– Allons, mes amis, dit Cardoville aux deux jeunes gens, emparez-vous de cette catin, et jouissez-en à votre caprice; elle est à vous, nous vous l'abandonnons.
Les deux libertins me saisissent. Pendant que l'un jouit du devant, l'autre s'enfonce dans le derrière; ils changent et rechangent encore; je suis plus déchirée de leur prodigieuse grosseur que je ne l'ai été du brisement des artificieuses barricades de Saint-Florent; et lui et Cardoville s'amusent de ces jeunes gens pendant qu'ils s'occupent de moi. Saint-Florent sodomise La Rose qui me traite de la même manière, et Cardoville en fait autant à Julien qui s'excite chez moi dans un lieu plus décent. Je suis le centre de ces abominables orgies, j'en suis le point fixe et le ressort; déjà quatre fois chacun, La Rose et Julien ont rendu leur culte à mes autels, taudis que Cardoville et Saint-Florent, moins vigoureux ou plus énervés, se contentent d'un sacrifice à ceux de mes amants. C'est le dernier, il était temps, j'étais prête à m'évanouir:
– Mon camarade vous a fait bien du mal, Thérèse, me dit Julien, et moi je vais tout réparer.
Muni d'un flacon d'essence, il m'en frotte à plusieurs reprises. Les traces des atrocités de mes bourreaux s'évanouissent, mais rien n'apaise mes douleurs; je n'en éprouvai jamais d'aussi vives.
– Avec l'art que nous avons pour faire disparaître les vestiges de nos cruautés, celles qui voudraient se plaindre de nous n'auraient pas beau jeu, n'est-ce pas, Thérèse? me dit Cardoville. Quelles preuves offriraient-elles de leurs accusations?
– Oh! dit Saint-Florent, la charmante Thérèse n'est pas dans le cas des plaintes; à la veille d'être elle-même immolée, ce soit des prières que nous devons attendre d'elle, et non pas des accusations.
– Qu'elle n'entreprenne ni l'une ni l'autre, répliqua Cardoville; elle nous inculperait sans être entendue: la considération, la prépondérance que nous avons dans cette ville ne permettraient pas qu'on prît garde à des plaintes qui reviendraient toujours à nous, et dont nous serions en tout temps les maîtres. Son supplice n'en serait que plus cruel et plus long. Thérèse doit sentir que nous nous sommes amusés de son individu par la raison naturelle et simple qui engage la force à abuser de la faiblesse; elle doit sentir qu'elle ne peut échapper à son jugement; qu'il doit être subi; qu'elle le subira; que ce serait en vain qu'elle divulguerait sa sortie de prison cette nuit: on ne la croirait pas; le geôlier, tout à nous, la démentirait aussitôt. Il faut donc que cette belle et douce fille, si pénétrée de la grandeur de la providence, lui offre en paix tout ce qu'elle vient de souffrir et tout ce qui l'attend encore; ce seront comme autant d'expiations aux crimes affreux qui la livrent aux lois. Reprenez vos habits, Thérèse, il n'est pas encore jour, les deux hommes qui vous ont amenée vont vous reconduire dans votre prison.
Je voulus dire un mot, je voulus me jeter aux genoux de ces ogres, ou pour les adoucir, ou pour leur demander la mort. Mais on m'entraîne et l'on me jette dans un fiacre où mes deux conducteurs s'enferment avec moi; à peine y furent-ils que d'infâmes désirs les enflamment encore.
– Tiens-la-moi, dit Julien à La Rose, il faut que je la sodomise; je n'ai jamais vu de derrière où je fusse plus voluptueusement comprimé; je te rendrai le même service.
Le projet s'exécute, j'ai beau vouloir me défendre, Julien triomphe, et ce n'est pas sans d'affreuses douleurs que je subis cette nouvelle attaque: la grosseur excessive de l'assaillant, le déchirement de ces parties, les feux dont cette maudite boule a dévoré mes intestins, tout contribue à me faire éprouver des tourments renouvelés par La Rose dès que son camarade a fini. Avant que d'arriver, je fus donc encore une fois victime du libertinage criminel de ces indignes valets. Nous entrâmes enfin. Le geôlier nous reçut; il était seul, il faisait encore nuit, personne ne me vit rentrer.
– Couchez-vous, me dit-il, Thérèse, en me remettant dans ma chambre, et si jamais vous vouliez dire à qui que ce fût que vous êtes sortie cette nuit de prison, souvenez-vous que je vous démentirais, et que cette inutile accusation ne vous tirerait pas d'affaire…
Et je regretterais de quitter ce monde! me dis-je dès que je fus seule. Je craindrais d'abandonner un univers composé de tels monstres! Ah! que la main de Dieu m'en arrache dès l'instant même, de telle manière que bon lui semblera: je ne m'en plaindrai plus; la seule consolation qui puisse rester au malheureux né parmi tant de bêtes féroces est l'espoir de les quitter bientôt.
Le lendemain, je n'entendis parler de rien, et résolue de m'abandonner à la providence, je végétai sans vouloir prendre aucune nourriture. Le jour d'ensuite, Cardoville vint m'interroger; je ne pus m'empêcher de frémir en voyant avec quel sang-froid ce coquin venait exercer la justice, lui, le plus scélérat des hommes, lui qui, contre tous les droits de cette justice dont il se revêtait, venait d'abuser aussi cruellement de mon innocence et de mon infortune. J'eus beau plaider ma cause, l'art de ce malhonnête homme me composa des crimes de toutes mes défenses. Quand toutes les charges de mon procès furent bien établies selon ce juge inique, il eut l'impudence de me demander si je connaissais dans Lyon un riche particulier nommé M. de Saint-Florent; je répondis que je le connaissais.
– Bon, dit Cardoville, il ne m'en faut pas davantage: ce M. de Saint-Florent, que vous avouez connaître, vous connaît parfaitement aussi; il a déposé vous avoir vue dans une troupe de voleurs où vous fûtes la première à lui dérober son argent et son portefeuille. Vos camarades voulaient lui sauver la vie, vous conseillâtes de la lui ôter; il réussit néanmoins à fuir. Ce même M. de Saint-Florent ajoute que, quelques années après, vous ayant reconnue dans Lyon, il vous avait permis de venir le saluer chez lui sur vos instances, sur votre parole d'une excellente conduite actuelle, et que là, pendant qu'il vous sermonnait, pendant qu'il vous engageait à persister dans la bonne route, vous aviez porté l'insolence et le crime jusqu'à choisir ces instants de sa bienfaisance pour lui dérober une montre et cent louis qu'il avait laissés sur sa cheminée…
Et Cardoville, profitant du dépit et de la colère où me portaient d'aussi atroces calomnies, ordonna au greffier d'écrire que j'avouais ces accusations par mon silence et par les impressions de ma figure.