Выбрать главу

Il entrouvrit la porte et l’appela :

— Tes trucs, là, ça va pas m’abrutir ?

— Aucun risque, rétorqua Fifi en pénétrant dans la salle de bains, c’est ce qu’on prend les lendemains d’ecsta. Avant, on avait recours à l’héroïne mais la chimie moderne n’arrête pas de progresser.

— Je suis rassuré.

Fifi rit et en avala un, pour l’encourager.

— OK, fit Passan en fermant la porte. T’as appelé la Crime ?

— Pour l’instant, c’est toujours le SRPJ de Saint-Denis qui traite l’affaire. Le proc va saisir un juge en urgence.

— Quand tu as le nom, tu me fais signe. T’as contacté les mecs du 9–3 ?

— L’enquête de proximité a commencé au Pré-Saint-Gervais. Personne n’a rien vu, rien entendu. Quant au dispositif après le meurtre, la fille est passée entre les mailles du filet. Aucune trace, rien.

Passan revit la cabine sombre de l’ascenseur. Il n’avait plus de doute : la créature s’y était planquée avant de fuir en toute discrétion — pour frapper encore.

Fifi sortit un sachet de papier cristal plié en quatre.

— Je peux ? demanda-t-il en désignant la coke.

— Non. Où tu te crois ? T’es en service, ma gueule. Et mes enfants sont à côté.

— Bien sûr, ricana-t-il. Où avais-je la tête ?

— Tu te contenteras des bières du minibar. Chez moi, rien de neuf ?

— Que dalle. Le porte-à-porte n’a rien donné. Les analyses de l’IJ non plus. J’te jure, des fois, j’ai l’impression qu’on a affaire à un fantôme.

Passan arracha son bonnet, se gratta la tête puis lissa les cheveux qui lui restaient comme s’il voulait mettre de l’ordre dans ses idées :

— Tu as pu récolter des infos sur Sandrine ?

— J’peux pas tout faire, protesta Fifi. Soit t’engages une nounou, soit…

Olivier fit un geste pour couper court aux jérémiades :

— Tu vas pouvoir bosser de la chambre, ce soir.

— Tu restes pas avec nous ?

Il éluda la question :

— Je veux aussi que tu creuses du côté des katanas.

— Des quoi ?

— Les sabres japonais. Contacte les restaurateurs de lames, les antiquaires, les clubs de kendo.

— Cette nuit ?

— Démerde-toi. Regarde aussi du côté des douanes si on a vu passer récemment ce genre d’objets.

Fifi s’assit sur le rebord de la baignoire. Le cachet paraissait faire son effet : le punk se fluidifiait à vue d’œil. Passan aurait aimé pouvoir en dire autant mais la douleur était toujours là.

— Je te rappelle qu’on n’a pas l’enquête, fit l’adjoint d’une voix épuisée. Pas l’ombre d’une réquise ni le moindre pouvoir.

— C’est pas la première fois.

— Naoko, qu’est-ce qu’elle dit ?

— Rien.

— Bien sûr.

Passan ne releva pas le ton chargé d’insinuations. Il était 20 h 30. Il songea à un dernier versant de l’affaire :

— Et Levy ?

— Quoi Levy ?

— Je t’avais demandé de voir s’il avait lancé des analyses génétiques.

— Merde, j’allais oublier… Avec toutes ces histoires, je…

— T’as trouvé quelque chose ?

Fifi sortit un carnet de sa poche-revolver :

— Plutôt, ouais. Levy a envoyé un gant à Bordeaux le 21 juin. Le même jour, il en a fait parvenir un autre au labo de Strasbourg. Il les a récupérés le lendemain soir, avec les résultats.

Quand on est flic, avoir raison signifie souvent signer un certificat de décès.

— À tous les coups, ce sont les gants de Guillard, reprit le bad boy. Pourquoi les avoir séparés ?

— Il voulait être le seul à comparer les résultats. Il a essayé de vendre les gants et les analyses à Guillard.

— Il s’est cassé avec le fric ?

— Il est mort.

Passan ouvrit la porte et sortit. Fifi lui emboîta le pas. Shinji et Hiroki, aux manettes du jeu vidéo, riaient sous l’œil amusé de Lestrade et Jaffré. Olivier attrapa deux pyjamas et des affaires de toilette dans le sac de voyage, emmena les enfants dans la salle de bains et, malgré leurs protestations, les déshabilla. Des gestes routiniers, pour se raccrocher toujours à la même illusion — celle d’une soirée ordinaire.

Ensuite, il téléphona à Naoko. Voix neutre, indéchiffrable. Les garçons voulurent lui parler. Ils décrivirent la suite de l’hôtel, énumérèrent les sucreries du minibar puis retournèrent à leur jeu.

— Pour le dîner, fit Passan à son adjoint, appelez le room-service.

— Qu’est-ce que tu vas foutre encore ?

— Juste un truc à boucler.

Le punk se posta devant lui, mi-inquiet, mi-agressif :

— La dernière fois que tu m’as dit ça, tu t’es transformé en banane flambée. Où tu vas ?

Passan s’efforça de sourire. La crème et les médocs faisaient enfin leur effet. Et peut-être aussi la pilule magique.

— Je retourne chez moi.

— Pour quoi faire ?

— Mes adieux.

Il prit une douche, se changea, embrassa ses deux lutins. Les menus étaient arrivés : hamburgers maousses et frites à gogo. Les principes d’éducation de Naoko étaient loin mais après tout, malgré le chaos général, on était samedi soir.

Il franchit le seuil en saluant ses hommes et en promettant de revenir dans la nuit. Fifi lui rappela son rendez-vous du lendemain matin avec le juge. Se dirigeant vers les ascenseurs, Passan se dit que le seul fantôme de l’histoire, c’était lui.

71

Le portail de la villa était barré par une croix de Rubalise. Il l’arracha et actionna sa télécommande. Sa décision était prise. Ils allaient vendre la maison. Ils solderaient leur crédit et placeraient le reste au nom des enfants. Un placement sécuritaire qui évoluerait, au fil des années, avec le cours de l’euro. Sécuritaire. Aujourd’hui, seules les banques pouvaient lui offrir ce mot sur un plateau. C’est dire où il en était rendu…

Il traversa la pelouse, sans un regard pour son jardin. Les projecteurs au pied des arbres s’allumèrent. Les rubans plastifiés reliaient les piliers comme une cordée d’alpinistes. Il passa dessous, enfila des gants de latex et tourna la clé. Comme un voleur.

À l’intérieur, il alluma chaque pièce. Il ne voulait pas se laisser contaminer par les ténèbres. Il se livra à un tour du propriétaire, souleva distraitement quelques coussins, des angles de tapis. Il ne cherchait pas. Les gars de Zacchary l’avaient déjà fait et n’avaient rien trouvé. Il reprenait simplement contact, pour la dernière fois, avec ces objets, ces murs, cette maison.

À l’étage, il s’arrêta devant la chambre des enfants. Du seuil, il observa la tache noire entre les deux lits. Il ne tremblait pas, ne bougeait pas. Rien de plus compact qu’un fragment de banquise, au cœur de la nuit. Il songea à Diego qui ne s’était jamais méfié de l’intruse, n’avait jamais aboyé. Pourquoi ? Parce qu’elle était japonaise ? Le pauvre chien n’était pas difficile à berner…

Il pénétra dans la chambre de Naoko, sans allumer. Il était déjà venu dans la journée y prendre quelques affaires. Cette fois, il détailla chaque élément. Les armoires de bois verni, le futon, la couette rouge, la table de chevet : tout était en place. Sans réfléchir, il s’assit au bord du lit face à la baie vitrée.