Alors Balsamo se reprenait � sa confiance en lui-m�me et dans la science.
Pourquoi, en effet, ce secret magique, et auquel il devait tout son pouvoir, serait-il devenu tout � coup sans transition, une chim�re bonne � jeter au vent comme un souvenir �vanoui, comme la fum�e d�un feu �teint? Jamais, relativement � lui, Lorenza n�avait �t� plus lucide, plus voyante: toutes les pens�es qui se formulaient dans son esprit, toutes les impressions qui faisaient tressaillir son c�ur, Lorenza les reproduisait � l�instant m�me.
Restait � savoir si cette lucidit� n��tait pas de la sympathie; si, en dehors de lui et de la jeune femme, de l�autre c�t� du cercle trac� par leur amour, et que leur amour inondait de lumi�re, restait � savoir si ces yeux de l��me, si clairvoyants avant la chute de cette nouvelle �ve, pourraient encore percer l�obscurit�.
Balsamo n�osait faire d��preuve d�cisive, il esp�rait toujours, et l�esp�rance faisait une couronne �toil�e � son bonheur.
Parfois, Lorenza lui disait avec une douce m�lancolie:
� Acharat, tu penses � une autre femme que moi, � une femme du Nord, aux cheveux blonds, aux yeux bleus; Acharat, ah! Acharat, cette femme marche toujours � c�t� de moi dans ta pens�e.
Alors Balsamo regardait tendrement Lorenza.
� Tu vois cela en moi? disait-il.
� Oh! oui, aussi clairement que je verrais dans un miroir.
� Alors, tu sais si c�est par amour que je pense � cette femme, lui r�pondait Balsamo; lis, lis dans mon c�ur, ch�re Lorenza!
� Non, disait celle-ci en secouant la t�te, non, je le sais bien; mais tu partages ta pens�e entre nous deux, comme au temps o� Lorenza Feliciani te tourmentait, cette m�chante Lorenza qui dort et que tu ne veux plus r�veiller.
� Non, mon amour, non, s��criait Balsamo; je ne pense qu�� toi, avec le c�ur, du moins; vois un peu si je n�ai pas tout oubli�, si depuis notre bonheur je n�ai pas tout n�glig�: �tudes, politique, travaux.
� Et tu as tort, dit Lorenza; car, dans ces travaux, je puis t�aider, moi.
� Comment?
� Oui; ne t�enfermais-tu pas autrefois dans ton laboratoire des heures enti�res?
� Certes; mais je renonce � tous ces vains essais; ce seraient autant d�heures retranch�es de mon existence � car pendant ce temps je ne te verrais pas.
� Et pourquoi ne te suivrais-je pas dans tes travaux comme dans ton amour? Pourquoi ne te ferais-je pas puissant comme je te fais heureux?
� Parce que ma Lorenza est belle, c�est vrai, mais que ma Lorenza n�a pas �tudi�. Dieu donne la beaut� et l�amour, mais l��tude seule donne la science.
� L��me sait toute chose.
� C�est donc bien r�ellement avec les yeux de l��me que tu vois?
� Oui.
� Et tu peux me guider, dis-tu, dans cette grande recherche de la pierre philosophale?
� Je le crois.
� Viens, alors.
Et Balsamo, entourant de son bras la taille de la jeune femme, la conduisit dans son laboratoire.
Le fourneau gigantesque, que nul n�avait entretenu depuis quatre jours, �tait �teint.
Les creusets �taient refroidis sur leurs r�chauds.
Lorenza regarda tous ces instruments �tranges, derni�res combinaisons de l�alchimie expirante, sans �tonnement: elle semblait conna�tre la destination de chacun d�eux.
� Tu cherches � faire de l�or? dit-elle en souriant.
� Oui.
� Tous ces creusets renferment des pr�parations � diff�rents degr�s?
� Toutes arr�t�es, toutes perdues; mais je ne le regrette pas.
� Et tu as raison; car ton or � toi ne sera jamais que du mercure color�; tu le rendras solide peut-�tre, mais tu ne le transformeras pas.
� Cependant on peut faire de l�or?
� Non.
� Et pourtant Daniel de Transylvanie a vendu vingt mille ducats, � Cosme Ier, la recette pour la commutation des m�taux.
� Daniel de Transylvanie a tromp� Cosme Ier.
� Cependant le Saxon Payken, condamn� � mort par Charles II, a rachet� sa vie en changeant un lingot de plomb en un lingot d�or, dont on tira quarante ducats, tout en distrayant de ce lingot de quoi faire une m�daille qui fut frapp�e � la plus grande gloire de l�habile alchimiste.
� L�habile alchimiste �tait un habile escamoteur. Il substitua le lingot d�or au lingot de plomb, voil� tout. Ta plus s�re mani�re de faire de l�or, Acharat, c�est de fondre en lingots, comme tu le fais, les richesses que tes esclaves t�apportent des quatre parties du monde.
Balsamo demeura pensif.
� Ainsi, dit-il, la transmutation des m�taux est impossible?
� Impossible.
� Mais, par exemple, hasarda Balsamo, le diamant?
� Oh! le diamant, c�est autre chose, dit Lorenza.
� On peut donc faire du diamant?
� Oui; car faire du diamant n�est pas op�rer la transmutation d�un corps dans un autre; faire du diamant, c�est tenter la simple modification d�un �l�ment connu.
� Mais tu connais donc l��l�ment dont le diamant se forme?
� Sans doute; le diamant, c�est la cristallisation du carbone pur.
Balsamo demeura �tourdi; une lumi�re �blouissante, inattendue, inou�e, jaillissait � ses yeux: il les couvrit de ses deux mains comme s�il e�t �t� aveugl� de cette flamme.
� Oh! mon Dieu, dit-il, mon Dieu, tu fais trop pour moi; quelque danger me menace. Mon Dieu, quel est l�anneau pr�cieux que je puis jeter � la mer pour conjurer ta jalousie? Assez, assez pour aujourd�hui, Lorenza, assez.
� Ne suis-je pas � toi? Ordonne, commande.
� Oui, tu es � moi, viens, viens.
Et Balsamo entra�na Lorenza hors du laboratoire, traversa la chambre des fourrures, et, sans faire attention � un l�ger craquement qu�il entendit au dessus de sa t�te, il rentra avec Lorenza dans la chambre grill�e.
� Ainsi, demanda la jeune femme, tu es content de ta Lorenza, mon Balsamo bien-aim�?
� Oh! fit celui-ci.
� Que craignais-tu donc? Dis, parle.
Balsamo joignit les mains et regarda Lorenza avec une expression de terreur dont un spectateur qui n�e�t pas su lire dans son �me e�t eu peine � se rendre compte.
� Oh! murmura-t-il, moi qui ai failli tuer cet ange, et moi qui ai failli mourir de d�sespoir avant de r�soudre ce probl�me d��tre heureux et puissant � la fois; moi qui ai oubli� que les limites du possible d�passent toujours l�horizon trac� par l��tat pr�sent de la science, et que la plupart des v�rit�s, qui sont devenues des faits, ont toujours commenc� par �tre regard�es comme des visions; moi qui croyais tout savoir et qui ne savais rien!
La jeune femme souriait divinement.
� Lorenza, Lorenza, continua Balsamo, il est donc r�alis�, ce myst�rieux dessein du Cr�ateur, qui fait na�tre la femme de la chair de l�homme, et qui leur dit de n�avoir qu�un c�ur � eux deux! �ve est ressuscit�e pour moi; �ve, qui ne pensera pas sans moi et dont la vie est suspendue au fil que je tiens! C�est trop, mon Dieu, pour une seule cr�ature, et je succombe sous le poids de ton bienfait.
Et il tomba � genoux, �treignant avec adoration cette suave beaut�, qui lui souriait comme on ne sourit pas sur la terre.
� Eh bien, dit-il, non, tu ne me quitteras plus; sous ton regard qui perce les t�n�bres, je vivrai en toute s�curit�; tu m�aideras dans ces recherches laborieuses que toi seule, comme tu l�as dit, pouvais compl�ter, et qu�un mot de toi rendra faciles et f�condes; c�est toi qui me diras si je ne puis faire de l�or, puisque l�or est une mati�re homog�ne, un �l�ment primitif, c�est toi qui me diras dans quelle parcelle de sa cr�ation Dieu l�a cach�; c�est toi qui me diras o� gisent les tr�sors s�culaires engloutis dans les vastes profondeurs de l�oc�an. Je verrai avec tes yeux s�arrondir la perle dans la coquille nacr�e, et grandir la pens�e de l�homme sous les couches fangeuses de sa chair. J�entendrai, avec tes oreilles, la sourde sape du ver qui creuse le sol, et les pas de mon ennemi s�approchant de moi. Je serai grand comme Dieu et plus heureux que Dieu, ma Lorenza; car Dieu n�a pas au ciel son �gal et sa compagne, car Dieu est tout-puissant, mais il est seul dans sa majest� divine et ne partage avec aucun autre �tre, divin comme lui, cette toute-puissance qui le fait Dieu.