Celle-ci poursuivait, de plus en plus douce, enveloppante:
– Écoute-moi, je t’en prie… Tu sais bien que je t’aime et que c’est ton bonheur autant que le mien que j’ai voulu réaliser.
– Inutile de m’en dire davantage.
– Pourquoi?
– Parce que, maintenant, je vois clair en ton jeu, clair en moi-même. Tu ne m’as jamais aimé.
– Mora…
– Non, tu ne t’es donnée à moi que pour m’imposer ta volonté… afin de te servir de moi pour exécuter les crimes que tu imaginais et pour pouvoir, si nous étions arrêtés, faire tout retomber sur moi.
– Comme tu es injuste!
– En voilà assez!
– Je ne te demande qu’une chose: laisse-moi partir.
– Jamais!…
– Mora!… Mora! suppliait l’aventurière avec des sanglots vrais ou factices… C’est mal, c’est lâche, ce que tu fais là… songe qu’il y a quelques heures à peine, tu me tenais encore dans tes bras… tu te grisais de mes baisers… tu me jurais que tu étais prêt à tout sacrifier, à mourir au besoin pour moi.
– J’étais fou!
– Ouvre-moi… je t’en conjure… Ne me livre pas, toi, mon amant… toi que j’aime.
– Allons donc!
– Oui, que j’aime encore… puisque je suis toujours prête à m’enfuir avec toi… toi, mon amant… Ne me livre pas à ce justicier mystérieux dont nous a menacés ton père!
Et comme Moralès, fort de son repentir récent et décidé à étouffer en lui à tout jamais la passion qui l’avait entraîné si bas, gardait un silence glacial et méprisant, Diana Monti, frappant contre la porte, continuait à implorer:
– Ouvre-moi, je t’en supplie!… Non, ce n’est pas possible que tu me trahisses ainsi… Ces gens sont capables de me tuer… C’est affreux… Puisque je te jure que je ne ferai aucun mal à cette femme… Je n’ai plus qu’un désir: m’en aller… loin, très loin, avec toi… si tu le veux… avec toi seul… Pitié, pour ton amie… pour la femme que tu as adorée… que tu adores encore… car je le sens, je le devine, tu es encore et tu seras toujours à moi… Tu n’oses pas m’ouvrir… parce que tu as peur que je ne te ressaisisse… Tu trembles à la pensée que, devant mes larmes, tu risquerais de t’attendrir et de manquer au serment que vient de t’arracher ton père… Et quand cela serait, mon pauvre Mora?… En me sauvant, ne serait-ce pas te sauver toi-même? En effet, réfléchis… Quelle sera désormais ta vie?
«Tu devras te cacher… t’expatrier, ou tu seras obligé de te livrer toi-même à la justice. Tu veux donc te faire arrêter, passer les plus belles années de ton existence entre les quatre murs d’une prison, ou t’en aller mourir dans quelque colonie malsaine… loin de tout… loin de moi… qui, à mon tour, suis prête à me sacrifier entièrement à ton bonheur? Mora, Mora, non, il n’est pas possible que tu ne m’entendes pas; que tu restes insensible à mes prières. Nous avons quelque argent devant nous… et nous pouvons encore tirer gros parti de la lettre du baron de Birargues… dix, vingt, cinquante mille francs peut-être… Avec cela nous partirons pour l’étranger… Nous sommes intelligents… Nous travaillerons… Tu veux redevenir honnête?… Eh bien, je le veux, moi aussi… car je le reconnais à présent, c’est toi qui as raison…
«Va, en quelques minutes, je viens de réfléchir cruellement, sagement. Il s’est produit un grand changement en moi… Je reconnais que j’ai eu tort d’être si ambitieuse… Les millions de Favraut m’avaient rendue folle. Mais maintenant, tout m’est égal! pourvu que tu me restes… pourvu que nous soyons libres tous deux, oui, libres de nous aimer, en refaisant notre vie.
«Mora, Mora… mon ami… mon amant…
Et comme le fils de Kerjean s’obstinait dans son silence, l’aventurière s’écria avec un accent vraiment désespéré:
– Tu ne me réponds même pas… C’est épouvantable!
Et Moralès qui s’était éloigné de la porte, tant il craignait que repris, subjugué, vaincu par la voix fascinatrice, il ne lui vînt la tentation affreuse de délivrer Diana, entendit le bruit que fait un corps en se laissant choir lourdement sur le plancher…
Comme des cris étouffés, accompagnés de plaintes douloureuses, s’élevaient du grenier, Moralès s’éloigna encore, se bouchant les oreilles pour tâcher de ne plus entendre… car il avait compris que sa passion n’était pas tout à fait morte et que s’il cédait à sa maîtresse, s’il la revoyait ne fût-ce que quelques secondes, il était irrémédiablement perdu…
Malgré cela il se sentait remué en entendant ces sanglots de navrance qui se faisaient de plus en plus désespérants et de plus en plus faibles; mais il s’efforça d’absorber entièrement sa pensée en cette jeune femme, en la fille du banquier Favraut, comme il l’appelait, et qui, dans la chambre abandonnée du vieux moulin, étendue sur ce banc… toujours immobile… ses cheveux dénoués autour de sa tête de madone endormie, semblait déjà ne plus appartenir à la terre.
Alors, une crainte terrible angoissa soudain cette âme nouvellement régénérée, se traduisant par ces mots tombant lentement de ses lèvres fiévreuses, tremblantes:
– Si elle était morte?
Et tout de suite, il songea:
– Autant que Diana j’aurais contribué à l’assassiner! Comprenant mieux encore toute l’étendue de sa lâcheté, il se rapprocha de Jacqueline… n’osant pas la toucher… tant il avait peur de sentir une main glacée… mais cherchant à voir si elle respirait… guettant avec avidité le moindre souffle qui s’exhalerait de ses lèvres…
Ah! que n’eût-il donné pour qu’elle rouvrît les yeux… pour qu’il pût lui dire le premier:
– Rassurez-vous, je ne vous veux plus aucun mal… c’est moi au contraire qui vous protège et qui vous garde!
Mais rien… aucun signe de vie…
La prostration… complète… absolue… le néant peut-être.
Alors, incapable de maîtriser la douleur que lui causaient ses remords tardifs et sa honte de lui-même, Robert Kerjean se laissa tomber à genoux auprès de Jacqueline.
Puis, s’enhardissant, il saisit doucement la main de la jeune femme et la garda dans les siennes.
Bientôt, il lui sembla qu’elle se réchauffait. C’était donc que le sang n’avait pas cessé de circuler tout à fait dans ce pauvre corps pantelant et inanimé…
N’était-ce pas une illusion?…
Non. Car Moralès sentit bientôt quelques pulsations, légères, intermittentes…
Elle était donc vivante… vivante… On pourrait donc chercher à la sauver… on la sauverait.
Et ce malheureux… ce dévoyé… qui, bien dirigé, eût fait un brave garçon, un honnête homme, sentit son cœur s’attendrir à la première joie vraiment pure, qui, depuis son enfance, avait fait battre son cœur…