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Devant lui tait le rivage; une barque attendait: lheure du dpart avait t annonce du bord pour huit heures, il tait huit heures et quelques minutes.

Ah! vous voil, monsieur, lui dirent les matelots Vous tes le dernier chacun a regagn le bord. Quavez-vous tu?

Philippe, entendant ce mot, perdit connaissance. On le rapporta ainsi au navire, qui commenait dappareiller.

Tout le monde est rentr? demanda le capitaine.

Voici le dernier passager que nous ramenons, rpondirent les matelots. Il aura fait une chute, car il vient de svanouir.

Le capitaine commanda une manuvre dcisive, et le brick sloigna rapidement des les Aores, juste au moment o le btiment inconnu qui lavait si longtemps inquit entrait dans le port sous le pavillon amricain.

Le capitaine de lAdonis changea un signal avec ce btiment et, rassur, en apparence du moins, il continua sa route vers loccident, et se perdit bientt dans les ombres de la nuit.

Ce ne fut que le lendemain que lon saperut quun passager manquait bord.

pilogue

Le 9 mai de lan 1774, huit heures du soir, Versailles prsentait le plus curieux et le plus intressant spectacle.

Depuis le premier jour du mois, le roi Louis XV, atteint dune maladie terrible dont les mdecins nosaient lui avouer dabord la gravit, gardait le lit et commenait chercher des yeux autour de lui la vrit ou lesprance.

Le mdecin Bordeu avait signal chez le roi une petite vrole des plus malignes, et le mdecin La Martinire, qui la reconnaissait comme son collgue, opinait pour quon avertt le roi, afin quil prt spirituellement et matriellement, comme chrtien, des mesures pour son salut et pour celui du royaume.

Le roi Trs Chrtien, disait-il, devrait se faire administrer lextrme onction.

La Martinire reprsentait le parti du dauphin, lopposition. Bordeu prtendait que le simple aveu de la gravit du mal tuerait le roi et que, pour sa part, il reculait devant un rgicide.

Bordeu reprsentait le parti du Barry.

En effet, appeler la religion chez le roi, ctait expulser la favorite. Quand Dieu entre par une porte, il faut bien que Satan sorte par lautre.

Or, pendant toutes les divisions intestines de la Facult, de la famille et des partis, la maladie se logeait laise dans ce corps vieilli, us, gt par la dbauche; elle sy fortifiait de telle faon, que ni remdes ni prescriptions ne purent la dbusquer.

Ds les premires atteintes du mal caus par une infidlit de Louis XV, laquelle madame du Barry avait prt complaisamment la main, le roi avait vu se runir autour de son lit ses deux filles, la favorite et les courtisans les mieux en faveur. On riait encore et lon saidait.

Tout coup parut Versailles laustre et sinistre figure de Madame Louise de France; elle quittait sa cellule de Saint-Denis pour venir donner aussi son pre des consolations et des soins.

Elle entra ple et sombre comme la statue de la Fatalit; ce ntait plus une fille pour son pre, une sur pour ses surs; elle ressemblait aux prophtesses antiques qui, dans les jours lugubres de ladversit, venaient crier aux rois blouis: Malheur! malheur! malheur! Elle tomba dans Versailles une heure du jour o Louis baisait les mains de madame du Barry et les appliquait comme de douces caresses sur son front malade, sur ses joues enflammes.

son aspect, tout senfuit: les surs se rfugirent tremblantes dans la chambre voisine; madame du Barry flchit le genou et courut son appartement; les courtisans privilgis reculrent jusquaux antichambres; les deux mdecins seuls demeurrent au coin de la chemine.

Ma fille! murmura le roi en ouvrant ses yeux ferms par la douleur et la fivre.

Votre fille, oui, sire, dit la princesse.

Qui vient

De la part de Dieu!

Le roi se souleva, bauchant un sourire.

Car vous oubliez Dieu, reprit Madame Louise.

Moi?

Je veux vous le rappeler.

Ma fille! je ne suis pas assez prs de la mort, jespre, pour quune exhortation soit urgente. Ma maladie est lgre: une courbature, un peu dinflammation.

Votre maladie, sire, interrompit la princesse, est celle qui, daprs ltiquette, doit runir au chevet de Sa Majest les grands prlats du royaume. Quand un membre de la famille royale est atteint de la petite vrole, il doit tre administr sur-le-champ.

Madame! scria le roi fort agit, fort ple, que dites-vous?

Madame! firent les mdecins avec terreur.

Je dis, continua la princesse, que Votre Majest est atteinte de la petite vrole.

Le roi poussa un cri.

Les mdecins ne lont pas dit, rpliqua-t-il.

Ils nosent; moi, je vois pour Votre Majest un autre royaume que le royaume de France. Approchez-vous de Dieu, sire, et passez en revue toutes vos annes.

La petite vrole! murmurait Louis XV; maladie mortelle! Bordeu! La Martinire! est-ce donc vrai?

Les deux praticiens baissrent la tte.

Mais je suis perdu alors? rpta le roi, plus pouvant que jamais.

On gurit de toutes les maladies, sire, dit Bordeu prenant linitiative, surtout lorsquon conserve sa tranquillit desprit.

Dieu donne la tranquillit de lesprit et le salut du corps, rpondit la princesse.

Madame, dit hardiment Bordeu, quoique voix basse, vous tuez le roi!

La princesse ne daigna pas rpondre. Elle se rapprocha du malade et, lui prenant la main quelle couvrit de baisers:

Rompez avec le pass, sire, dit-elle, et donnez lexemple vos peuples. Nul ne vous avertissait; vous couriez risque dtre perdu pour lternit. Promettez de vivre en chrtien, si vous vivez; mourez en chrtien, si Dieu vous appelle lui.

Elle acheva ces mots par un nouveau baiser sur la main royale et reprit pas lents le chemin des antichambres. L, elle rabattit son long voile noir sur son visage, descendit les degrs et monta dans son carrosse, laissant derrire elle une stupfaction, une pouvante dont rien ne saurait donner une ide.

Le roi navait pu reprendre ses esprits qu force de questionner les mdecins; mais il tait frapp.

Je ne veux pas, dit-il, que les scnes de Metz avec la duchesse de Chteauroux se renouvellent; quon fasse venir madame dAiguillon et quon la prie demmener Rueil madame du Barry.

Cet ordre fut lexplosion. Bordeu voulut dire quelques mots; le roi lui imposa silence. Bordeu voyait, dailleurs, son collgue prt tout rapporter au dauphin; Bordeu savait lissue de la maladie du roi, il ne lutta pas et, quittant la chambre royale, avertit madame du Barry du coup qui la frappait.

La comtesse, pouvante de laspect sinistre et insultant quavaient dj tous les visages, se hta de disparatre. En une heure, elle fut hors de Versailles et la duchesse dAiguillon, fidle et reconnaissante amie, emmena la disgracie au chteau de Rueil, qui lui venait par hritage du grand Richelieu. Bordeu, de son ct, ferma la porte du roi toute la famille royale, sous prtexte de contagion. Cette chambre de Louis XV tait dsormais mure; il ny devait plus entrer que la religion et la mort. Le roi fut administr le jour mme, et cette nouvelle se rpandit dans Paris o, dj, la disgrce de la favorite tait un vnement rebattu.

Toute la cour vint se faire annoncer chez le dauphin qui ferma sa porte et ne reut pas une personne.

Mais, le lendemain, le roi se portait mieux et avait envoy le duc dAiguillon porter ses compliments madame du Barry.

Ce lendemain, ctait le 9 mai 1774.

La cour dserta le pavillon du dauphin et se porta en telle affluence Rueil, o la favorite habitait, que, depuis lexil de M. de Choiseul Chanteloup, on navait vu pareille file de carrosses.

Les choses en taient donc l. Le roi vivra-t-il et madame du Barry est-elle toujours la reine?