Comme Diana avait eu un mouvement de surprise, Jacques de Trémeuse, profitant de l’ascendant qu’il venait de conquérir si promptement sur son ennemie, formula aussitôt:
– Je ne suis animé que d’intentions extrêmement pacifiques. Vous pouvez constater que je suis sans armes. Je suis tout simplement venu pour négocier la rançon du banquier Favraut.
– La rançon du banquier Favraut! répétait la Monti, de plus en plus étonnée.
– Parfaitement!
Marie Verdier gardait un silence qui prouvait toute sa surprise. Alors, Judex reprit sur un ton de loyauté et de noblesse bien fait pour vaincre les hésitations de son interlocutrice:
– Voulez-vous que nous en parlions tout de suite?
– Mais… volontiers, monsieur.
– Bien.
Et Jacques de Trémeuse reprit, tout aussi tranquille que s’il eût discuté ses intérêts particuliers avec son notaire:
– Je n’userai pas de périphrases… En affaires, j’ai toujours pour principe d’aller droit au but; et je vous prie de bien vous convaincre que ce n’est pas autre chose qu’une affaire que nous traitons. Si, comme je l’espère, nous aboutissons au résultat que je désire, non seulement j’oublierai les circonstances dans lesquelles elle aura été conclue, mais je m’empresserai de rayer de ma mémoire jusqu’au souvenir de ceux qui l’auront traitée avec moi. Cette déclaration doit donc entièrement vous rassurer.
– En ce cas, monsieur…, répliqua Diana, voyons quelles sont vos conditions.
– N’est-ce pas à vous plutôt de me fixer les vôtres?
– Je vous avoue que je n’ai guère eu le temps d’y réfléchir. Comme vous le dites, c’est une affaire…
– Une très grosse affaire…
– Qui demande à ce qu’on y pense…
– Mais qui a besoin d’être enlevée très rapidement.
– Je ne suis pas seule.
– Oh! c’est tout comme.
– Je vous assure que c’est très embarrassant.
– Alors, proposait finement Judex, voulez-vous me laisser me substituer un instant à vous?
– Volontiers.
– Et vous parler avec une franchise qui vous offusquera peut-être, mais que vous ne manquerez pas – car vous êtes fort intelligente – de trouver indispensable?
Diana Monti qui n’était pas sans éprouver une instinctive admiration pour l’homme vraiment extraordinaire qu’elle avait devant elle, se disait:
– Toi, mon gaillard… tu as beau être très fort… Si tu crois me rouler… tu te trompes… et je vais te prouver que Diana Monti est de taille à te répondre.
Et, tout haut, elle fit sur un ton de conciliation plus apparente que réelle:
– Je vous avouerai que la façon plutôt originale avec laquelle vous vous êtes présenté à moi n’avait pas été sans m’inspirer une certaine méfiance, et justifiait par conséquent le geste de défense dont j’ai cru devoir user envers vous.
Puis, tout en plaçant ostensiblement son revolver dans la poche de sa vareuse, elle ajouta avec un aimable sourire que tempérait l’éclat sombre de son regard:
– La correction de votre attitude et de votre langage, en me rassurant entièrement… me permet donc de vous entendre en tout repos… Parlez, monsieur, je vous écoute.
Judex reprenait:
– Négligeant tous les détails et toutes les circonstances qui, depuis un certain temps, nous ont mis en conflit tous les deux, je ne veux m’occuper que de la question qui nous intéresse présentement, c’est-à-dire le rachat de Favraut. D’abord, pourquoi m’avez-vous enlevé le banquier? Pour vous faire épouser par lui… et vous emparer de sa fortune… après vous être débarrassée de sa fille et de son petit-fils. Ne protestez pas!… Je vous ai prévenue que je vous dirais des choses désagréables. Mieux vaut commencer par là… et nous en débarrasser tout de suite, afin d’éviter un malentendu qui pourrait compromettre le résultat de nos négociations… Écoutez-moi donc jusqu’au bout, je vous en prie; et je vous garantis que vous n’aurez pas à vous en repentir.
Diana, de plus en plus intriguée par le tour que prenait cette singulière causerie, fit d’une voix sourde:
– Continuez…
Judex, impassible, déclarait:
– Votre plan, désormais, ne peut plus réussir.
– Vous croyez? ponctuait Diana.
– J’en suis sûr. Pour en arriver à vos fins, et vous l’avez admirablement compris, vous avez résolu de supprimer Jacqueline Aubry et son fils… non pas seulement parce que vous voulez vous emparer de leur part d’héritage, mais encore et surtout parce qu’ils sont devenus des témoins gênants, et parfaitement capables, en révélant à Favraut toute votre conduite, de vous perdre à ses yeux et de démolir à jamais l’échafaudage que vous avez si habilement construit. Grâce à un heureux concours d’événements sur lesquels je ne veux pas m’attarder, vous n’avez pas réussi à exécuter cette partie si importante de votre programme… Ce soir, vous avez encore une fois échoué… et vous échouerez toujours… Quand je devrais ne pas rentrer vivant à la villa de Trémeuse…
– Vous n’avez rien à craindre de moi, affirmait Diana, très avide de lire entièrement dans le jeu de son partenaire.
Judex ripostait:
– Tant mieux pour moi, pour vous et pour tous! Je résume… Vous devez donc renoncer à vous emparer des millions de Favraut… et même à le faire reparaître sur la scène du monde… et cela autant dans votre intérêt que dans le sien. Car aussitôt qu’il voudra réclamer ses droits… sa fille se dressera entre lui et vous. Et tandis que lui m’accusera de l’avoir séquestré, Jacqueline vous accusera d’avoir voulu vous débarrasser d’elle et de son fils. Nous avons donc intérêt, vous autant que moi, à ce que Favraut reste dans sa tombe. Somme toute, il n’y a que vous, Moralès et moi, qui sachions qu’il est vivant. Car je suppose que vous n’avez pas été assez imprudente pour mettre les gens que vous avez employés entièrement dans la confidence de son aventure.
– Certes! Mais il y a sa fille.
– Je m’en charge!…
– Cependant…
Et Judex, auquel il répugnait de mentir, même à une criminelle de l’envergure de Diana, fit sur un ton agacé:
– Je vous répète que je m’en charge. Vous voyez donc bien que tout peut très bien s’arranger… au mieux de nos intérêts devenus communs.
– Peut-être! cédait peu à peu l’aventurière qui semblait vivement impressionnée par les arguments de son adversaire.
Celui-ci achevait:
– Qu’allez-vous faire de Favraut? Il va être extrêmement embarrassant. Il vous sera sinon impossible, mais tout au moins extrêmement difficile de l’isoler entièrement… Tôt ou tard, ou il vous échappera ou on le découvrira. Tandis qu’avec moi… rien à craindre… je vous garantis que cette fois, je prendrai de telles précautions que nul, pas même vous, ne pourra pénétrer jusqu’à lui. Rendez-moi donc votre prisonnier, je vous le répète, autant pour votre sécurité que pour la mienne.