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Tous deux s’en vont d’un pas rapide vers la tour… continuer leur flirt sous le regard des étoiles, se confier leurs mutuelles impressions devant la Méditerranée qui, cette nuit, a des reflets d’un argent éclatant… contrastant étrangement avec les ténèbres bleutées qui forment au-dessus d’eux comme un voile fluide… plein de charme et de mystère.

Derrière eux, le bruit de pas s’est rapproché… sonore… martelant énergiquement les dalles de la jetée.

Au moment où il arrive au pied de la tour, Cocantin, cédant à un mouvement de curiosité fort naturelle, se retourne et regarde.

Près de la borne qu’il vient de quitter… il aperçoit, debout, au clair de lune, un homme enveloppé dans un ample manteau et dont il reconnaît aussitôt la caractéristique silhouette.

– Judex! laisse-t-il instinctivement échapper.

– Judex? répéta l’Américaine. What is it?

– Ce n’est rien…, se reprend Cocantin ou plutôt c’est-à-dire que si… c’est un ami… un grand ami à moi.

– Croyez-vous qu’il nous a vus?

– Non… et puis il n’y a rien à craindre… c’est un homme très discret.

– Si vous me présentiez? proposa malicieusement miss Daisy Torp… ce sera peut-être plus correct.

– Non! Non! refuse Cocantin…

Et revenant tout à coup à la réalité des événements que sa préoccupation amoureuse… lui a fait oublier…, il explique:

– Nous le gênerions… Il ne faut pas qu’il nous voie… Cachons-nous.

– Est-ce que lui aussi aurait un rendez-vous?

– Oui, oui…

– D’amour?

– Daisy, ne me questionnez pas.

– Qu’avez-vous, dear Prosper… vous semblez tout ému.

– Je le suis en effet.

– Pourquoi?

– Mais, parce que… parce que je vous aime.

– Bien vrai?

– Je vous adore!

Pour bien prouver à l’aimable Daisy Torp toute la sincérité de sa flamme, Cocantin se préparait à la serrer tendrement contre son cœur, lorsque le bruit rythmé de rames frappant les flots parut grandir son anxiété qui ne s’était d’ailleurs que très superficiellement calmée.

– Attendez, ma chère Daisy…, fit-il en s’éloignant légèrement de la baigneuse.

Dissimulé derrière un pan de mur, il lança un regard vers l’endroit où, un instant auparavant, il avait aperçu Judex.

Celui-ci s’était assis sur la borne, et semblait attendre les événements avec sérénité.

On aurait même dit qu’il n’avait nullement vu un canot, monté par plusieurs hommes, quitter le flanc du brick-goélette à l’ancre et se diriger vers la jetée.

Lorsque l’embarcation stoppa à quelques mètres de lui, il ne bougea pas davantage.

Ce fut à peine s’il détourna la tête, lorsqu’un tout jeune matelot, sautant à terre, se dirigea vers lui.

Cocantin, grâce au magnifique clair de lune qui rayonnait sur la baie suivait tous ces détails avec la plus rigoureuse exactitude…

Jusqu’alors il était demeuré impassible.

Mais lorsqu’il vit le jeune matelot frapper légèrement sur l’épaule de Judex, celui-ci se lever brusquement, et dévisager son interlocuteur avec un air de souverain mépris, le directeur de l’Agence Céléritas ne put retenir une sourde exclamation:

– Diable! Diable!

– Qu’y a-t-il? interrogea Miss Daisy Torp qui avait rejoint son ami.

– Il y a, murmura celui-ci qui paraissait de plus en plus troublé… Il y a que nous allons assister, je crois, à des choses tout à fait extraordinaires!…

V LE GUET-APENS

Lorsque Jacques de Trémeuse qui, sans en avoir l’air, n’avait rien perdu des mouvements du canot, s’était entendu interpeller en ces termes: «Hé! bonsoir, cher monsieur Judex!», malgré tout son incomparable sang-froid, il n’avait pu réprimer un tressaillement… et il s’était tout de suite redressé, faisant face à l’adversaire.

C’est que, tout de suite, il avait reconnu la voix railleuse, mordante qui vibrait à ses oreilles.

– Diana…, se dit-il. La lutte s’engage… Attendons…

L’aventurière, qui portait avec une sorte de cynique élégance son travestissement de marin, interrogeait, toujours gouailleuse:

– Peut-on vous demander ce que vous faites, ce soir, sur cette jetée?

D’autant plus hardie qu’elle se sentait protégée par les bandits qui étaient restés dans la barque, prêts à accourir à son premier signal, l’ex-institutrice des Sablons ajouta:

– Serait-ce, par hasard, pour rimer quelque sonnet aux étoiles?

– Non, répliqua Judex d’une voix incisive. J’attends Favraut!

– Ah! vous attendez Favraut? Et pourquoi, s’il vous plaît?

– Qu’est-ce que cela peut vous faire?

Diana qui, malgré toute son audace et la sécurité que lui inspirait la présence de ses compagnons, se sentait quelque peu démontée par l’intervention de son mortel et redoutable ennemi, répondit cependant:

– J’ai été chargée par lui d’amener à bord du navire où il se trouve sa fille et son petit-fils auxquels il avait demandé de le rejoindre.

– Et moi…, scanda Jacques de Trémeuse, je suis venu pour vous empêcher de les assassiner.

– Que dites-vous? grinça la misérable, furieuse de voir ses plans déjoués.

Mais, malgré tout, elle voulut bluffer:

– Assassiner cette femme… cet enfant… mais monsieur vous êtes fou!

– Vous n’en êtes pas à votre coup d’essai.

– Monsieur… je ne comprends pas.

– Vous ne comprenez pas?

Enlevant d’un geste brusque le béret que portait l’aventurière dont les longs cheveux bruns se dénouèrent aussitôt pour retomber sur ses épaules, Judex s’écria:

– Allons… Diana Monti, puisque nous voilà enfin face à face, jouons franc jeu et pas d’inutile comédie.

Mais la maîtresse de Moralès, brandissant soudain le revolver qu’elle dissimulait derrière son dos, le braqua vers la poitrine de Judex qui, sans se départir de son calme, écarta l’arme d’un geste irrésistible avant que Diana ait eu le temps de presser sur la détente et déclara sur ce ton plein d’autorité impérieuse:

– Pas de nerfs… madame, je vous en prie… si vous saviez dans quel but je suis ici, vous ne chercheriez pas à vous débarrasser de moi, bien au contraire.