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Puis, roulant le nouveau-n dans une couverture de laine il lemporta, laissant la porte entrebille, pour ne pas redoubler le bruit si dangereux.

Une minute aprs, il avait gagn la rue par le jardin; il courait la rencontre de son cabriolet, en chassait le postillon qui stait endormi sous la capote, et, fermant le rideau de cuir, tandis que lhomme remontait chevaclass="underline"

Un demi-louis pour toi, dit-il, si dans un quart dheure nous avons franchi la barrire.

Les chevaux, ferrs glace, partirent au galop.

Chapitre 160. La famille Pitou

Pendant la route, tout effrayait Gilbert. Le bruit des voitures qui suivaient ou dpassaient la sienne, les plaintes du vent dans les arbres desschs lui semblaient tre une poursuite organise, ou des cris pousss par ceux qui lenfant avait t pris.

Cependant, rien ne menaait. Le postillon fit bravement son devoir et les deux chevaux arrivrent fumants Dammartin lheure que Gilbert avait fixe, cest--dire avant les premires clarts du jour.

Gilbert donna son demi-louis, changea de chevaux et de postillon, et la course recommena.

Pendant toute la premire partie de la route, lenfant, soigneusement abrit par la couverture et garanti par Gilbert lui-mme, navait pas senti les atteintes du froid et navait point pouss un seul cri. Sitt que le jour parut, apercevant au loin la campagne, Gilbert se sentit plus courageux, et, pour couvrir les plaintes que lenfant commenait faire entendre, il entama une de ces ternelles chansons comme il en chantait Taverney au retour de ses chasses.

Le cri de lessieu, des soupentes, le bruit de ferraille de toute la voiture, les grelots des chevaux, lui firent un accompagnement diabolique dont le postillon augmenta lui-mme lintensit en mlant au refrain de Gilbert les clats dune Bourbonnaise tant soit peu sditieuse.

Il en rsulta que ce dernier conducteur ne souponna mme pas que Gilbert emportait un enfant dans le cabriolet. Il arrta ses chevaux en avant de Villers-Cotterts, reut, comme on en tait convenu, le prix du voyage, plus un cu de six livres, et Gilbert reprenant son fardeau soigneusement enferm par les plis de la couverture, entonnant le plus srieusement possible sa chanson, sloigna subitement, enjamba un foss et disparut dans un sentier jonch de feuilles, qui descendait, en tournoyant gauche de la route, vers le village dHaramont.

Le temps stait mis au froid. Plus de neige depuis quelques heures; un terrain ferme et hriss de broussailles aux longs filaments, aux touffes pineuses. Au-dessus se dessinaient, sans feuilles et attrists, les arbres de la fort, par les branchages desquels brillait lazur ple dun ciel encore embrum.

Lair si vif, les parfums des essences de chne, les perles de glace suspendues aux extrmits des branches, toute cette libert, toute cette posie frapprent vivement limagination du jeune homme.

Il marcha dun pas rapide et fier par la petite ravine, sans broncher, sans chercher; car il interrogeait, au milieu des bouquets darbres, le clocher du hameau et la fume bleue des chemines qui filtrait parmi les treillis gristres des branchages. Au bout dune petite demi-heure, il franchissait un ruisseau bord de lierre et de cresson jaunis, et demandait, la premire cabane, aux enfants dun laboureur, de le conduire chez Madeleine Pitou.

Muets et attentifs, sans tre hbts ni immobiles comme dautres paysans, les enfants se levrent, et regardant ltranger dans les yeux, ils le conduisirent, se tenant par la main, jusqu une chaumire assez grande, dassez bonne apparence, et situe sur le bord du ruisseau qui longeait la plupart des maisons du village.

Ce ruisseau roulait ses eaux limpides et un peu grossies par les premires fontes de neige. Un pont de bois, cest--dire une grosse planche, joignait la route aux degrs de terre qui conduisaient la maison.

Lun des enfants, ses guides, montra de la tte Gilbert que l demeurait Madeleine Pitou.

L? rpta Gilbert.

Lenfant baissa le menton sans articuler un mot.

Madeleine Pitou? demanda encore une fois Gilbert lenfant.

Et celui-ci ayant ritr sa muette affirmation, Gilbert franchit le petit pont et vint pousser la porte de la chaumire, tandis que les enfants, qui staient repris la main, regardaient de toutes leurs forces ce que venait faire chez Madeleine ce beau monsieur en habit brun, avec des souliers boucles.

Du reste, Gilbert navait encore aperu dans le village dautres cratures vivantes que ces enfants. Haramont tait bien rellement le dsert tant souhait.

Aussitt que la porte eut t ouverte, un spectacle plein de charme pour tout le monde en gnral, et pour un apprenti philosophe en particulier, frappa les regards de Gilbert.

Une robuste paysanne allaitait un bel enfant de quelques mois, tandis que, agenouill devant elle, un autre enfant, vigoureux gars de quatre cinq ans, faisait haute voix une prire.

Dans un coin de la chemine, prs dune fentre, ou plutt dun trou perc dans la muraille et ferm par une vitre, une autre paysanne de trente-cinq trente-six ans filait du lin, son rouet droite delle, un tabouret de bois sous ses pieds, un bon gros chien caniche sur ce tabouret.

Le chien, apercevant Gilbert, aboya dune faon assez hospitalire et civile, tout juste ce quil fallait pour tmoigner de sa vigilance. Lenfant en prires se retourna, coupant la phrase du Pater, et les deux femmes poussrent une sorte dexclamation qui tenait le milieu entre la surprise et la joie.

Gilbert commena par sourire la nourrice.

Bonne dame Madeleine, dit-il, je vous salue.

La paysanne fit un bond.

Monsieur sait mon nom? dit-elle.

Comme vous voyez; mais ne vous interrompez pas, je vous prie. En effet, au lieu dun nourrisson que vous avez, vous allez en avoir deux.

Et il dposa sur le berceau grossier de lenfant campagnard le petit enfant citadin quil avait apport.

Oh! quil est mignon! scria la paysanne qui filait.

Oui, sur Anglique, bien mignon, dit Madeleine.

Madame est votre sur? demanda Gilbert en dsignant la fileuse.

Ma sur, oui, monsieur, rpliqua Madeleine; la sur de mon homme.

Oui, ma tante, ma tante Glique, murmura dune voix de basse-taille le marmot, qui se mlait la conversation sans stre relev.

Tais-toi, Ange, tais-toi, dit la mre; tu interromps monsieur.

Ce que jai vous proposer est bien simple, bonne dame. Lenfant que voici est fils dun fermier de mon matre un fermier ruin Mon matre, parrain de cet enfant, veut quil soit lev la campagne, et quil devienne un bon laboureur bonne sant bonnes murs Voulez-vous vous charger de cet enfant?

Mais, monsieur

Il est n hier, et na pas encore eu de nourrice, interrompit Gilbert. Dailleurs, cest le nourrisson dont a d vous parler matre Niquet, tabellion Villers-Cotterts.

Madeleine saisit aussitt lenfant et lui donna le sein avec une imptuosit gnreuse qui attendrit profondment Gilbert.

On ne mavait pas tromp, dit-il; vous tes une brave femme. Je vous confie donc cet enfant au nom de mon matre. Je vois quil sera heureux ici, et je veux quil apporte en cette chaumire un rve de bonheur en change de celui quil y trouvera. Combien avez-vous pris par mois aux enfants de matre Niquet, de Villers-Cotterts?

Douze livres, monsieur; mais M. Niquet est riche, et il ajoutait bien par ci par-l quelques livres pour le sucre et lentretien.

Mre Madeleine, dit Gilbert avec fiert, lenfant que voici vous payera vingt livres par mois, ce qui fait deux cent quarante livres par an.

Jsus! scria Madeleine; merci, monsieur.

Voici la premire anne, dit Gilbert en talant sur la table dix beaux louis qui firent ouvrir de grands yeux aux deux femmes, et sur lesquels le petit Ange Pitou allongea sa main dvastatrice.

Mais monsieur, si lenfant ne vivait pas? objecta timidement la nourrice.