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– Non…, affirmait Jacqueline, en faisant les plus grands efforts pour rassembler ses souvenirs. Je ne me souviens pas.

Puis, tout en enveloppant de son magnifique et clair regard de loyauté l’ancien collaborateur de son père, elle fit:

– Vous ne me dites pas la vérité.

– Oh! madame.

– Ou du moins vous en savez beaucoup plus long que vous ne voulez m’en révéler.

– Cependant…

– Comment seriez-vous au courant de tous ces détails, si ce Judex ne vous avait pas fait ses confidences?

– Je vous l’ai déjà dit, chère madame… Je n’ai vu que son serviteur…

– Je veux bien vous croire… mais une autre, une dernière question à laquelle je vous adjure de me répondre avec la plus entière franchise: Avez-vous le moyen de communiquer avec Judex?

– Oui, madame, répondit nettement Vallières.

– Eh bien, veuillez avoir l’obligeance de lui écrire une lettre que je m’en vais vous dicter.

– Très volontiers.

Et Vallières, qui semblait non moins ému que sa protégée, s’installa devant une table où se trouvaient tous les objets nécessaires à une correspondance, trempa sa plume dans un encrier d’une main qui tremblait légèrement et fit:

– Madame, je suis à vos ordres…

Jacqueline s’était entièrement ressaisie. En pleine possession de sa pensée, toute vibrante de la dignité la plus pure en même temps que de la volonté la plus forte, elle commença à dicter d’une voix ferme, assurée:

Monsieur,

M. Vallières vient de me mettre au courant des circonstances à la suite desquelles je me trouvais en ce moment chez lui.

C’est très volontiers que j’accepte l’hospitalité de ce bon, de cet excellent homme… Mais je ne veux la tenir que de lui… et encore est-ce à la condition que mon fils vienne la partager avec moi.

– Ceci a toujours été entendu…, interrompait Vallières doucement.

Jacqueline continuait à dicter:

Quant à vous, monsieur, si vrai soit-il que je vous doive la vie, votre nom mystérieux évoquera toujours en moi le sombre drame de la mort de mon malheureux père.

Je n’ose le répéter, et je ne le lis plus qu’avec effroi.

Je demanderai donc à M. Vallières de ne plus le prononcer devant moi…

– C’est fini? demanda Vallières à Jacqueline qui s’était arrêtée.

– Oui… c’est fini.

D’un geste impassible et froid, Vallières tendit la lettre à la jeune femme, qui signa et la remit à son hôte, en disant:

– Croyez, mon ami, que je n’oublierai jamais la nouvelle preuve de dévouement que vous me donnez là.

– Je n’ai fait que mon devoir…, fit l’ancien secrétaire en s’inclinant… et en embrassant respectueusement la main que lui tendait Jacqueline.

Puis, il regagna l’antichambre qu’il traversa dans toute sa longueur, et pénétra aussitôt dans son cabinet de travail.

Appuyant sur le bouton d’une sonnerie électrique, il attendit un instant… regardant avec fixité la lettre de Jacqueline à Judex… qu’il avait déposée devant lui, sur son bureau jusqu’au moment où, après avoir frappé à la porte, apparut une femme d’une cinquantaine d’années… vêtue d’une robe noire, et à la physionomie aimable et intelligente.

C’était la gouvernante, Mme Fleury.

– Gabrielle, fit M. Vallières… je vais probablement être obligé de m’absenter… Je vous recommande de redoubler de surveillance… et surtout de ne laisser pénétrer ici personne en dehors des gens dont je vous ai donné les noms.

– Monsieur peut compter entièrement sur moi.

– Vous surveillerez attentivement Mariette… C’est une fille très sérieuse… et dont j’ai pu apprécier les qualités… Mais elle est jeune… elle est jolie… Elle peut être tentée… Au moindre soupçon qu’elle vous inspirerait, n’hésitez pas à la renvoyer sur-le-champ… et téléphonez-moi comme toujours, à l’endroit indiqué.

– Monsieur peut compter sur moi…, répliqua Mme Fleury, qui semblait avoir pour son patron une vénération sans bornes.

– Et maintenant, Gabrielle… laissez-moi et surtout que personne ne me dérange…

– Pas même M. Roger?

– J’ai dit personne.

– Bien, monsieur.

La gouvernante tourna les talons et disparut.

Alors, Vallières se leva… fit quelques pas saccadés à travers la pièce, s’en fut fermer sa porte au verrou; puis revenant à sa table, il se laissa tomber sur son fauteuil… et, plongeant la tête entre ses mains, il parut s’absorber en une profonde rêverie… de profonds soupirs gonflaient sa poitrine, ses épaules eurent quelques tressaillements douloureux… tandis que ce nom… prononcé avec un accent déchirant, s’étranglait dans sa gorge!

– Jacqueline!

Et voilà que tout à coup… Vallières se relève… sa taille courbée s’est redressée… ses yeux brillent d’un feu étrange… et dans un geste brusque arrachant la perruque et la barbe postiche qui, véritable chef-d’œuvre de camouflage, le rendent méconnaissable, il laisse apparaître le visage austère et superbe de Judex… tandis que cette phrase s’échappe de ses lèvres:

– J’en étais sûr… Elle ne m’aimera jamais!…

II LE CRIME EN MARCHE

Après l’aventure qui lui était arrivée au moulin de Kerjean, Diana Monti avait jugé utile de disparaître pendant quelque temps, afin, comme elle le disait, de voir venir les événements; et elle était allée se cacher dans un modeste hôtel des environs de Paris… où elle s’était fait inscrire sous un nom d’emprunt.

Mais au bout de quelques jours, aucun événement fâcheux pour elle ne se produisant et les deux «exécuteurs» de ses hautes œuvres, c’est-à-dire Crémard et le docteur Pop, lui ayant fait savoir que tout semblait assoupi, Diana, qui n’était pas femme à rester longtemps tranquille, avait promptement regagné la capitale.

La terrible aventurière, en effet, n’avait pas renoncé à ses projets. Extrêmement opiniâtre et remarquablement intelligente, elle avait très bien saisi que, désormais, une lutte à mort était engagée entre elle et Judex.

Froidement, elle avait pesé en même temps que les dangers qu’elle courait, les atouts qu’elle avait dans son jeu.

Les dangers… D’abord Judex, ennemi puissant, formidable même, et d’autant plus à redouter qu’il s’enveloppait d’un mystère qu’elle n’avait pas encore réussi à percer.