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Dresser la liste de mes ennemis. Les gars qu’il avait foutus récemment sur le grill et qui n’étaient pas encore arrêtés. Les coupables qu’il avait entaulés et qui étaient sortis de prison. Ceux qui y étaient encore mais qui avaient des complices dehors.

Comme il s’engageait dans le parking, le nom de Guillard s’imposa à nouveau. À cet instant, il prit conscience d’un sentiment ambigu. Il était effrayé à l’idée qu’on puisse toucher un cheveu de ses fils mais en même temps, il en éprouvait une obscure satisfaction. Enfin, le salopard sortait du bois…

Il coupa le contact et prit la mesure de sa propre folie. Était-il donc plus flic que père ? Malgré les risques qui pesaient sur les siens, il ressentait une excitation guerrière. Guillard était en train de commettre l’erreur qu’il attendait depuis des mois.

Verrouillant sa voiture, il comprit qu’en réalité, il était coincé. Il aurait fallu enquêter dans sa villa. Découvrir des traces d’effraction. Relever les empreintes. Interroger les voisins… Il ne pouvait rien faire de tout ça. À moins d’expliquer la situation à Naoko, et cela, il n’en était pas question.

Il se dirigea vers l’ascenseur. De toute façon, l’intrus avait sans doute pris ses précautions et n’avait laissé aucune trace. La seule parade qui lui restait pour l’instant était la prévention. La surveillance permanente de la cible annoncée. Sa propre famille.

23

— Je veux des patrouilles jour et nuit dans mon quartier. Un soum devant chez moi. Des gars aux basques de Guillard vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Un soum à la sortie de son impasse, square Chezy. Des équipes devant chacun de ses garages. Une filoche de tous les instants ! Putain, si l’enfoiré tousse, je veux que ça vibre sur mon portable !

Il remontait le couloir au pas de charge. Fifi suivait à petites foulées.

— On n’a pas ces moyens-là, Olive. Et tu le sais.

— Je vais appeler le juge.

— Pas la peine. Des mecs surveillent déjà Guillard.

Passan s’arrêta :

— Qui ?

— La BRI. Albuy et Malençon.

Il les connaissait tous les deux. Pas des puceaux. De vrais hommes d’intervention, plus souvent en gilet kevlar et casque blindé qu’en civil.

— Qui les a saisis ? Levy ?

— Non. Calvini. (Fifi sourit de toutes ses dents jaunes.) Il est plus malin que tu penses. Et il a pas besoin de tes crises pour garder Guillard à l’œil.

— J’ai pas confiance, fit Olivier en toute mauvaise foi. Je veux nos gars sur le coup, pigé ?

— C’est toi qu’as pas l’air de piger. Tu peux plus saisir qui que ce soit…

Passan reprit sa marche en éclatant de rire :

— Parce qu’on m’a retiré l’affaire ? Qu’est-ce qu’on en a à branler ? On va assigner le groupe et le matos sur un autre dossier. Merde, je vais pas t’apprendre le métier !

Parvenu devant son bureau, il actionna la poignée. Fermée. Nerveusement, il attrapa son trousseau et fit jouer sa clé. Elle n’entrait pas. En regardant mieux, il s’aperçut que la serrure avait été changée. L’huile brillait encore sur le canon.

— C’est quoi, ce bordel ?

— Ce que j’essaie de t’expliquer depuis que t’es arrivé. À partir d’aujourd’hui, t’es muté au troisième. Service statistiques.

— Statistiques de quoi ?

— Tous délits confondus, à répertorier par catégories. Taux de délinquance. Évolution de la criminalité dans le 92 sur les six derniers mois.

— N’importe quel ordinateur pourrait faire ça.

— Ils comptent sur ton œil d’expert.

— Je ne suis pas du SRPJ !

Le punk sortit de sa poche une enveloppe :

— La réquise officielle. T’es détaché de la Crime. Mesure exceptionnelle. On te mandate pour rédiger ce rapport à l’attention du ministère de l’Intérieur. (Il prit un ton ironique.) C’est une forme de promotion.

— Et nos affaires en cours ?

— Reza les reprend.

— Reza du 36 ?

— On retourne là-bas.

— Sans moi ?

Fifi ne répondit pas. Après la défaite, la débâcle. Olivier se passa les mains dans les cheveux, comme s’il allait en jaillir une idée, une explication. Mais il ne parvint qu’à siffler entre ses lèvres :

— Putain…

— Comme tu dis. Tant que l’affaire de l’autre nuit n’est pas réglée, tu dois la jouer low profile. Plonge dans les chiffres et fais-toi oublier.

— Et la surveillance chez moi ?

— Tout ce que tu peux faire pour l’instant, c’est aller porter plainte à ton commissariat. Et franchement, avec ton histoire de Chupa Chups, ça m’étonnerait que tu déplaces des montagnes.

Passan acquiesça, les mâchoires serrées. Un goût de bile lui brûlait la gorge.

— Je te montre ton nouveau bureau ?

Ils montèrent à pied, sans un mot. Au troisième, tout était à l’identique : moquette, luminaires, air recyclé… Pourtant, ni les murs ni les portes n’étaient vitrés. Au moins, il pourrait faire la sieste ou se masturber.

L’adjoint déverrouilla le bureau 314. Il fit un pas de côté et lui donna la clé. Passan considéra son nouveau repaire. Ironiquement, le soleil avait percé et dardait ses rayons sur le triste tableau. La pièce était entièrement remplie de dossiers, du sol au plafond. Des classeurs s’accumulaient par terre, bloquant les armoires. Des liasses jaunies s’amoncelaient, pelucheuses, frangées, émiettées, sur le bureau de fer.

— C’est pour quoi ces vieux machins ?

— Pour que tu puisses établir des comparaisons avec les années précédentes.

Il avança. La lumière révélait la poussière qui chargeait l’atmosphère.

Sur le seuil, Fifi l’observait, sourire aux lèvres. Passan crut qu’il se foutait de sa gueule mais l’adjoint sortit un Post-it de sa poche.

— T’as pas tout perdu aujourd’hui.

— C’est quoi ?

— Le scoop du jour.

Passan saisit la vignette et lut : « Nicolas Vernant ». Il leva les yeux vers Fifi, en signe d’interrogation.

— J’ai pris un café ce matin avec un pote de l’OCRTEH. Ils préparent un coup de filet. Un réseau de pédos qu’ils filent sur informatique depuis plusieurs mois.

— Ce mec est sur la liste ?

— En une année, il comptabilise près de trois mille connexions sur les pires sites du genre. Son pseudo, c’est Sadko.

— Et alors ?

— Et alors, il bosse à l’Aide sociale à l’enfance de Nanterre.

Passan comprit aussitôt. Prévenir le type et négocier avec lui. La disparition de son nom en échange du dossier de Patrick Guillard. Pur coup de bluff. Il n’avait pas les moyens de proposer un tel deal et jamais il n’épargnerait un pédophile. Mais qui le savait ? Certainement pas le salopard.

— Quand vont-ils les serrer ?

— Vendredi. T’as jusqu’à la fin de la semaine pour lui soutirer ton dossier. Les bureaux de l’ASE sont à la mairie de Nanterre, à moins d’une borne d’ici et…

— Je connais.

Il glissa le nom dans sa poche et remercia Fifi d’un signe de tête. Le punk disparut. Il ferma la porte, et attrapa le téléphone du bureau.