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Regardant son nouvel ami qui, grâce à son aplomb et à son bagout, lui inspirait la plus entière confiance, Jeannot demanda:

– Mais tes parents à toi… qu’est-ce qu’ils vont dire?

– Mes parents?… D’abord, j’en ai pas… j’en ai jamais eu… Je suis «empoyé» chez des zoniers… qui demeurent près des fortifs et qui m’ont ramassé quand j’étais tout petit, même que je m’en rappelle plus.

Et, baissant la voix, il ajouta:

– C’est des feignants qui n’en fichent pas un coup… Moi, dès le matin, faut que je parte au marché… Et quand je ne leur rapporte pas plein mes bras de légumes que j’ai barbotés dans les voitures ou aux étalages… qu’est-ce que je prends pour mon rhume… Et pis, je dégringole en ville, je ramasse des bouts de mégots aux terrasses des cafés… Aussi, depuis des ans que ça dure, je peux tout de même bien de temps en temps prendre un jour de sortie… Allons, viens, mon gosse… As pas peur… le môme Réglisse est un peu là!

Et passant son bras sous celui de son protégé, il ajouta, avec un accent de touchante envie:

– T’en as de la veine, mon gosse, d’avoir une maman!

*
* *

Quel ne fut pas l’étonnement de Mme Chapuis en voyant un gamin presque en guenilles auquel donnait la main un petit bonhomme vêtu en paysan, sonner à sa porte vers six heures du soir et lui demander sur un ton plein de politesse comique:

– S’cusez-moi, madame, c’est bien vous, la pension de famille?

– Oui, mon enfant. Qu’est-ce que vous désirez?

– Mâme Bertin, si ou plaît? J’y amène son gosse.

– Comment! c’est le petit Jean?

– Oui, madame, répliquait le fils de Jacqueline qui, bien que fatigué par son escapade, gardait un petit air crâne qu’il avait pris au contact de son intrépide compagnon.

Et tout de suite, le môme Réglisse ajouta:

– Il s’embêtait de ne pas voir sa mère, c’pauv’lapin… Ça se comprend… Alors, il a pris le train des maraîchers – la voiture à choux, quoi! Je l’ai rencontré ce matin à la barrière, même qu’il ne savait plus où aller… Alors, on s’est débrouillé. On en a mis… C’est rien loin, chez vous. Pas commode à dégotter, votre boîte, même que si on n’avait pas trouvé en route une auto-taxi qui chargeait pour Neuilly… on ne serait arrivé que demain… Mais moi, mariolle… j’ai fait grimper mon copain sur un ressort, je me suis installé sur l’autre, et nous voilà!

– C’est très vilain, de se sauver comme ça, reprenait Mme Chapuis… Votre maman mon petit Jean, va vous gronder…

– Mais non, ripostait le bambin, puisque c’est pour l’embrasser… Où est-elle? Je veux la voir… vite… bien vite.

– Elle est sortie, mais elle va rentrer.

Il y avait, en effet, une heure environ que Jacqueline, cédant aux perfides instances de la Monti, était partie en auto avec elle.

S’emparant alors de Jeannot, Mme Chapuis lui dit:

– Venez, mon mignon… ne restez pas dans la rue…

Mais le petit hésitait.

– Et lui? demanda-t-il en montrant son ami.

Le môme Réglisse ripostait:

– Pas la peine, mon gosse… Va avec la dame… J’aime pas raser le monde… je retourne dans mon patelin… j’ai mon billet de retour. Bonsoir la «soce».

– Au revoir, Réglisse! s’écria le petit-fils du banquier, qui, en un élan charmant et spontané, lui sauta au cou.

– Au revoir, mon «pote», et t’en fais pas pour moi, fit le petit ramasseur de mégots qui s’en fut, fier de son exploit, conscient de son importance, tandis que Mme Chapuis, encore toute stupéfaite de cette aventure, conduisait Jeannot jusqu’à la chambre de Jacqueline.

Avec une franchise touchante, le bambin lui raconta tout…

Émue jusqu’aux larmes, la digne personne, qui n’avait pas le courage de le gronder davantage, l’embrassa avec bonté… Puis, comme une sonnerie stridente se faisait entendre, elle fit:

– Mon chéri, je suis obligée de descendre. Votre maman va revenir… Tenez-vous là bien tranquille…

Et Jeannot resté tout seul… regarda autour de lui… songeant:

– C’est pas si beau que chez grand-papa Favraut, mais c’est beau tout de même, puisque c’est la chambre de ma maman.

Puis, il se dirigea vers la fenêtre entrouverte, afin de guetter le retour de celle qu’il attendait avec une si adorable impatience.

Soudain, un cri de joie lui échappe:

– Oh! les beaux petits pigeons!

L’enfant vient en effet d’apercevoir, dans leur cage, les deux oiseaux devenus les compagnons de sa mère.

Il s’avance vers la cage et contemple les pigeons qui, nullement effarouchés, le regardent en roucoulant avec douceur, comme s’ils devinaient en lui un ami.

– Oh! oui, ils sont beaux…, admire-t-il. Je voudrais les caresser.

Mais, tout à coup, il cesse de sourire… il devient presque grave, tandis que ses yeux reflètent une expression d’exquise bonté.

– Maman, murmure-t-il, m’a dit bien des fois que les oiseaux n’étaient pas faits pour vivre en prison.

Et, tout doucement, il ouvre la porte de la cage en disant:

– Partez, mes petits, partez… Allez-vous-en vite, bien vite, retrouver vos parents.

Les deux pigeons se sont élancés au dehors… en un joyeux bruit d’ailes…

Après s’être orientés un instant, ils s’envolent bientôt vers les ruines du Château-Rouge… Jeannot les suit des yeux. Et sans se douter que son geste d’instinctive miséricorde va peut-être sauver sa mère, éperdu de ravissement, tout en frappant l’une contre l’autre ses menottes roses, il crie aux fidèles messagers de Judex:

– Bon voyage, mes petits pigeons blancs. Bon voyage!

TROISIÈME ÉPISODE La meute fantastique

I VIDOCQ

Vers huit heures du matin, un homme de haute taille, d’allure aristocratique, drapé dans une ample cape noire et tenant en laisse un superbe chien policier, se présentait dans une pension de famille de Neuilly, sise impasse Saint-Ferdinand, et demandait aussitôt à parler à Mme Bertin.

– Mme Bertin n’est pas ici, répondit la propriétaire, l’excellente Mme Chapuis dont les traits tirés, les yeux rouges et les paupières gonflées, attestaient une nuit sans sommeil, et toute d’inquiétude.