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Comme un sanglot douloureux déchirait la poitrine de l’ancien bagnard, Jacques de Trémeuse reprit:

– Quoi qu’il en soit, mon ami, vous resterez toujours près de moi. Mon œuvre n’est pas terminée. Ce n’est pas une raison parce que j’ai conquis le bonheur pour que je m’enferme dans un égoïsme méprisable et coupable. Une fois uni à la femme que j’aime, et d’accord avec elle, grâce à ma fortune immense, je vais pouvoir rester Judex, c’est-à-dire celui qui juge, celui qui punit et celui qui récompense, tâche superbe, tâche formidable, qui m’attire d’autant plus que j’en ai déjà goûté le passionnant attrait. Je puis donc avoir besoin de vous, Kerjean… et je vous demande de rester avec moi.

– Merci! fit l’ancien meunier des Sablons en portant jusqu’à ses lèvres les mains de son bienfaiteur.

Le lendemain, Kerjean errait mélancoliquement sur la grève, devant la mer qui avait servi de tombeau à son fils… Il songeait tristement que, sans cette misérable aventurière, sans Diana Monti, son fils serait là, prêt à seconder Judex dans la nouvelle tâche qu’il allait entreprendre… Et devant la réalité, désormais inéluctable, une sourde rage grondait en lui; un âpre désespoir s’emparait de tout son être… et il se disait:

– Si je tenais cette femme… comme je la tuerais sans pitié!

À ses pieds, les vagues déferlaient, inondant les galets d’écume… découvrant et recouvrant tour à tour une masse sombre, vers laquelle le père de Moralès s’avança… mû par une sorte d’instinct irrésistible.

Avec une stupéfaction voisine de l’horreur… Kerjean reconnut bientôt que cette masse était une forme humaine, un cadavre… celui de la femme qui avait été le mauvais génie de son fils et que le flot rejetait maintenant à ses pieds comme pour lui dire: «Tu es vengé!»

La nuit suivante, les restes de Diana Monti, recueillis secrètement par les soins de Judex, reposaient au fond d’un trou creusé dans un champ désert voisin de la côte… Aucune croix ne marque l’emplacement de la tombe mystérieuse… L’enfer avait reconquis son démon!

ÉPILOGUE

Tandis que le banquier Favraut, fidèle à sa parole, se renfermait sous un nom d’emprunt dans une villa isolée, Cocantin se préparait à épouser Miss Daisy Torp et à adopter le môme Réglisse… En attendant, ayant résolu de devenir à son tour un ondin, il se livrait chaque jour, prudemment, à de longs exercices de natation sur la table de son salon pour la plus grande joie de la jolie Américaine et du môme Réglisse… au comble du bonheur.

Jacques et Jacqueline, tout à leur rêve, devenu la plus idéale des réalités… se préparaient à partir au loin, pour un beau voyage en Italie.

Puis ils reviendraient se remettre à l’œuvre grandiose, à l’œuvre de bonté et d’amour entreprise en commun et qu’un jour peut-être vous racontera

Arthur Bernède.

(1917)