Le vent sengouffra en effet dans la chambre mme dAndre et secoua la flamme des bougies et de la veilleuse.
Cest la nourrice qui aura laiss une porte ou une fentre ouverte. Voyez, Marguerite, voyez Cet enfant doit avoir froid
Marguerite se dirigea vers la chambre voisine.
Je vais le couvrir, madame, dit-elle.
Non non! murmura Andre dune voix brve et saccade; apportez-le moi.
Marguerite sarrta au milieu de la chambre.
Madame, dit-elle doucement, M. Philippe avait bien recommand quon laisst lenfant l-bas de peur, sans doute, dincommoder madame ou de lui causer une motion.
Apportez-moi mon enfant! scria la jeune mre avec une explosion qui dut briser son cur, car de ses yeux, rests secs au milieu mme des souffrances, jaillirent deux larmes auxquelles durent sourire dans le ciel les bons anges protecteurs des petits enfants.
Marguerite slana dans la chambre. Andre, sur son sant, cachait son visage dans ses mains.
La servante rentra aussitt, la stupfaction sur le visage.
Eh bien? dit Andre.
Eh bien! madame il est donc venu quelquun?
Comment, quelquun? qui?
Madame, lenfant nest plus l!
Jai entendu, en effet, du bruit tout lheure, dit Andre, des pas La nourrice sera venue pendant que vous dormiez elle naura pas voulu vous rveiller Mais mon frre, o est-il? Voyez dans sa chambre.
Marguerite courut la chambre de Philippe. Personne!
Cest trange! dit Andre avec un battement de cur; mon frre serait-il dj ressorti sans me voir?
Ah! madame, scria tout coup la servante.
Quy a-t-il?
La porte de la rue vient de souvrir!
Voyez! voyez!
Cest M. Philippe qui revient Entrez, monsieur, entrez!
Philippe arrivait en effet. Derrire lui, une paysanne, enveloppe dune grossire mante de laine raye faisait la maison ce sourire bienveillant dont le mercenaire salue tout nouveau patronage.
Ma sur, ma sur, me voici, dit Philippe en pntrant dans la chambre.
Bon frre! que de peines, que de chagrins je te cause! Ah! voici la nourrice Je craignais tant quelle ne ft partie
Partie? Elle arrive.
Elle revient, veux-tu dire? Non je lai bien entendue tout lheure, si doucement quelle marcht
Je ne sais ce que tu veux dire, ma sur; personne
Oh! je te remercie, Philippe, dit Andre en lattirant prs delle, et en accentuant chacune de ses paroles, je te remercie davoir si bien augur de moi que tu naies pas voulu emporter cet enfant sans que je leusse vu embrass! Philippe, tu connaissais bien mon cur Oui, oui, sois tranquille, jaimerai mon enfant.
Philippe saisit et couvrit de baisers la main dAndre.
Dis la nourrice de me le rendre, ajouta la jeune mre.
Mais, monsieur, dit la servante, vous savez bien que cet enfant nest plus l.
Quoi? que dites-vous? rpliqua Philippe.
Andre regarda son frre avec des yeux effars.
Le jeune homme courut vers le lit de la servante; il chercha, et, ne trouvant rien, poussa un cri terrible.
Andre suivait ses mouvements dans la glace; elle le vit revenir ple, les bras inertes; elle comprit une partie de la vrit, et, rpondant comme un cho, par un soupir, au cri de son frre, elle se laissa tomber sans connaissance sur loreiller. Philippe ne sattendait ni ce malheur nouveau, ni cette douleur immense. Il rassembla toute son nergie, et, force de caresses, de consolations, de larmes, il rappela Andre la vie.
Mon enfant? murmurait Andre, mon enfant!
Sauvons la mre, se dit Philippe. Ma sur, ma bonne sur, nous sommes tous fous, ce quil parat; nous oublions que ce bon docteur a emport lenfant avec lui.
Le docteur! cria Andre avec la souffrance du doute, avec la joie de lespoir.
Mais oui; mais oui Ah! mais on perd la tte ici
Philippe, tu me jures?
Chre sur, tu nes pas plus raisonnable que moi Comment veux-tu que cet enfant ait pu disparatre?
Et il affecta un rire qui gagna nourrice et servante.
Andre se ranima.
Cependant, jai entendu, dit-elle.
Quoi?
Des pas
Philippe frissonna.
Impossible! tu dormais.
Non! non! jtais bien veille; jai entendu! jai entendu!
Eh bien, tu as entendu ce bon docteur, qui, revenu derrire moi parce quil craignait pour la sant de cet enfant, aura voulu lemporter Il men avait parl, dailleurs.
Tu me rassures.
Comment ne te rassurerais-je pas? Cest si simple.
Mais alors, moi, objecta la nourrice, moi, que fais-je ici?
Cest juste Le docteur vous attend chez vous
Oh!
Chez lui, alors. Voil cette Marguerite dormait si fort quelle naura rien entendu de ce que le docteur disait ou que le docteur naura rien voulu dire.
Andre retomba plus calme aprs cette terrible secousse.
Philippe congdia la nourrice et consigna la servante.
Puis, prenant une lampe, il examina soigneusement la porte voisine, trouva une porte du jardin ouverte, vit des empreintes de pas sur la neige et suivit ces empreintes jusqu la porte du jardin, o elles aboutissaient.
Des pas dhomme! scria-t-il. Lenfant a t enlev Malheur! malheur!
Chapitre 159. Le village dHaramont
Ces pas imprims sur la neige taient ceux de Gilbert, qui, depuis sa dernire entrevue avec Balsamo, accomplissait sa tche de surveillant et prparait sa vengeance.
Rien ne lui avait cot. Il avait russi, force de douces paroles et de petites complaisances, se faire accepter, chrir mme, par la femme de Rousseau. Le moyen tait simple: sur les trente sous par jour que Rousseau allouait son copiste, le sobre Gilbert prlevait trois fois la semaine une livre, quil employait lachat dun petit prsent destin Thrse.
Ctait quelquefois un ruban pour ses bonnets, quelquefois une friandise, ou une bouteille de vin de liqueur. La bonne dame, sensible tout ce qui flattait ses gots ou son petit orgueil, se ft au besoin contente des exclamations que poussait Gilbert table pour louer le talent culinaire de la matresse de la maison.
Car le philosophe genevois avait russi faire admettre le jeune protg la table; et, depuis les deux derniers mois, Gilbert, ainsi favoris, stait amass deux louis son trsor lui, qui dormait sous la paillasse, ct des vingt mille livres de Balsamo.
Mais quelle existence! quelle fixit dans la tenue de conduite et dans la volont! Lev au jour, Gilbert commenait par examiner de son il infaillible la position dAndre, pour reconnatre le moindre changement qui pourrait stre introduit dans lexistence si sombre et si rgulire de la recluse.
Rien alors nchappait ce regard: ni le sable du jardin sur lequel sa vue perante mesurait les empreintes du pied dAndre, ni le pli des rideaux plus ou moins hermtiquement ferms, et dont lentrebillement tait pour Gilbert un indice certain de lhumeur de la matresse; car, en ses jours de marasme, Andre se refusait mme la vue de la lumire du ciel
De cette faon, Gilbert savait ce qui se passait dans lme et ce qui se passait dans la maison.
Il avait galement trouv moyen dinterprter toutes les dmarches de Philippe, et, calculant comme il savait le faire, il ne se trompait ni sur lintention au dpart, ni sur le rsultat au retour.
Il poussa mme la minutie jusqu suivre Philippe, un soir quil allait Versailles trouver le docteur Louis Cette visite Versailles avait bien un peu troubl les ides du surveillant; mais, quand il vit, deux jours de l, le docteur se glisser furtivement dans le jardin par la rue Coq-Hron, il comprit ce qui avait t un mystre lavant-veille.
Gilbert savait les dates et nignorait pas que le moment approchait de raliser toutes ses esprances. Il avait pris autant de prcautions quil en faut pour assurer le succs dune entreprise hrisse de difficults. Voici comment son plan fut combin:
Les deux louis lui servirent louer dans le faubourg Saint-Denis un cabriolet avec deux chevaux. Cette voiture devait tre ses ordres le jour o on la requerrait.