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– Ah! si j’avais su… si j’avais su!…

*
* *

Diana Monti, toujours affalée sur le banc, dans la cabine du capitaine Martelli, n’avait cessé de donner les marques du plus profond abattement.

Sous la surveillance de Miss Daisy Torp qui, fidèle à la mission que lui avait confiée Judex, ne la quittait pas des yeux… elle n’avait pour ainsi dire par bougé… se contentant, par instant, de faire entendre quelques plaintes douloureuses… et gardant sa tête cachée entre ses mains comme si elle voulait se dérober au regard de l’Américaine.

L’aventurière donnait ainsi l’impression d’une femme qui, résignée à son sort, n’a plus à opposer à l’infortune qui l’accable que la passivité du découragement le plus complet.

Et cependant… la misérable n’avait pas désarmé.

Loin de là…

Elle concentrait au contraire sa pensée sur un but unique: échapper à Judex.

Mais comment?

L’astucieuse créature n’avait pas été longtemps embarrassée…

En effet, elle s’était dit:

– Je vais employer pour m’évader de ce navire le même procédé qui m’a déjà si bien servi pour me sauver du moulin des Sablons. Quand je sentirai que l’Aiglon s’est considérablement rapproché de la terre, je trouverai bien moyen de me débarrasser de ma gardienne… En un bond je grimperai sur le pont et, sans hésiter, je piquerai une tête dans la mer… Quoi qu’il arrive, je suis assez bonne nageuse pour me tirer d’affaire. Que ferai-je ensuite? Je l’ignore. L’essentiel pour moi est de me tirer des griffes de l’ennemi.

Une fois sa résolution arrêtée en principe, une question se posa dans l’esprit de l’aventurière:

– Comment me débarrasser de ma gardienne?

Diana Monti s’était tout de suite rendu compte qu’elle avait affaire à très rude partie… Attaquer de front une pareille adversaire lui semblait d’une imprudence extrême.

D’abord, elle risquait très vraisemblablement de ne pas être la plus forte, puis, le bruit de la lutte ne manquerait pas d’attirer l’attention de Judex, et, depuis la défection du capitaine Martelli et de son équipage, elle savait qu’elle ne pouvait plus compter sur personne pour la défendre.

Restait la ruse… et sur ce terrain, même au milieu de la terrible épreuve qu’elle traversait, l’ex-institutrice se sentait tout à fait à son aise.

Son plan fut vite tracé.

Il ne restait plus qu’à l’exécuter.

Avec un calme extraordinaire, un sang-froid étonnant qui montraient que non seulement elle n’avait pas désarmé mais qu’elle était encore en possession de toutes ses facultés criminelles, l’aventurière calcula le temps dont le brick-goélette avait besoin pour se rapprocher à une distance raisonnable de la terre.

Puis, quand elle eut la conviction qu’il ne se trouvait plus qu’à deux ou trois cents mètres du rivage… elle se leva… comme si elle était en proie à une soudaine et irrésistible douleur…

Puis, portant sa main à sa gorge, elle s’écria la bouche contractée… les yeux révulsés, l’écume aux lèvres:

– J’étouffe… j’étouffe!… au secours… à moi… je vais… mourir.

Et tournoyant sur elle-même, elle s’abattit lourdement sur le plancher de la cabine.

Instinctivement, Miss Daisy Torp se précipita.

C’était l’instant qu’attendait la misérable.

En effet, tandis que l’Américaine se penchait vers elle… Diana se releva d’un bond de panthère… Puis, d’un vigoureux coup de tête en pleine poitrine, elle envoya rouler à l’entrée de la soupente la fiancée de Cocantin qui, surprise par cette attaque aussi traîtresse qu’inattendue, n’avait pas eu le temps de se mettre en garde.

Alors, prompte comme l’éclair… Diana, dont la vitalité nerveuse était décuplée par sa volonté ardente d’échapper à Judex… courut à la porte… l’ouvrit, escalada les marches et se trouva sur le pont…

Courant droit au bastingage, elle grimpa sur le sabord… et, en un plongeon audacieux, disparut dans les flots.

Mais Miss Daisy Torp, immédiatement remise de l’attaque brusquée dont elle venait d’être la victime, apparut à l’entrée de la cabine au moment où l’aventurière piquait une tête dans la mer.

Elle gagna à son tour le bastingage…

Elle aperçut la Monti qui, en brasses précipitées, s’éloignait de l’Aiglon vers la terre.

Alors, sans hésiter, elle «pique» aussitôt dans la mer… se lançant à son tour à la poursuite de celle qui vient de lui échapper.

Diana cherche à la gagner en vitesse.

Mais bientôt elle s’aperçoit que la splendide nageuse qu’est Miss Daisy s’approche d’elle de la façon la plus inquiétante.

Bientôt les deux femmes ne sont plus qu’à quelques mètres de distance.

Une lutte terrible et sans merci va s’engager.

Car Diana, en un geste désespéré, a résolu d’accepter la bataille.

L’ondine a rejoint l’aventurière… Toutes deux, en un cri de défi… se saisissent… s’empoignent… s’étranglent… puis disparaissent bientôt, enlacées en une mortelle étreinte… sous les flots qui se sont refermés sur elles.

DOUZIÈME ÉPISODE Le pardon d’amour

I LES ANGOISSES DE COCANTIN

Cocantin, en l’attente du retour de sa dulcinée, était demeuré sur le port, en proie à une inquiétude qui, à mesure que le temps passait, s’était transformée peu à peu en la plus lancinante des angoisses, surtout quand il avait vu l’Aiglon s’éloigner de la rade en une rapide et silencieuse manœuvre.

– Ah! çà, se disait-il, qu’a-t-elle bien pu devenir? Elle a beau nager comme un poisson… qu’est-ce que je dis, mieux qu’une sirène… mieux qu’une ondine… il est matériellement impossible qu’elle ait pu suivre ce bateau qui, ayant le vent arrière, marche à une vitesse accélérée. Pourvu qu’elle n’ait pas eu un accident… Une crampe, un étourdissement… cela suffit pour provoquer une catastrophe irréparable. Si un pareil malheur était arrivé à cette chère Daisy, je ne m’en consolerais jamais. Car ce serait de ma faute, absolument de ma faute. Pauvre petite Daisy!

Mais bientôt un trait de lumière, véritable rayon d’espérance, se faisait dans l’esprit de Prosper.

– Parbleu!… songeait-il, accomplissant jusqu’au bout sa mission, elle aura voulu voir ce qui allait se passer à bord de ce navire… et elle aura certainement trouvé moyen, adroite comme elle l’est, de s’y faufiler sans que personne ne remarque sa présence.