Après avoir soigneusement refermé la porte du caveau, les deux complices regagnèrent le rez-de-chaussée d’une petite villa qui s’élevait à l’orée de la forêt de Chevilly (Seine-et-Oise), un peu en retrait de la route si pittoresque qui va de Médan à Vernouillet.
Suffisamment isolée, elle servait de retraite au couple de bandits qu’étaient Diana et Moralès, chaque fois qu’à la suite d’aventures un peu trop corsées, il attirait sur lui l’attention de la police. Hâtons-nous de dire que, grâce à leur audacieuse adresse autant qu’aux précautions prises, ils avaient toujours réussi à échapper à toutes recherches.
Une fois au salon, meublé et décoré avec une élégance quelque peu tapageuse et dont les deux larges fenêtres formant baie donnaient sur un jardin superficiellement entretenu, Diana s’installa dans un rocking-chair et, allumant une cigarette, elle dit à son amant qui, le front collé aux vitres, semblait guetter l’arrivée d’un personnage impatiemment attendu:
– Tu m’as bien comprise… n’est-ce pas?… Je puis compter sur toi?
– Oui, oui, c’est entendu… mais ne crains-tu pas que notre ami ne trouve que nous allons un peu fort?
L’ex-institutrice eut un haussement d’épaules méprisant et agacé.
– Mon petit Mora, lança-t-elle d’une voix mordante, tu devrais savoir que je n’aime pas les trembleurs… Et, si tu tiens à ce que nous restions bons amis, j’entends que tu sois un homme comme je te veux… c’est-à-dire… prêt à tout risquer sans peur, et à tout réaliser sans faiblesse.
– Diana… tu sais bien que je me ferais tuer pour toi, s’écria Moralès qui s’était rapproché de sa maîtresse et voulut, passionnément, s’emparer de sa main.
Mais celle-ci l’écarta d’un geste brusque.
– Bas les pattes! fit-elle. En ce moment, il s’agit d’affaires sérieuses. As-tu bien retenu tout ce que je t’ai dit?
– Je suis sûre que tu seras contente de moi.
– À la bonne heure!
– Une simple question, tu permets?
– Parle.
– Une fois délivrée, la fille de ton banquier ne manquera pas de nous accuser.
– Et après?
– Mais c’est très grave.
– Imbécile…, ricana l’ex-institutrice, nous avons de quoi nous défendre.
– Précise…
– D’abord la lettre de César… et je crois que ça compte…
– Puis?…
– Je te dirai cela si l’occasion s’en présente.
– Diana, Diana, scanda sourdement Moralès effrayé, jusqu’où veux-tu donc m’entraîner?
La Monti eut un sourire terrible… Mais elle n’eut pas le temps de répliquer. Une portière se soulevait, laissant apercevoir un singulier valet de chambre qui, sous sa livrée douteuse, dissimulait mal ses allures de bandit, et qui annonça d’une voix grasseyante:
– Le v’là qui arrive!…
En effet, une auto s’arrêtait devant la villa.
– Va lui ouvrir, et fais-le entrer tout de suite, ordonna l’aventurière.
– Bien… «dussèche», accentua le hideux personnage qui disparut aussitôt.
Quelques instants après, il introduisait César de Birargues dans le salon de la villa.
Le «roi du cotillon» était visiblement ému… Non point qu’il regrettât son geste aussi lâche que stupide… Dans l’enivrement de son désir, il n’avait pu mesurer encore toute la bassesse de sa conduite… Mais il était inquiet, très inquiet sur la suite de l’aventure.
Il se demandait s’il allait être éloquent pour convaincre et toucher la jeune femme, et si, devinant l’infâme comédie, elle n’allait pas l’accabler de son mépris…
Mais il était trop tard pour reculer…
D’ailleurs, le sourire de triomphe qui se dessinait sur les lèvres de la Monti et l’air nettement satisfait que s’était composé Moralès, le rassurèrent aussitôt.
– Eh bien, chère amie…, fit César de Birargues en embrassant galamment la main que lui tendait la belle Diana, tout s’est bien passé?
– Admirablement.
– Elle est ici?
– Elle est ici.
– Elle ne se doute pas, au moins, que je suis d’accord avec vous?
– En rien…, affirmait Diana. L’affaire a été menée si rapidement que la chère enfant n’a même pas eu le temps de se reconnaître… En ce moment, elle dort paisiblement, en attendant que son prince Charmant vienne la réveiller.
– Vous êtes non seulement des gens très habiles, mais aussi des amis très sûrs…, remerciait sottement le beau César.
Et prenant cinq billets de mille francs dans son portefeuille, il ajouta:
– Voici le reliquat de la somme convenue… Maintenant, conduisez-moi auprès de la belle…
– Un instant! fit Moralès stimulé par le regard expressif de sa maîtresse.
– Pourquoi, un instant? questionna vivement le jeune de Birargues.
– Les frais ont été plus considérables que je ne le pensais…, développait cyniquement le rasta. Ce n’est pas tout; nous courons de gros risques… nous avons dû nous assurer des complicités très coûteuses. Il me faut encore dix mille francs si vous voulez que je vous livre votre captive.
– Dix mille francs! répéta César ahuri par cette complication imprévue.
– C’est à prendre ou à laisser…, conclut froidement Moralès.
M. de Birargues eut un frémissement de rage. En un seconde, la lumière s’était faite dans son esprit.
– Je suis roulé…, se dit-il au comble de la rage.
Puis tout haut, il reprit d’un air de dignité offensée:
– Vous êtes deux gredins!
– Marquis!
– Oui, deux gredins… et je vous donne cinq minutes pour remettre Mme Jeanne Bertin en liberté… sinon, je vais immédiatement porter une plainte au procureur de la République.
– Une plainte! Contre qui? interrogeait ironiquement Diana.
– Contre vous deux.
– Et ça? fit Moralès, en mettant sous les yeux de César la lettre que celui-ci lui avait si imprudemment adressée la veille:
Mon cher baron,
Comme convenu, je vous envoie ci-joint un chèque de cinq mille francs pour l’exécution de mes projets. Je vous remettrai pareille somme… à la livraison.
Très cordialement vôtre.
CÉSAR DE BIRARGUES.
En relisant cette missive, à laquelle, en l’écrivant, il n’avait accordé aucune importance, le jeune snob comprit l’effroyable guêpier dans lequel il était tombé.