– Je vais vous en donner la preuve.
Alors le détective malgré lui, décidé à tout pour s’innocenter de la terrible accusation qui pesait sur lui, prit une petite clef attachée à sa chaîne de montre et, ouvrant un tiroir de son bureau, il en retira deux feuilles de papier tout en disant d’une voix qu’il s’efforçait de raffermir:
– Monsieur Favraut avait reçu, la veille et le jour de sa mort, deux lettres que j’ai cru devoir restituer à la famille; mais j’en ai gardé copie. Les voici… veuillez en prendre connaissance.
En homme sûr de son fait et en paix avec sa conscience, il tendit les papiers aux deux bandits, tout en ajoutant:
– Vous constaterez, baron, et vous aussi, madame, que si j’avais été Judex, je me serais bien gardé de rapporter les originaux de ces deux lettres à la fille de cet infortuné banquier.
– Certainement, monsieur Cocantin, s’empressèrent de déclarer les deux bandits, qui avaient appris ce qu’ils voulaient savoir.
Enchantée d’être arrivée à ses fins, Diana ajoutait:
– Nous vous devons toutes sortes d’excuses… Nous sommes désolés!… Comment réparer nos torts envers vous? Mais, que voulez-vous? Nous avons été trompés par les apparences, influencés par certains racontars…
– Ah! ça… par exemple…, s’effrayait Prosper. On dit…
– On dit tant de choses…, glissait perfidement l’aventurière, redevenue aimable. On ne peut pas empêcher les potins de se former, ni les gens de les faire circuler…
– M’accuser, moi… d’une pareille chose, s’indignait Cocantin. Tous ceux qui me connaissent savent très bien que je suis incapable de faire du mal même à une mouche.
– Le monde est si méchant.
– Me faire passer pour un homme qui se cache pour tuer les gens et qui enlève ensuite leur cadavre, mais c’est abominable! Que dois-je faire pour mettre fin à une pareille calomnie?…
– Il n’y a qu’un moyen insinuait la Monti: «Nous aider à retrouver Judex!»
– Moi qui avais juré de ne plus m’occuper de cette affaire.
– Dans votre intérêt, encore bien plus que dans le nôtre, appuyait Moralès, j’estime que pour faire cesser tous ces commérages stupides, la première chose à faire pour vous est de découvrir ce mystérieux personnage.
– Le baron a complètement raison, appuyait Diana. D’autant plus qu’il est infiniment probable que ce gredin n’en restera pas là… Il est donc indispensable de couper le mal par la racine. En nous y aidant, monsieur Cocantin, non seulement vous vous serez rendu service à vous-même, mais vous aurez encore bien mérité de la société.
– Vous avez sans doute raison, reconnaissait Prosper, très ébranlé par les arguments de ses deux interlocuteurs.
– Nous pouvons donc compter sur vous? demandait Moralès.
– Avant de m’embarquer dans une affaire aussi grave, j’ai besoin d’étudier encore le dossier.
– Cher monsieur Cocantin, reprenait la Monti, en se faisant très chatte et en enveloppant le détective privé d’un coup d’œil incendiaire…, je suppose que vous ne vous figurez pas un seul instant que je m’en vais vous faire travailler pour… mes beaux yeux?
– Cela suffirait pour me décider…, ripostait galamment l’inflammable Prosper.
– Toute peine mérite salaire, poursuivait l’intrigante créature, qui, affectant une grande netteté, définit:
– Il y a cent mille francs pour vous, monsieur Cocantin, si vous réussissez.
Vaincu beaucoup plus par le regard prometteur dont l’ex-institutrice accompagnait son offre que par la promesse de cette forte somme, Cocantin s’écria en s’emparant des mains de l’aventurière et en les embrassant avec un peu plus d’ardeur qu’il n’eût peut-être convenu en présence du «baron» Moralès:
– C’est entendu… Comptez sur moi. Désormais, je vous suis tout acquis.
– À la bonne heure…, approuvait Diana… Discrétion absolue.
– Discrétion et célérité!
– Parfait!
– Que dois-je faire? interrogeait naïvement le détective malgré lui.
– Attendre mes ordres! déclara l’aventurière en achevant d’ensorceler Cocantin par son regard et son sourire.
– Tout va bien, fit Diana d’un air de triomphe, lorsqu’elle se retrouva dans la rue avec son amant.
Et, se penchant à l’oreille de son amant, elle ajouta:
– Tu vois bien que je ne bluffais pas quand je te disais que nous pourrions «récupérer» les millions du banquier.
– Ce qu’il faut avant tout, émettait Moralès, c’est retrouver Judex.
– Naturellement.
– Et tu crois que ce Cocantin est capable?
– Lui! ricana cyniquement la Monti. Il n’est pas plus fait pour être détective que moi pour être une honnête femme… Je me suis servie de lui pour me procurer les renseignements dont j’avais besoin pour marcher à coup sûr… Il me les a fournis. Je ne lui en demande pas davantage.
– Alors, pourquoi l’avoir mis dans notre jeu?… Pourquoi surtout cette promesse de cent mille francs?
– Tout simplement parce que j’ai besoin d’un homme qui, tout en me servant avec la plus docile fidélité, ne soit pas assez intelligent pour pénétrer mes secrets desseins et se laisse compromettre suffisamment pour qu’au cas échéant, je puisse faire retomber sur son dos toutes les responsabilités… Cocantin est le type rêvé de l’emploi… Sois sûr qu’il nous servira!
– Tu as du génie.
– Non, mais j’ai très faim… Emmène-moi déjeuner dans un bon restaurant. Nous rentrerons ensuite à la maison pour «travailler»! Car, mon petit ami, je prévois que nous allons avoir beaucoup d’ouvrage!
V L’OBSESSION
À plusieurs reprises, Diana Monti, qui semblait en proie à une vive anxiété, s’était rendue à l’une des fenêtres du salon qui donnait sur la rue… et, chaque fois, elle s’était prise à murmurer avec agacement:
– Pourvu qu’il ait trouvé Crémard! Ce serait bien désagréable s’il l’avait manqué… Si nous voulons réussir, il n’y a pas un moment à perdre.
Visiblement obsédée par une idée qui semblait s’être incrustée en elle, elle fit entre ses dents.
– Oh! les millions de Favraut… les tenir, enfin!… Quelle revanche!
L’aventurière, rapidement, se faisait à elle-même le résumé de sa vie… Elle était le fruit d’un de ces ménages interlopes qui n’exercent aucune profession définie, et ne doivent la plupart du temps leur existence qu’à des expédients qui leur font chaque jour risquer la police correctionnelle et même la cour d’assises… Ses parents remarquant sa précoce beauté voulurent en faire une danseuse et l’envoyèrent en Italie apprendre ce métier. À seize ans elle fut enlevée par le prince Martelli, l’un des plus grands seigneurs de Rome qui, follement épris de la jeune ballerine, l’arracha définitivement au milieu où elle vivait, et non seulement la combla de cadeaux magnifiques, mais lui fit encore donner une éducation et une instruction très complètes… Diana mena pendant plusieurs années une existence des plus brillantes et des plus heureuses… Mais, un jour, le prince Martelli mourut subitement sans avoir eu le temps d’assurer l’avenir de sa maîtresse.