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Ses cris que jentendais?

Furent son adieu la vie.

Andre cacha son visage dans ses mains, tandis que les deux hommes, confondant leur pense dans un loquent regard, sapplaudissaient de leur pieux mensonge.

Soudain Marguerite rentra tenant une lettre Cette lettre tait adresse Andre La suscription portait:

Mademoiselle Andre de Taverney, Paris, rue Coq-Hron, 9, la premire porte cochre en partant de la rue Pltrire.

Philippe la montra au docteur par-dessus la tte dAndre, qui ne pleurait plus, mais sabsorbait dans ses douleurs.

Qui peut lui crire ici? pensait Philippe. Nul ne connaissait son adresse, et lcriture nest pas de notre pre.

Tiens, Andre, dit Philippe, une lettre pour toi.

Sans rflchir, sans rsister, sans stonner, Andre dchira lenveloppe, et, essuyant ses yeux, dplia le papier pour lire; mais peine eut-elle parcouru les trois lignes qui composaient cette lettre, quelle poussa un grand cri, se leva comme une folle et, roidissant ses bras et ses pieds dans une contraction terrible, tomba, lourde comme une statue, dans les bras de Marguerite qui sapprochait.

Philippe ramassa la lettre et lut:

En mer, ce 13 dcembre 17

Je pars, chass par vous, et vous ne me reverrez plus; mais jemporte mon enfant, qui jamais ne vous appellera sa mre!

Gilbert.

Philippe froissa le papier avec un rugissement de rage.

Oh! dit-il en grinant des dents, javais presque pardonn le crime du hasard; mais ce crime de la volont sera puni Sur ta tte inanime, Andre, je jure de tuer le misrable la premire fois quil se prsentera devant moi. Dieu voudra que je le rencontre, car il a combl la mesure Docteur, Andre en reviendra-t-elle?

Oui, oui!

Docteur, il faut que demain Andre entre au monastre de Saint-Denis; il faut quaprs-demain je sois au plus prochain port de mer Le lche sest enfui Je le suivrai Il me faut cet enfant, dailleurs Docteur, quel est le plus prochain port de mer?

Le Havre.

Je serai au Havre dans trente-six heures, rpondit Philippe.

Chapitre 163. bord

Ds ce moment, la maison dAndre fut silencieuse et morne comme un tombeau.

La nouvelle de la mort de son fils et tu Andre peut-tre. Ceut t une de ces douleurs sourdes, lentes, qui minent perptuellement. La lettre de Gilbert fut un coup si violent, quil surexcita dans lme gnreuse dAndre tout ce quil y restait de forces et de sentiments offensifs.

Revenue elle, elle chercha des yeux son frre et la colre quelle lut dans ses yeux fut une nouvelle source de courage pour elle-mme.

Elle attendit que ses forces fussent revenues assez compltes pour que sa voix ne tremblt plus; et alors, prenant la main de Philippe:

Mon ami, dit-elle, vous me parliez ce matin du monastre de Saint Denis, o madame la dauphine ma fait accorder une cellule?

Oui, Andre.

Vous my conduirez aujourdhui mme, sil vous plat.

Merci, ma sur.

Vous, docteur, reprit Andre, pour tant de bonts, de dvouement, de charit, un remerciement serait une strile rcompense. Votre rcompense, vous, docteur, ne peut se trouver sur la terre.

Elle vint lui et lembrassa.

Ce petit mdaillon, dit-elle, renferme mon portrait, que ma mre fit faire quand javais deux ans; il doit ressembler mon fils: gardez-le, docteur, pour quil vous parle quelquefois de lenfant que vous avez mis au jour et de la mre que vous avez sauve par vos soins.

Cela dit, sans sattendrir elle-mme, Andre acheva ses prparatifs de voyage et, le soir, six heures, elle franchissait, sans oser lever la tte, le guichet du parloir de Saint-Denis, aux grilles duquel Philippe, incapable de matriser son motion, disait lui-mme un adieu peut-tre ternel.

Tout coup la force abandonna la pauvre Andre; elle revint son frre en courant, les bras ouverts; lui aussi tendait ses mains vers elle. Ils se rencontrrent, malgr le froid obstacle de la grille, et sur leurs joues brlantes leurs larmes se confondirent.

Adieu! adieu! murmura Andre, dont la douleur clata en sanglots.

Adieu! rpondit Philippe touffant son dsespoir.

Si tu retrouves jamais mon fils, dit Andre tout bas, ne permet pas que je meure sans lavoir embrass.

Sois tranquille. Adieu! adieu!

Andre sarracha des bras de son frre et, soutenue par une sur converse, elle savana, le regardant toujours dans lombre profonde du monastre.

Tant quil put la voir, il lui fit signe de la tte, puis avec son mouchoir quil agitait. Enfin, il recueillit un dernier adieu quelle lui lana du fond de la route obscure. Alors une porte de fer tomba entre eux avec un bruit lugubre et ce fut tout.

Philippe prit la poste Saint-Denis mme; son portemanteau en croupe, il courut toute la nuit, tout le jour suivant, et arriva au Havre la nuit de ce lendemain. Il coucha dans la premire htellerie qui se trouva sur son passage et, le lendemain, au point du jour, il sinformait sur le port des dparts les plus prochains pour lAmrique.

Il lui fut rpondu que le brick lAdonis appareillait le jour mme pour New-York. Philippe alla trouver le capitaine, qui terminait ses derniers prparatifs, se fit admettre comme passager en payant le prix de la traverse; puis, ayant crit une dernire fois madame la dauphine pour lui tmoigner de son dvouement respectueux et de sa reconnaissance, il envoya ses bagages dans sa chambre bord et sembarqua lui-mme lheure de la mare.

Quatre heures sonnaient la tour de Franois Ier quand lAdonis sortit du chenal avec ses huniers et sa misaine. La mer tait dun bleu sombre, le ciel rouge lhorizon. Philippe, accoud sur le bastingage, aprs avoir salu les rares passagers ses compagnons de voyage, regardait les ctes de France qui sembrumaient de fumes violettes, mesure que, prenant plus de toile, le brick cinglait plus rapidement droite, dpassant La Hve et gagnant la pleine mer.

Bientt, ctes de France, passagers, ocan, Philippe ne vit plus rien. La nuit sombre avait tout enseveli dans ses grandes ailes.

Philippe salla enfermer dans le petit lit de sa chambre pour relire la copie de la lettre quil avait envoye la dauphine, et qui pouvait passer pour une prire adresse au Crateur aussi bien que pour un adieu adress aux cratures.

Madame, avait-il crit, un homme sans espoir et sans soutien sloigne de vous avec le regret davoir si peu fait pour Votre Majest future. Cet homme sen va dans les temptes et les orages de la mer, tandis que vous restez dans les prils et les tourments du gouvernement. Jeune, belle, adore, entoure damis respectueux et de serviteurs idoltres, vous oublierez celui que votre royale main avait daign soulever au-dessus de la foule; moi je ne vous oublierai jamais; moi, je vais aller dans un nouveau monde tudier les moyens de vous servir plus efficacement sur votre trne. Je vous lgue ma sur, pauvre fleur abandonne, qui naura plus dautre soleil que votre regard. Daignez parfois labaisser jusqu elle, et, au sein de votre joie, de votre toute-puissance, dans le concert des vux unanimes, comptez, je vous en conjure, la bndiction dun exil que vous nentendrez pas, et qui, peut tre, ne vous verra plus.

la fin de cette lecture, le cur de Philippe se serra: le bruit mlancolique du vaisseau gmissant, lclat des vagues qui venaient se briser en jaillissant contre le hublot, composaient un ensemble qui et attrist des imaginations plus riantes.

La nuit se passa longue et douloureuse pour le jeune homme. Une visite que lui rendit au matin le capitaine ne le remit pas dans une situation desprit plus satisfaisante. Cet officier lui dclara que la plupart des passagers craignaient la mer et demeuraient dans leur chambre, que la traverse promettait dtre courte mais pnible, cause de la violence du vent.

Philippe prit ds lors lhabitude de dner avec le capitaine, de se faire servir djeuner dans sa chambre, et, ne se sentant pas lui-mme trs endurci contre les incommodits de la mer, il prit lhabitude de passer quelques heures sur le tillac, couch dans son grand manteau dofficier. Le reste du temps, il lemployait se faire un plan de conduite pour lavenir et soutenir son esprit par de solides lectures. Quelquefois il rencontrait les passagers ses compagnons. Ctaient deux dames qui allaient recueillir un hritage dans le nord de lAmrique, et quatre hommes, dont lun, dj vieux, avait deux fils avec lui. Tels taient les passagers des premires chambres. De lautre ct, Philippe aperut une fois quelques hommes de tournure et de mise plus communes; il ne trouva rien l qui occupt son attention.