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Balsamo lui prodigua linstant mme les soins les plus empresss.

Le vieillard revint lui; sa pleur tait devenue de la lividit. Ce faible accs avait puis ses forces ce point quon et pu croire quil allait mourir.

Voyons, matre, lui dit alors Balsamo, formulez ce que vous voulez.

Ce que je veux, dit-il en regardant fixement Balsamo.

Oui

Ce que je veux, le voici

Parlez, je vous coute et je vous obis, si la chose que vous dsirez est possible.

Possible possible! murmura ddaigneusement le vieillard. Tout est possible, tu le sais bien.

Oui, sans doute, avec le temps et la science.

La science, je lai; le temps, je suis sur le point de le vaincre; ma dose a russi; mes forces sont presque totalement disparues; les gouttes blanches ont provoqu lexpulsion dune partie des restes de la nature vieillie. La jeunesse, pareille cette sve des arbres en mai, monte sous la vieille corce et pousse, pour ainsi dire, lancien bois. Tu remarqueras, Acharat, que les symptmes sont excellents: ma voix est affaiblie, ma vue a baiss des trois quarts, je sens par intervalles ma raison sgarer; la transition du chaud au froid mest devenue insensible, il est donc urgent pour moi dachever mon lixir, afin que, le propre jour de ma seconde cinquantaine, je passe de cent ans vingt sans hsitation; mes ingrdients pour cet lixir sont prpars, le conduit est fait; il ne manque plus que les trois dernires gouttes de sang que je tai dit.

Balsamo fit un mouvement de rpugnance.

Cest bien, dit Althotas, renonons lenfant, puisque tu aimes mieux tenfermer avec ta matresse que de me le chercher.

Vous savez bien, matre, que Lorenza nest point ma matresse, rpondit Balsamo.

Ah! ah! ah! fit Althotas, tu dis cela, tu crois men imposer moi comme la multitude; tu veux me faire croire la crature immacule et tu es homme!

Je vous jure, matre, que Lorenza est chaste comme la sainte Mre de Dieu; je vous jure quamour, dsirs, volupts terrestres, jai tout sacrifi mon uvre; car, moi aussi, jai mon uvre rgnratrice; seulement, au lieu de sappliquer moi seul, elle sappliquera au monde entier.

Fou, pauvre fou! scria Althotas; je crois quil va encore me parler de ses cataclysmes de cirons, de ses rvolutions de fourmis, quand je lui parle de la vie ternelle, de lternelle jeunesse.

Qui ne peut sacqurir quau prix dun crime pouvantable, et encore

Tu doutes, je crois que tu doutes, malheureux!

Non, matre; mais enfin, puisque vous renoncez votre enfant, dites, voyons, que vous faut-il?

Il me faut la premire crature vierge qui te tombera sous la main: homme ou femme, peu importe; cependant une femme vaudrait mieux. Jai dcouvert cela cause de laffinit des sexes; trouve-moi donc cela, et hte toi, car je nai plus que huit jours.

Cest bien, matre, dit Balsamo; je verrai, je chercherai.

Un nouvel clair, plus terrible que le premier, passa dans les yeux du vieillard.

Tu verras, tu chercheras! scria-t-il; oh! cest donc l ta rponse. Je my attendais, dailleurs, et je ne sais pas comment je men tonne. Et depuis quand, infime vermisseau, crature parle-t-elle ainsi son crateur? Ah! tu me vois sans forces, ah! tu me vois couch, tu me vois sollicitant, et tu es assez sot pour me croire ta merci? Oui ou non, Acharat, et naie dans les yeux ni embarras ni mensonge; car je vois et je lis dans ton cur, car je te juge et je te poursuivrai.

Matre, rpondit Balsamo, prenez garde, votre colre va vous nuire.

Rponds! rponds!

Je ne sais dire mon matre que ce qui est vrai; je verrai si je puis vous procurer ce que vous dsirez, sans nous nuire tous deux, sans nous perdre mme. Je chercherai un homme qui nous vende la crature dont vous avez besoin; mais je ne prendrai pas le crime sur moi. Voil tout ce que je puis vous dire.

Cest fort dlicat, dit Althotas avec un rire amer.

Cest ainsi, matre, dit Balsamo.

Althotas fit un effort si puissant, qu laide de ses deux bras appuys sur ceux de son fauteuil, il se dressa tout debout.

Oui ou non! dit-il.

Matre, oui, si je trouve; non, si je ne trouve pas.

Alors, tu mexposeras la mort, misrable; tu conomiseras trois gouttes de sang dun animal immonde et nul comme la crature quil me faut pour laisser tomber dans labme ternel la crature parfaite que je suis. coute, Acharat, je ne te demande plus rien, dit le vieillard avec un sourire effrayant voir; non, je ne te demande absolument rien; jattendrai; mais, si tu ne mobis pas, je me servirai moi-mme; si tu mabandonnes, je me secourrai. Tu mas entendu, nest-ce pas? Va, maintenant.

Balsamo, sans rien rpondre cette menace, prpara autour du vieillard ce qui lui tait ncessaire; il mit sa porte la boisson et la nourriture, sacquitta de tous les soins, enfin, quun vigilant serviteur aurait eus pour son matre, quun fils dvou aurait eus pour son pre; puis, absorb dans une autre pense que celle qui torturait Althotas, il baissa la trappe pour descendre, sans remarquer que lil ironique du vieillard le suivait presque aussi loin quallaient son esprit et son cur.

Althotas souriait encore comme un mauvais gnie, lorsque Balsamo se retrouva en face de Lorenza toujours endormie.

Chapitre 128. Lutte

L, Balsamo sarrta, le cur gonfl de douloureuses penses.

Nous disons douloureuses, et non plus violentes.

La scne qui avait eu lieu entre lui et Althotas, en lui faisant envisager peut-tre le nant des choses humaines, avait chass hors de lui toute colre. Il en tait se rappeler ce procd du philosophe qui rcitait lalphabet grec en entier avant dcouter la voix de cette noire divinit conseillre dAchille.

Aprs un instant de froide et muette contemplation devant ce canap o tait couche Lorenza:

Me voici, se dit-il, triste mais rsolu et envisageant nettement ma situation; Lorenza me hait; Lorenza ma menac de me trahir, et elle ma trahi; mon secret ne mappartient plus, je lai laiss aux mains de cette femme, qui le jette au vent; je ressemble au renard qui, du pige aux dents dacier, a retir seulement los de sa jambe mais qui y a laiss la chair et la peau, de manire que le chasseur peut dire le lendemain: Le renard a t pris ici, je le reconnatrai mort ou vif.

Et ce malheur inou, ce malheur quAlthotas ne peut comprendre et que, pour cette raison, je ne lui ai pas mme racont; ce malheur qui brise toutes mes esprances de fortune en ce pays, et, par consquent, dans ce monde, dont la France est lme, cest la crature que voici endormie, cest cette belle statue au doux sourire que je le dois. Je dois cet ange sinistre le dshonneur et la ruine, en attendant que je lui doive la captivit, lexil et la mort.

Donc, continua-t-il en sanimant, la somme du bien a t dpasse par celle du mal, et Lorenza mest nuisible.

O serpent aux replis gracieux, mais qui touffent; la gorge dore, mais pleine de venin; dors donc, car je vais tre oblig de te tuer quand tu te rveilleras!

Et Balsamo, avec un sinistre sourire, se rapprocha lentement de la jeune femme, dont les yeux, chargs de langueur, se levrent sur lui mesure quil sapprochait, comme souvrent les tournesols et les volubilis au premier rayon du soleil levant.

Oh! dit Balsamo, il faudra cependant que je ferme tout jamais ces yeux qui, cette heure, me regardent si tendrement; ces beaux yeux pleins dclairs aussitt quils ne sont pas pleins damour.

Lorenza sourit doucement, et, en souriant, montra la double range si suave et si pure de ses dents de perles.

Mais, en tuant celle qui me hait, continua Balsamo en se tordant les bras, je tuerai donc aussi celle qui maime!

Et son cur semplit dun profond chagrin, trangement ml dun vague dsir.

Non, murmura-t-il, non; jai jur en vain. Jai menac inutilement, non, je naurai jamais le courage de la tuer; non, elle vivra, mais elle vivra sans jamais plus tre veille; mais elle vivra de cette vie factice qui sera pour elle le bonheur, tandis que lautre est le dsespoir. Puiss-je la rendre heureuse! Quimporte le reste elle naura plus quune existence, celle que je lui ferai, celle pendant laquelle elle maime, celle dont elle vit en ce moment.