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– Non, mais c’est-y que t’es tombé «louf»? ou bien que ton rhume te tape sur le ciboulot?

Mais, gravement, Cocantin affirmait:

– J’ai, au contraire, toute ma raison.

Et, prenant cet air solennel qu’il affectait dans les circonstances de sa vie, qu’il qualifiait lui-même de napoléoniennes, il déclara:

– Monsieur Roger de Trémeuse, j’ai d’importantes révélations à vous faire.

Le directeur de l’Agence Céléritas fit au frère de Judex le récit complet, exact et détaillé des événements dont il avait été le témoin pendant la nuit précédente et au cours desquels Miss Daisy Torp avait montré tant de crânerie intrépide et de dévouement désintéressé… scandant naturellement son discours de nombreux éternuements auxquels d’ailleurs, dans le feu de son verbe, il ne prenait plus garde… Il termina par cette phrase, qu’en son for intérieur il jugea digne du Mémorial de son maître:

– Je suis sûr que Miss Daisy Torp aura fait de son mieux… Quant à moi, je regrette de ne pas en avoir fait davantage.

Roger l’avait écouté avec le plus palpitant intérêt.

C’est qu’en effet, à ses yeux, la situation présentait une gravité exceptionnelle.

Quelles que fussent la prudence, l’adresse et la vaillance de son frère, il se demandait si celui-ci, une fois arrivé à bord de l’Aiglon, n’avait pas vu ses propositions refusées et par le banquier et par ceux qui le détenaient en leur pouvoir… et si Diana Monti n’en avait pas profité pour se débarrasser à tout jamais de son si dangereux adversaire.

– Quel que soit le courage de cette jeune femme, je doute, si mon frère a été ou se trouve réellement en danger de mort, qu’elle ait pu efficacement lui venir en aide.

Et son cœur se serrait à la pensée que l’être admirable qu’était Judex avait peut-être succombé au moment où il allait enfin réaliser sa sublime mission d’amour, de clémence et de bonté, lorsqu’un cri enfantin retentit tout près d’eux.

C’était le môme Réglisse qui, s’étant emparé de la lorgnette de Cocantin, inspectait depuis un moment l’horizon et constatait en son jargon spécial dont il n’avait pas encore eu le temps de se corriger:

– Chouette, les aminches! Vlà un «flottant» (bateau) qui rapplique à la «taule!»

Vite, saisissant les jumelles, Cocantin regarda à son tour:

– C’est lui, je le reconnais… c’est l’Aiglon… Ils reviennent… Tout va bien… Sauvés… Ils sont sauvés… je suis content… je suis heureux!…

Et l’excellent Prosper se mit à exécuter une danse frénétique à laquelle son accoutrement bizarre donnait une saveur toute particulière.

Mais il n’allait pas tarder à déchanter.

En effet, lorsque l’Aiglon eut jeté l’ancre à une faible distance de la jetée, on vit presque aussitôt un canot se détacher du bord et gagner le môle.

Bientôt, la silhouette de Judex se précisa debout au milieu de la barque.

Tandis que, peu à peu, on distinguait, assis à l’arrière, en une attitude de mélancolie profonde où il semblait entrer encore un vestige de crainte, le banquier Favraut… le père de Jacqueline!

Lorsque les matelots eurent accosté… et amarré le canot au quai, Judex fit un signe à Favraut qui, docilement, le suivit jusqu’à terre.

Alors Cocantin se précipitant vers Judex s’écria:

– Et ma fiancée?

À ces mots, Judex eut un léger tressaillement.

– Miss Daisy Torp, répondit-il, à laquelle je dois la liberté et même la vie… s’est élancée à la poursuite de Diana Monti qui avait réussi à se jeter à la mer.

– Et elle n’est pas revenue?

– Non, mais tranquillisez-vous, j’ai laissé là-bas une barque qui croise en ce moment dans les parages… et n’aura pas manqué de recueillir votre vaillante fiancée.

Cocantin, affolé, n’écoutait plus Judex.

Suivi du môme Réglisse, enchanté de prendre part à de nouvelles aventures, il s’était précipité vers le canot, criant:

– Conduisez-moi là-bas, je veux la retrouver, je veux la secourir.

– Faites ce que monsieur désire…, ordonna Judex au capitaine Martelli, qui était resté dans la barque.

Et, tandis que les matelots de l’Aiglon s’éloignaient vers la gare à force de rames, Favraut, encadré de Judex et de son frère, gagnait la villa de Trémeuse.

II VERS LA GRANDE ÉPREUVE

Durant le trajet, pas un mot ne fut échangé entre les deux frères et le père de Jacqueline.

À mesure qu’on approchait de la villa, le pas du banquier devenait de plus en plus hésitant…

Non dégagé entièrement de l’influence en quelque sorte hypnotique que Diana Monti exerçait sur lui, il gardait au fond de l’esprit une arrière-pensée d’inquiétude qui lui faisait se demander:

– N’était-ce pas elle qui avait raison?…

Et il se revoyait replongé dans une captivité dont rien désormais ne pourrait le tirer.

Qui sait même si Judex, averti par cette évasion, n’allait pas lui faire subir les affres terribles d’une incarcération cellulaire dans les souterrains du Château-Rouge?

Aussi, lorsqu’en arrivant devant la grille de la propriété des Trémeuse, Favraut reconnut derrière les barreaux le vieux Kerjean qui, lui aussi, attendait avec une anxieuse impatience le retour de Judex, éprouva-t-il un sentiment de terreur insurmontable qui se traduisit par ces mots bégayés d’une voix blanche:

– Lui… mon geôlier!…

Mais, doucement, Jacques rassurait:

– Non, Favraut… ce n’est pas un piège… je vous l’ai déjà dit… Nous vous avons pardonné.

Croyant rêver – car… son âme si naturellement ingrate se refusait à croire à la possibilité d’une aussi sublime clémence, – le banquier, toujours guidé par Jacques et Roger, gagna la maison.

Judex le fit entrer dans un salon… et, lui désignant un fauteuil, fit simplement, non plus avec un accent d’autorité irrésistible, mais sur le ton de la politesse la plus parfaite:

– Veuillez vous asseoir… monsieur Favraut… Je vais faire savoir à madame votre fille que vous êtes là.

Et il se retira, dominant non sans effort l’émotion qui, en cet instant si tragiquement décisif, s’était emparée de lui.

Favraut, demeuré seul… entendait encore vibrer à son oreille cette phrase qui avait enfin mis un terme à toutes ses incertitudes: