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– Monsieur, lui dis-je fort vite, écoutez-moi avec attention; point d'éclat, et observez surtout rigoureusement ce que je vais vous prescrire; avez-vous un ami sûr dans cette auberge?

– Oui, j'ai un jeune associé sur lequel je puis compter comme sur moi-même.

– Eh bien, monsieur, allez promptement lui ordonner de ne pas quitter votre chambre une minute de tout le temps que nous serons à la promenade.

– Mais j'ai la clé de cette chambre; que signifie ce surplus de précaution?

– Il est plus essentiel que vous ne croyez, monsieur usez-en, je vous en conjure, ou je ne sors point avec vous; la femme chez qui nous avons dîné est une scélérate: elle n'arrange la partie que nous allons faire ensemble que pour vous voler plus à l'aise pendant ce temps-là; pressez-vous, monsieur, elle nous observe, elle est dangereuse; remettez votre clé à votre ami; qu'il aille s'établir dans votre chambre, et qu'il n'en bouge que nous ne soyons revenus. Je vous expliquerai tout le reste dès que nous serons en voiture.

Dubreuil m'entend, il me serre la main pour me remercier, vole donner des ordres relatifs à l'avis qu'il reçoit, et revient. Nous partons; chemin faisant, je lui dénoue toute l'aventure, je lui raconte les miennes, et l'instruis des malheureuses circonstances de ma vie qui m'ont fait connaître une telle femme. Ce jeune homme honnête et sensible me témoigne la plus vive reconnaissance du service que je veux bien lui rendre; il s'intéresse à mes malheurs, et me propose de les adoucir par le don de sa main.

– Je suis trop heureux de pouvoir réparer les torts que la Fortune a envers vous, mademoiselle, me dit-il; je suis mon maître, je ne dépends de personne; je passe à Genève pour un placement considérable des sommes que vos bons avis me sauvent, vous m'y suivrez; en y arrivant je deviens votre époux, et vous ne paraissez à Lyon que sous ce titre, ou si vous l'aimez mieux, mademoiselle, si vous avez quelque défiance, ce ne sera que dans ma patrie même que je vous donnerai mon nom.

Une telle offre me flattait trop pour que j'osasse la refuser; mais il ne me convenait pas non plus de l'accepter sans faire sentir à Dubreuil tout ce qui pourrait l'en faire repentir; il me sut gré de ma délicatesse, et ne me pressa qu'avec plus d'insistance… Malheureuse créature que j'étais! fallait-il que le bonheur ne s'offrît à moi que pour me pénétrer plus vivement du chagrin de ne jamais pouvoir le saisir! fallait-il donc qu'aucune vertu ne pût naître en mon cœur sans me préparer des tourments!

Notre conversation nous avait déjà conduits à deux lieues de la ville, et nous allions descendre pour jouir de la fraîcheur de quelques avenues sur le bord de l'Isère, où nous avions dessein de nous promener, lorsque tout à coup Dubreuil me dit qu'il se trouvait fort mal… Il descend, d'affreux vomissements le surprennent; je le fais aussitôt remettre dans la voiture, et nous revolons en hâte à la ville. Dubreuil est si mal qu'il faut le porter dans sa chambre; son état surprend son associé que nous y trouvons, et qui, selon ses ordres, n'en était pas sorti; un médecin arrive: juste ciel! Dubreuil est empoisonné! A peine apprends-je cette fatale nouvelle, que je cours à l'appartement de la Dubois; l'infâme! elle était partie; je passe chez moi, mon armoire est forcée, le peu d'argent et de hardes que je possède est enlevé; la Dubois, m'assure-t-on, court depuis trois heures du côté de Turin. Il n'était pas douteux qu'elle ne fût l'auteur de cette multitude de crimes; elle s'était présentée chez Dubreuil; piquée d'y trouver du monde, elle s'était vengée sur moi, et elle avait empoisonné Dubreuil, en dînant, pour qu'au retour, si elle avait réussi à le voler, ce malheureux jeune homme, plus occupé de sa vie que de poursuivre celle qui dérobait sa fortune, la laissât fuir en sûreté, et pour que l'accident de sa mort arrivant pour ainsi dire dans mes bras, je pusse en être plus vraisemblablement soupçonnée qu'elle; rien ne nous apprit ses combinaisons, mais était-il possible qu'elles fussent différentes?

Je revolai chez Dubreuiclass="underline" on ne me laisse plus approcher de lui; je me plains de ces refus, on m'en dit la cause. Le malheureux expire, et ne s'occupe plus que de Dieu. Cependant il m'a disculpée; je suis innocente, assure-t-il; il défend expressément que l'on me poursuive; il meurt. A peine a-t-il fermé les yeux, que son associé se hâte de venir me donner des nouvelles, en me conjurant d'être tranquille. Hélas! pouvais-je l'être? pouvais-je ne pas pleurer amèrement la perte d'un homme qui s'était si généreusement offert à me tirer de l'infortune? pouvais-je ne pas déplorer un vol qui me remettait dans la misère, dont je ne faisais que de sortir? Effroyable créature! m'écriai-je; si c'est là que conduisent tes principes, faut-il s'étonner qu'on les abhorre, et que les honnêtes gens les punissent! Mais je raisonnais en partie lésée, et la Dubois qui ne voyait que son bonheur, son intérêt, dans ce qu'elle avait entrepris, concluait sans doute bien différemment.

Je confiai tout à l'associé de Dubreuil, qui se nommait Valbois, et ce qu'on avait combiné contre celui qu'il perdait, et ce qui m'était arrivé à moi-même. Il me plaignit, regretta bien sincèrement Dubreuil et blâma l'excès de délicatesse qui m'avait empêchée de m'aller plaindre aussitôt que j'avais été instruite des projets de la Dubois. Nous combinâmes que ce monstre, auquel il ne fallait que quatre heures pour se mettre en pays de sûreté, y serait plus tôt que nous n'aurions avisé à la faire poursuivre; qu'il nous en coûterait beaucoup de frais; que le maître de l'auberge, vivement compromis dans la plainte que nous ferions, et se défendant avec éclat, finirait peut-être par m'écraser moi-même, moi… qui ne semblais respirer à Grenoble qu'en échappée de la potence. Ces raisons me convainquirent et m'effrayèrent même tellement que je me résolus de partir de cette ville sans prendre congé de M. S***, mon protecteur. L'ami de Dubreuil approuva ce parti; il ne me cacha point que si toute cette aventure se réveillait, les dépositions qu'il serait obligé de faire me compromettraient, quelles que fussent ses précautions, tant à cause de mon intimité avec la Dubois, qu'en raison de ma dernière promenade avec son ami; qu'il me conseillait donc, d'après cela, de partir tout de suite sans voir personne, bien sûre que de son côté il n'agirait jamais contre moi qu'il croyait innocente, et qu'il ne pouvait accuser que de faiblesse dans tout ce qui venait d'arriver.

En réfléchissant aux avis de Valbois, je reconnus qu'ils étaient d'autant meilleurs, qu'il paraissait aussi certain que j'avais l'air coupable, comme il était sûr que je ne l'étais pas; que la seule chose qui parlât en ma faveur, la recommandation faite à Dubreuil à l'instant de la promenade, mal expliquée, m'avait-on dit, par lui à l'article de la mort, ne deviendrait pas une preuve aussi triomphante que je devais y compter; moyennant quoi je me décidai promptement. J'en fis part à Valbois.

– Je voudrais, me dit-il, que mon ami m'eût chargé de quelques dispositions favorables pour vous, je les remplirais avec le plus grand plaisir, je voudrais même qu'il m'eût dit que c'était à vous qu'il devait le conseil de garder sa chambre; mais il n'a rien fait de tout cela; je suis donc contraint à me borner à la seule exécution de ses ordres. Les malheurs que vous avez éprouvés pour lui me décideraient à faire quelque chose de moi-même, si je le pouvais, mademoiselle, mais je commence le commerce, je suis jeune, ma fortune est bornée, je suis obligé de rendre à l'instant les comptes de Dubreuil à sa famille; permettez donc que je me restreigne au seul petit service que je vous conjure d'accepter: voilà cinq louis, et voilà une honnête marchande de Chalon-sur-Saône, ma patrie; elle y retourne après s'être arrêtée vingt-quatre heures à Lyon où l'appellent quelques affaires; je vous remets entre ses mains. Mme Bertrand, continua Valbois, en me conduisant à cette femme, voici la jeune personne dont je vous ai parlé; je vous la recommande, elle désire de se placer. Je vous prie avec les mêmes instances que s'il s'agissait de ma propre sœur, de vous donner tous les mouvements possibles pour lui trouver dans notre ville quelque chose qui convienne à son personnel, à sa naissance et à son éducation; qu'il ne lui en coûte rien jusque-là, je vous tiendrai compte de tout à la première vue. Adieu, mademoiselle, continua Valbois en me demandant la permission de m'embrasser; Mme Bertrand part demain à la pointe du jour; suivez-la, et qu'un peu plus de bonheur puisse vous accompagner dans une ville où j'aurai peut-être la satisfaction de vous revoir bientôt.