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– Tout est prêt? demanda Jacques, dont le visage était empreint d’une sorte d’autorité mystique.

– Oui, frère, répliqua Roger.

– Tu crois qu’il va revenir à la vie?

– J’en suis sûr!

– Bien!

Roger, encore hésitant, demandait d’une voix grave, émue:

– Pourquoi veux-tu soustraire ce misérable au châtiment qu’il a cent fois mérité? Pourquoi veux-tu qu’au lieu de se réveiller entre les planches de son cercueil… ses yeux aperçoivent encore la lumière et ses poumons aspirent librement l’air pur de la vie?

– Parce qu’il le faut!

– Pourtant… rappelle-toi notre serment!

– Roger, déclara gravement, solennellement, l’aîné des deux frères, auquel un costume de velours noir au dolman boutonné jusqu’au col donnait presque l’allure d’un héros légendaire… Mon ami… mon frère… je t’en prie… pour l’instant, ne m’interroge pas… Bientôt, tu sauras, et tu m’approuveras!… Mais quoi qu’il arrive, je prends tout sur moi… tout! Réveille cet homme!

Sans rien répliquer, Roger se dirigea vers une armoire en verre… Il y choisit une fiole qui contenait un liquide laiteux dont il remplit une seringue Pravez, et, s’emparant du bras glacé de Favraux, il y pratiqua une forte injection…

Dix minutes s’écoulèrent sans que le banquier donnât le moindre signe de vie. Puis, lentement, en imperceptibles soubresauts, le cœur recommença à battre, le sang circula de nouveau… Un long soupir s’exhala de la bouche, qui, avidement, s’était entrouverte… Les paupières se soulevèrent, se refermèrent, battirent plus fort découvrant enfin un œil atone et bientôt éclairé d’une lueur vague… Le cerveau se réveillait à son tour.

Favraux ne se rappelait rien encore; mais il commençait à percevoir les objets… La silhouette altière et menaçante de Jacques se dessinait de plus en plus précise dans l’énigme qui l’entourait… Enfin, le père de Jacqueline, qui avait l’impression de sortir d’un sommeil sans rêve, bégaya d’une voix étouffée:

– Où suis-je?

– En mon pouvoir…, répliqua Jacques d’une voix terrible.

– Qui donc êtes-vous?

– Je suis Judex!

À ce nom, le banquier eut un cri d’épouvante…

Instantanément, il se souvenait de la minute effroyable où tout s’était brisé en lui… Ce toast aux fiancés… les dix heures sonnant à l’horloge… puis… plus rien… le néant… la mort!… Et voilà que tout à coup, il revivait, il ressuscitait face à face avec Judex… en tête à tête avec son bourreau!

Il voulut réagir… entamer une lutte… mais l’étreinte puissante de Roger l’immobilisa aussitôt… tandis que Jacques, après avoir appuyé sur un bouton électrique, approchait de son visage un appareil téléphonique, branché sur quelque poste lointain, inconnu, et lui ordonnait sur un ton impérieux:

– Favraux!… Demandez pardon à votre fille!…

– Non, non… laissez-moi…, écumait le banquier. C’est un guet-apens… un attentat abominable… Vous n’avez pas le droit…

– Demandez pardon à votre fille! insistait l’implacable justicier…

Dompté par cette force qu’il devinait formidable, hypnotisé par la flamme qui brillait dans le regard de Judex, le père misérable, désarmé, impuissant, hurla, dans la véhémence d’un désespoir inutile:

– Ma fille!… ma fille!… je te demande pardon!

Jacqueline n’avait donc pas été comme elle le croyait, le jouet d’une hallucination étrange.

C’était bien son père qui, ce soir-là, avait parlé à son enfant!

IV LE VERDICT

Moralement écrasé par cette formidable épreuve, en même temps que brisé physiquement par les efforts qu’il avait tentés pour se dégager, Favraux avait de nouveau perdu connaissance.

Combien de temps demeura-t-il ainsi, prostré, anéanti, privé de toute notion de vie?… Quand il reprit ses sens, il eût été lui-même parfaitement incapable de le préciser.

Il constata d’abord avec stupeur, puis avec épouvante, qu’il était étendu sur une sorte de lit de camp, dans une étroite cellule pénitentiaire, à la porte en chêne plein, percée d’un étroit guichet grillagé puis, détail étrange, qu’il était vêtu du costume réglementaire des détenus de l’État.

– Je suis perdu…, songea-t-il avec terreur. Cet homme me tient… Il ne me lâchera jamais.

Un soupir immense gonfla sa poitrine. Un cri rauque s’échappa par trois fois de ses lèvres qui s’étaient recouvertes d’une écume sanglante:

– Judex!… Judex!… Judex!…

Retombant sur sa couche, le banquier, repris d’un désir intense de liberté, mordu, tenaillé par sa passion pour Marie Verdier dont il revoyait le regard profond, dont il entendait la voix troublante, eut alors un éclair d’espérance…

– Qui sait…, se demanda-t-il, si ces gens non point pour me châtier de mes prétendus crimes mais pour se livrer sur moi à quelque chantage, m’ont ainsi séquestré?

Ignorant que pour tous, sauf pour ses deux geôliers, il reposait au fond d’une tombe dans le cimetière des Sablons, le marchand d’or raisonnait:

– Oui… ce doit être cela… Tout cet appareil romanesque n’a été inventé que pour me frapper, m’influencer, me terroriser… et me priver des moyens dont un homme de ma force dispose encore même au fond du cachot le plus solidement cadenassé. Mais nous allons bien voir… Si c’est une question de rançon, je suis prêt à la discuter… je paierai un million… deux… trois, si c’est nécessaire… quitte ensuite à les récupérer par la force… Mais je sortirai vivant d’ici!…

Alors… il sembla au misérable que de l’autre côté de la muraille s’élevait un ricanement fait de moquerie sans pitié et de sinistre défi.

Le père de Jacqueline tressaillit… dressant l’oreille. Puis, se levant, il promena son regard autour de lui… Bientôt, il recula, repris de frayeur, la gorge serrée… la sueur aux tempes. En haut de la muraille, au-dessus d’une table garnie d’un pot à eau et d’une cuvette en grès, tel un œil implacable et décidé à ne pas lui laisser un instant de répit, un miroir métallique, manœuvré par une main invisible, l’épiait, le suivait dans tous ses mouvements, dans ses moindres gestes, sans qu’il pût échapper à son inexorable surveillance.

Le banquier eut un rugissement de bête traquée… Il avait compris que ce miroir était là pour permettre à ses bourreaux de se repaître de ses souffrances… de triompher férocement de son immense douleur et de sa lente agonie!

Sa captivité se compliquait d’une nouvelle et atroce torture, celle qui consiste, pour un prisonnier, à sentir peser sur soi la perpétuelle observation d’un geôlier… non seulement le jour, mais la nuit, pendant le sommeil sans trêve… et après s’être vu retrancher de toute espèce de commerce humain, de se replier en soi-même, de se réconforter dans l’isolement total de son être, il allait donc lui être interdit de pleurer tout à son aise sur l’amertume d’un désespoir atroce!