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– Oh! si, madame, je serai bien sage, puisque je serai heureux!

– Pauvre enfant! murmura Jacqueline, touchée jusqu’au fond du cœur.

Quelques minutes après… sur le quai de la gare, Jacqueline répondait aux baisers que lui envoyaient Jeannot et le môme Réglisse, dont les deux figures joyeuses apparaissaient dans l’encadrement de la portière, tandis que le train, lentement, se mettait en marche…

*
* *

Tandis que les ténèbres enveloppaient les ruines du Château-Rouge, Judex, seul dans son laboratoire, grâce au miroir mouvant placé dans la cellule du prisonnier, regardait obstinément Favraux qui, prostré, anéanti, semblait avoir définitivement succombé sous le poids du châtiment qui l’avait frappé en plein triomphe.

Bientôt Judex, abandonnant son poste d’observation, s’en vint s’asseoir devant une table… et, faisant manœuvrer le mécanisme d’un tiroir secret, il s’empara d’une photographie qu’il se mit à contempler avec une étrange insistance.

C’était le portrait de Jacqueline.

Comment cette carte-album, qui se trouvait quelques jours auparavant sur un piano, dans le grand salon du château des Sablons, avait-elle pu tomber entre ses mains?… Seul il eût pu le dire… En attendant, ses yeux, tout à l’heure encore si durs, si implacables lorsqu’ils se dirigeaient vers son ennemi, étaient adoucis en une expression indéfinissable et qu’on eût dit faite à la fois d’une incommensurable pitié, d’un regret hésitant et d’une mystérieuse mélancolie.

De sa bouche des paroles s’échappaient en un murmure:

– Oui, c’est un ange… un ange!…

Au bout d’un long instant… il renferma le portrait dans sa cachette… et il demeura énigmatique… immobile, le regard perdu dans son rêve…

Par un caprice du destin, Judex allait-il aimer la fille du banquier?

QUATRIÈME ÉPISODE Le secret de la tombe

I PIERRE KERJEAN

Le Dr Gortais, directeur d’une importante clinique aux environs de Mantes, venait comme chaque matin d’arriver à neuf heures précises à son bureau. Après avoir pris connaissance de son courrier et revêtu sa blouse et son tablier blanc d’hôpital, il s’apprêtait à se rendre au chevet de ses malades, lorsque son garçon vint lui apporter une carte de visite ainsi libellée:

M. ROGER-JACQUES

avocat

Rue Michel-Ange, Paris.

Le praticien, impatienté, grommela:

– Qu’est-ce qu’il me veut encore, celui-là, juste à l’heure de ma visite? Dites à ce monsieur de repasser à cinq heures.

Mais, se ravisant aussitôt, il reprit:

– Attendez donc! Roger-Jacques! Mais j’y suis! C’est bien cela! J’allais faire une belle gaffe! Joseph, faites entrer ce monsieur.

Tandis que le Dr Gortais, un peu bourru d’aspect, mais au fond brave homme et bon médecin, tout dévoué à ses malades, s’installait devant son bureau et prenait dans un dossier à portée de sa main une feuille de papier qui avait toutes les apparences d’un relevé d’honoraires, Joseph introduisait auprès de son patron un jeune homme fort élégant, complètement imberbe, à la figure sérieuse, intelligente et sympathique.

– Veuillez donc vous donner la peine de vous asseoir, maître Roger-Jacques, invitait fort aimablement le directeur de la clinique.

Le frère de Judex, après s’être incliné légèrement, attaqua:

– Docteur, j’ai reçu un mot de votre économe m’annonçant que le nommé Pierre Kerjean était complètement rétabli. En même temps vous me faisiez parvenir votre note pour frais d’hospitalisation et soins médicaux qui s’élèvent à ce jour à 945 francs 75 centimes.

– Parfaitement, monsieur.

– Voici mille francs, docteur.

– Je vais vous rendre…

– Inutile. Le surplus servira de gratification aux infirmiers qui se sont occupés de mon protégé.

– Vous êtes mille fois aimable!

– Et maintenant, docteur, permettez-moi de vous féliciter de l’habileté dont vous avez fait preuve en arrachant ce malheureux à la mort.

– Le fait est que lorsque vous m’avez amené ce pauvre diable, il était joliment mal en point et j’étais bien convaincu qu’il ne passerait pas la nuit… Enfin, on a fait ce qu’on a pu.

– Au delà, docteur.

– Je dois dire que le gaillard, bien que sexagénaire, est doué d’un de ces tempéraments de fer dont rien ne semble pouvoir venir à bout!…

– N’empêche que Kerjean vous doit la vie!…

Très sensible à ces félicitations, le Dr Gortais poursuivait:

– Vous allez voir comme il est beau… Un vieux chêne qui aurait retrouvé ses feuilles… Voulez-vous que je l’envoie chercher?

– Auparavant, docteur, j’aurais besoin de vous demander quelques renseignements.

– Je suis à votre entière disposition.

– Kerjean ignore toujours mon nom?

– Vous m’aviez recommandé de le taire. J’ai suivi rigoureusement vos instructions…

– A-t-il fini par se rappeler les circonstances dans lesquelles il avait failli périr?

– Il a fini par nous dire qu’il était tombé mourant de fatigue sur la route et qu’il n’avait pu se garer à temps d’une automobile qui arrivait à toute vitesse. Mais il nous a déclaré qu’il n’avait même pas eu le temps d’apercevoir les auteurs de l’accident.

– Je vous remercie, docteur… Vous pouvez me présenter à ce brave homme.

– Vous l’emmenez?

– S’il y consent.

Quelques instants après, Pierre Kerjean, complètement revenu à la santé, vêtu d’un costume modeste, d’une propreté méticuleuse, la barbe taillée, les cheveux bien peignés, entrait dans le bureau du praticien.

– Mon ami, fit celui-ci, je vous présente M. Roger-Jacques, avocat à Paris… qui, après vous avoir recueilli sur la route, vous a conduit dans sa voiture jusqu’à ma clinique et m’a demandé de vous guérir. C’est à lui, encore plus qu’à moi que vous devez, Kerjean, d’être encore de ce monde.

Le vieux chemineau avait d’abord enveloppé d’un regard plein de méfiance le jeune homme qu’il voyait pour la première fois…

Mais, presque aussitôt, ses traits se détendirent et ce fut d’une voix où perçait une réelle émotion qu’il répondit:

– Bien souvent, monsieur, depuis que je suis revenu à moi, j’ai demandé à M. le docteur le nom de la personne généreuse à qui je devais tous les soins dont j’étais entouré. M. le docteur me répondait toujours qu’il ne pouvait pas me le dire, et je me contentais de bénir en moi-même mon bienfaiteur inconnu… Puisque enfin vous voulez bien vous révéler à moi, croyez, monsieur, que je suis profondément heureux de vous exprimer ma vive gratitude.