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Restaient donc les opérations classiques de recherche. Patrouilles renforcées, porte-à-porte, appels à témoins. En réalité, chacun attendait la découverte du cadavre de Leïla…

C’est alors que Passan avait reçu une information capitale. Quelques semaines auparavant, il avait convaincu un gars de la Brigade financière, rue du Château-des-Rentiers, de décrypter la holding de Patrick Guillard, via un piratage informatique. Il n’y croyait pas trop mais voilà que la BF avait identifié, au sein de la constellation des sociétés, une entreprise de service, nommée PALF, aux activités mal définies — « recherches et applications en matière de maintenance et de réparations automobiles ». Cette boîte, domiciliée à Jersey, facturait ses conseils à plusieurs garages du groupe. Elle encaissait ces gains — élevés — puis les reversait à une SCI anglo-normande. En clair, Guillard pratiquait la méthode des fausses factures au sein de ses sociétés. Nul ne pouvait l’en blâmer. En revanche, une pépite sortait du bourbier : la SCI de Jersey possédait un atelier mécanique à Stains, qui n’apparaissait nulle part dans la constellation Guillard. Une planque ? Un sanctuaire ?

Le flic avait obtenu le renseignement le dimanche 19 juin, à 23 h 30. Pas la peine de prévenir qui que ce soit : personne ne voudrait intervenir avant l’heure légale, 6 heures du matin. Et tout ce qui provenait de lui à propos de Patrick Guillard sentait le soufre.

Pas de temps à perdre. Coup de fil à Fifi. Ronde en duo, ni vu ni connu, aux alentours de l’entrepôt.

On avait vu le résultat.

La pire bavure de sa carrière.

18

Passan se massa les paupières et ouvrit les yeux.

Rien de neuf sous la lampe à LED.

Ces faits chaotiques, ces informations qui ne menaient nulle part lui paraissaient se répercuter dans tout son corps : morsures à l’estomac, crampes dans les membres, points douloureux dans la colonne vertébrale.

2 heures. Et toujours pas sommeil. Il plongea la main dans un autre carton et attrapa les photos des scènes d’infraction. Il remplit sa chope de café avant de repartir pour un tour de cauchemar de visu.

Audrey Seurat. Karina Bernard. Rachida Nesaoui. La même scène, la même dépouille, ou presque. Chaque cadavre, dont la blancheur contrastait violemment avec la glaise noire ou les pelouses verdoyantes, était relié par un cordon racorni à un morceau de roche volcanique — le nourrisson carbonisé.

Il avait détaillé mille fois ces clichés et ils ne lui faisaient plus ni chaud ni froid. Cette nuit, ils lui rappelaient surtout le carnage de la veille. La bagarre avec les voyous. Guillard sur le seuil de son atelier. Le nouveau corps, le nouveau feu, à l’intérieur. Le tueur se débattant sous ses coups… Il se revoyait, lui, le maintenant sur la chaussée alors que le semi-remorque arrivait…

Le klaxon du camion le réveilla.

Gorgée de café. Un détail résistait au tréfonds de sa conscience mais il ne voyait pas lequel.

Quelque chose d’important.

Lecture. Patrick Guillard se tient sur le seuil de son entrepôt. Ciré noir. Crâne blanc. Reflets virevoltants sur son visage hagard.

Focus. Il porte des gants bleu pâle, tachés de sang…

Passan accéléra le mouvement. Quelques minutes plus tard.

Stop. Guillard se débat sur la chaussée détrempée.

Gros plan. Il a les mains nues.

Passan attrapa son téléphone portable. Une pression. Un numéro.

— Allô ?

La voix de Fifi, ensommeillée.

— C’est moi. Je sais comment coincer Guillard.

— Hein ?

Il perçut le froissement des draps et accorda quelques secondes à son adjoint pour retrouver ses esprits.

— Quand il s’est tiré, reprit-il, il portait des gants de chirurgien. Quand je l’ai chopé sur la nationale, il n’en avait plus. Il les a balancés dans le terrain vague.

— Et alors ?

La voix du lieutenant s’était éclaircie, traduisant son retour à la lucidité.

— Ces gants, c’est le joint qui nous manque. Côté recto, le sang de la victime. Côté verso, l’empreinte génétique de Guillard. Sa sueur a drainé des particules desquamées de sa peau. Les labos sont capables d’analyser l’ADN à partir de ces fragments. Ces gants, c’est son ticket pour la taule !

Nouveaux frottements de tissu, un briquet qui claquait :

— Okay, fit le punk, en prenant le temps d’inhaler une bouffée de cigarette. Donc ?

— On va fouiller le terrain.

— Quand ?

— Maintenant. Je viens te chercher.

19

— Debout, les monstres !

Naoko ouvrit à demi les rideaux pour laisser pénétrer la lumière dans la chambre. Elle avait mal dormi, quelques heures seulement. Elle avait émergé à l’aube et écouté la litanie de la pluie. En suspens dans l’obscurité, bercée par cette cadence, elle aurait pu se croire à Tokyo. Son île était sujette aux averses comme une femme est sujette aux larmes.

Patiemment, elle avait attendu l’heure de réveiller les enfants en ruminant ses interrogations : fallait-il vraiment vendre la villa ? Cette idée d’alternance était-elle la bonne ? Elle était décidée à en parler à Passan, aujourd’hui même.

Elle se pencha sur Shinji et le couvrit de petits baisers. Quand elle les voyait dormir ainsi, elle devait se faire violence pour les déranger. Elle ne cessait de lutter contre son inclination naturelle à la tendresse, la douceur. Pour faire bonne mesure, elle redoublait de fermes résolutions, de manifestations d’autorité.

— Allez, debout, mon chéri, murmura-t-elle en japonais.

Elle passa à Hiroki qui se réveillait plus facilement. L’enfant s’ébroua. En réalité, Naoko n’était pas formatée pour exprimer ses sentiments. La violence de son père avait brisé quelque chose en elle qui la rendait maladroite dans ses marques d’affection.

— Allez, Shinji ! fit-elle au plus grand qui n’avait toujours pas bougé.

Elle ouvrit complètement les rideaux et revint vers lui, bien décidée à le tirer du lit. Elle s’arrêta net : une Chupa Chups était posée à côté de son oreiller.

Elle sentit des picotements sur sa peau et secoua le garçon sans ménagement :

— Réveille-toi !

Il finit par ouvrir un œil.

— Qui t’a donné ça ? demanda-t-elle en français, brandissant la sucette.

— Je sais pas…

Mue par une intuition, elle se tourna vers Hiroki. Il était assis sur son lit, une Chupa dans les mains.

Elle la lui arracha d’un geste et hurla :

— Qui vous les a données ? Quand ?

Le silence de son fils, sa perplexité étaient une réponse claire. Hiroki venait lui aussi de découvrir la sucette. Passan. Il s’était glissé dans la maison durant la nuit. Il avait placé ce cadeau dans chaque lit…

Elle bondit sur Shinji qui se levait enfin :

— Papa est venu, c’est ça ?

Et lui saisissant le bras avec violence :

— C’est papa ?

— Tu me fais mal…

— RÉPONDS !

Shinji se frotta les yeux :