns que leur dernire heure menace.

Ce frre malheureux trouvait quelquefois Andre rveuse et frmissante Ses yeux taient secs pendant des journes entires, elle ne laissait chapper aucune parole; puis, tout coup, se levant, elle faisait deux ou trois tours prcipits dans sa chambre, essayant, comme Didon, de slancer hors delle-mme, cest--dire hors de la douleur qui la tuait.

Un soir enfin, la voyant plus ple, plus inquite, plus nerveuse que de coutume, Philippe envoya chercher le docteur, pour quil arrivt dans la nuit mme.

Ctait le 29 novembre. Philippe avait eu lart de prolonger fort tard la veille dAndre; il avait abord avec elle les sujets de conversation les plus tristes, les plus intimes, ceux mme que la jeune fille redoutait, comme le bless redoute les approches dune main brutale et lourde pour sa blessure.

Il tait assis auprs du feu; la servante, en allant Versailles chercher le docteur, avait oubli de fermer les persiennes, en sorte que le reflet de la lampe, celui du feu mme, clairait doucement le tapis de neige jet sur le sable du jardin par les premiers froids de lhiver.

Philippe laissa venir le moment o lesprit dAndre commenait se tranquilliser; puis, sans prambule:

Chre sur, dit-il, avez-vous enfin pris votre rsolution?

quel sujet? rpondit Andre avec un douloureux soupir.

Au sujet de votre enfant, ma sur.

Andre tressaillit.

Le moment approche, continua Philippe.

Mon Dieu!

Et je ne serais pas surpris que demain

Demain?

Aujourdhui mme, chre sur.

Andre devint si ple, que Philippe, effray, lui prit et lui baisa la main.

Andre se remit aussitt.

Mon frre, dit-elle, je naurai pas avec vous de ces hypocrisies qui dshonorent les mes vulgaires. Le prjug du bien est chez moi confondu avec le prjug du mal. Ce qui est mal, je ne le connais plus depuis que je me dfie de ce qui est bien. Ainsi, ne me jugez pas plus rigoureusement quon ne juge une folle, moins que vous ne prfriez prendre au srieux la philosophie que je vais vous esquisser, et qui, je vous jure, est lexpression parfaite, unique de mes sentiments, comme le rsum de mes sensations.

Quoi que vous disiez, Andre, quoi que vous fassiez, vous serez toujours pour moi la plus chrie, la plus respecte des femmes.

Merci, mon seul ami. Jose dire que je ne suis pas indigne de ce que vous me promettez. Je suis mre, Philippe; mais Dieu a voulu, je le crois du moins, ajouta-t-elle en rougissant, que la maternit ft, chez la crature, un tat analogue celui de la fructification chez la plante. Le fruit ne vient quaprs la fleur. Pendant la floraison, la plante sest prpare, transforme; car la floraison, mon sens, cest lamour.

Vous avez raison, Andre.

Moi, reprit vivement la jeune fille, moi, je nai connu ni prparation, ni transformation; moi, je suis une anomalie; moi, je nai pas aim, je nai pas dsir; moi, jai lesprit et le cur aussi vierges que le corps Et cependant! triste prodige! ce que je nai pas dsir, ce que je nai pas rv mme, Dieu me lenvoie lui qui na jamais donn de fruits larbre cr pour tre strile O sont chez moi les aptitudes, les instincts? O sont les ressources mme? La mre qui souffre les douleurs de lenfantement connat et apprcie son sort; moi, je ne sais rien; moi, je tremble de penser; moi, je vais ce dernier jour comme si jallais lchafaud Philippe, je suis maudite!

Andre, ma sur!

Philippe, reprit-elle avec une vhmence inexprimable, ne sens-je pas bien que je hais cet enfant? Oh! oui, je le hais! je me rappellerai toute ma vie, si je vis, Philippe, le jour o pour la premire fois sveilla dans mon flanc cet ennemi mortel que je porte; je frissonne encore quand je me souviens que ce tressaillement, si doux aux mres, de cette crature innocente alluma dans mon sang une fivre de colre et fit monter le blasphme mes lvres, jusque-l si pures. Philippe, je suis une mauvaise mre! Philippe, je suis maudite!

Au nom du ciel, bonne Andre, calme-toi; ngare pas ton cur avec ton esprit. Cet enfant, cest ta vie et le sang de tes entrailles; cet enfant, je laime, car il vient de toi.

Tu laimes! scria-t-elle, furieuse et livide; tu oses me dire, moi, que tu aimes mon dshonneur et le tien! tu oses me dclarer que tu aimes ce souvenir dun crime, cette reprsentation du lche criminel! Eh bien, Philippe, je te lai dit, je ne suis pas lche, moi, je ne suis pas fausse; je hais lenfant parce quil nest pas mon enfant et que je ne lai pas appel! Je lexcre parce quil ressemblera peut-tre son pre Son pre! Oh! je mourrai un jour en prononant cet horrible mot! Mon Dieu! dit-elle en se jetant genoux sur le parquet, je ne peux tuer cet enfant sa naissance, cest vous qui lavez anim Je nai pu me tuer moi-mme tant que je le portais, car vous avez proscrit le suicide aussi bien que le meurtre; mais, je vous en prie, je vous en supplie, je vous en conjure, si vous tes juste, mon Dieu, si vous avez souci des misres de ce monde, et si vous navez pas dcrt que je mourrais de dsespoir aprs avoir vcu dopprobre et de larmes, mon Dieu, reprenez cet enfant! mon Dieu, tuez cet enfant! mon Dieu, dlivrez moi! vengez-moi!

Effrayante de colre et sublime daction, elle frappait son front sur le chambranle de marbre, malgr les efforts de Philippe, qui ltreignait dans ses bras.

Soudain la porte souvrit: la servante rentra, conduisant le docteur, qui, du premier regard, devina toute la scne.

Madame, dit-il avec ce calme du mdecin qui impose toujours, aux uns la contrainte, aux autres la soumission; madame, ne vous exagrez pas les douleurs de ce travail, qui ne peut tarder Vous, dit-il la servante, prparez tout ce que je vous ai dit en route. Vous, dit-il Philippe, soyez plus raisonnable que madame, et, au lieu de partager ses craintes ou ses faiblesses, joignez vos exhortations aux miennes.

Andre se releva, presque honteuse. Philippe lassit sur un fauteuil.