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Fifi le mit en joue, doigt sur la détente. Passan lui abaissa le bras :

— Ça va pas, non ?

Nouveau volte-face : le chauve démarrait lui aussi au pas de charge, dans la direction opposée. Son ciré noir virevoltait sous la pluie. Le fiasco atteignait des proportions inégalées. Coup d’œil à Fifi. Il avait repris sa position de tir, visant tour à tour l’un et l’autre fugitif.

— Laisse tomber le caille ! hurla Passan. Rattrape Guillard !

Le lieutenant s’élança en direction du chantier. Passan courut vers l’entrepôt. Rengainant son Beretta, il enfila maladroitement des gants et fit coulisser la porte montée sur rail.

Il savait ce qui l’attendait.

Ce fut pire encore.

Dans un atelier d’environ cent mètres carrés, encombré de moteurs, de chaînes, d’outils, de pièces détachées, une jeune femme était attachée contre une citerne, à plus d’un mètre cinquante du sol. Bras et jambes écartés, liés par des courroies de distribution. Une Maghrébine, vêtue d’un ensemble de sport Adidas. Pantalon et culotte baissés aux chevilles, tee-shirt relevé.

On lui avait ouvert le ventre du sternum au pubis et ses intestins se déroulaient jusqu’au sol. Devant elle, dans une flaque embrasée, brûlait un fœtus. Le modus operandi habituel. Quelques secondes, quelques siècles passèrent. Passan ne bougeait plus. Les chairs rougeoyaient dans la fumée asphyxiante. Le bébé paraissait l’observer de ses yeux rongés de feu.

Enfin, le flic s’arracha à sa propre fascination et slaloma parmi les pneus, les arbres de transmission, les pots d’échappement. Il attrapa un tapis de sol et couvrit le corps minuscule, s’y reprenant à plusieurs fois pour l’éteindre. Il trouva une échelle modulable. D’une pression, il activa le mécanisme et grimpa à hauteur de la femme ligotée. Il savait qu’elle était morte. Deux doigts sur sa gorge pour confirmation. Son Iphone sonna. Il fouilla dans ses poches, manqua de se casser la gueule de son perchoir.

La voix essoufflée de Fifi :

— Qu’est-ce que tu fous ?

— Tu l’as eu ?

— Des queues. Y s’est barré !

— T’es où ?

— J’sais pas !

— J’arrive.

Passan sauta à terre et s’élança vers la porte, calibre en main. Il se faufila entre des bétonneuses, trébucha parmi des parpaings, des sacs de plâtre, des tiges d’acier. Il n’y voyait rien.

Au bout de quelques mètres, il s’étala de tout son long. Il se releva et chercha d’un œil mauvais l’obstacle qui l’avait fait chuter : Fifi, le pied coincé sous une palette de placoplâtre.

— J’suis tombé, Passan… J’suis tombé…

Olivier n’aurait su dire s’il riait ou pleurait. Il se pencha pour l’aider mais l’autre cria :

— Oublie ! Retrouve l’enculé !

— Où il est ?

— Le mur !

Passan se retourna et découvrit, à cent mètres de là, un mur aveugle qui se déployait sur plusieurs centaines de mètres. Au-delà, un halo de lumière frémissait : la nationale. Beretta à la main, il reprit sa course, trouva un talus, l’escalada, enjamba la muraille. Il bascula de l’autre côté, se ramassant comme il put.

De la terre noire, sur plusieurs hectares. Au loin, des voitures qui filaient. À la faveur des phares, la silhouette de Patrick Guillard se découpait. Il titubait parmi les sillons de glaise, avançant péniblement en direction de la route.

Passan chargea. Il haletait sous son gilet de kevlar. Ses pieds s’enfonçaient dans la boue. Il parvenait à peine à arracher ses pas des mottes visqueuses.

Pourtant, il gagnait du terrain.

Guillard atteignait la nationale en surplomb. Passan allongea encore ses foulées. L’autre allait franchir la glissière de sécurité quand il l’attrapa aux jambes, lui faisant redescendre la pente. Le tueur tenta de s’accrocher aux touffes d’herbe. Passan l’empoigna par le col, le retourna et lui frappa plusieurs fois le crâne contre une rigole de ciment.

— Putain d’enculé…

Guillard tenta de le repousser. Le flic le cognait maintenant avec sa crosse, sentant le sang inonder ses doigts, ses yeux, ses nerfs. Le sol vibrait au passage des bagnoles à quelques mètres au-dessus d’eux.

Soudain, Passan s’arrêta. Les yeux hors de la tête, il se mit debout, rengaina, monta le remblai en tirant le corps de son adversaire jusqu’à la chaussée.

Des phares explosèrent dans l’obscurité. Un poids lourd arrivait à vive allure.

D’un coup de pied, le flic projeta Guillard dans l’axe des roues. Un talon sur son torse, il le maintint en place. Le semi-remorque n’était plus qu’à quelques mètres.

Il ferma les yeux.

Il était la Loi.

Il était la Justice.

Il était le Glaive et la Sentence…

Une seconde avant que le bahut n’écrase le crâne du meurtrier, il eut un sursaut. Il attrapa Guillard et le releva. Ils basculèrent ensemble par-dessus la glissière et roulèrent au bas du versant. Le camion passa dans une gigantesque convulsion, pleins phares et klaxon hurlant, à quelques mètres de leurs corps enlacés.

2

— Ça va chier. Je te jure que ça va chier !

Passan considéra le capitaine de la BAC sans répondre. Un petit râblé qui s’agitait dans son blouson de jean, Sig Sauer bien en vue. Le logo de sa brigade était cousu sur sa manche : une barre d’immeubles dans le viseur d’une arme. Un hélicoptère survolait la zone, balayant les toits trempés de son phare ultra-puissant. Passan avait suffisamment sillonné ce genre de cités pour savoir ce que cherchait la patrouille : des groupes de lascars en planque, prêts pour un assaut à coups de bouteilles, de bougies d’allumage, de caillasses. Des CRS étaient déjà descendus dans les caves en quête de caddies remplis de pierres.

Olivier se frotta le visage comme pour abraser sa peau puis fit quelques pas, loin de l’attroupement. Ce climat de démence guerrière ne l’atteignait pas. Il se remettait de sa propre crise de folie. La lumière aveuglante du camion. La tête du tueur sur le billot de bitume. Sa pulsion meurtrière déguisée en intention de justice.

Il revint vers Tom Pouce.

— C’était une urgence, admit-il enfin.

— Et tu débarques comme ça, sur mon territoire, sans prévenir personne ?

— On a eu le tuyau à la dernière minute.

— L’article 59, t’en as entendu parler ?

— C’était un flag, putain. On devait agir vite. Et en toute discrétion.

L’OPJ éclata d’un rire mauvais :

— Pour la discrétion, tu repasseras !

Autour d’eux, c’était un tourbillon de gyrophares, de Rubalise, d’uniformes, de combinaisons blanches. Flics de la BAC, policiers municipaux, agents de sécurité, CRS, PTS : tout le monde était là. Des dizaines de gamins, noyés dans des tee-shirts trop larges ou des vestes à capuche, se pressaient contre les rubans jaunes.

— T’es sûr que c’est l’Accoucheur, au moins ?

Olivier désigna la porte de l’atelier :

— Ça te suffit pas ?

La levée du corps était en route. Deux hommes des pompes funèbres poussaient un brancard — la victime était glissée dans une housse de plastique. Sur leurs pas, un autre tenait une glacière frappée d’une croix rouge. Le fœtus calciné.

L’OPJ rajusta son brassard :