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D’un geste, Passan lui coupa la parole :

— Je n’ai jamais cessé d’enquêter sur Guillard. Je connais son histoire par cœur. En quoi avez-vous l’assurance qu’il était réellement l’Accoucheur ?

— Il y a là des détails sur les meurtres que personne, à part vous, moi et le tueur, ne peut connaître.

Olivier parcourut les feuilles. Il n’éprouvait aucune satisfaction. Il avait l’impression de tenir entre les mains une sorte de traité de paix. Un armistice précaire, provisoire, jusqu’au prochain cinglé, jusqu’à la prochaine série.

— Les dernières pages sont un tissu de délires, continua Calvini. Un galimatias qui parle d’oracles, de vérité antique. Il est aussi question de vous…

— J’étais son adversaire le plus dangereux.

— Pas seulement. Il y a des pages qui risquent de vous mettre… mal à l’aise. À l’évidence, sa part féminine était amoureuse de vous.

Cela aussi, Passan l’avait pressenti et il n’était pas troublé. La promiscuité avec le mal, il avait appris à s’y faire. D’une certaine façon, elle l’avait même rendu plus fort.

— Il fait allusion à Levy ?

— Il admet l’avoir tué sans plus de précision. À ses yeux, il s’agit d’un simple accident de parcours. Vous savez quelque chose là-dessus ?

Passan résuma l’affaire des gants. Calvini but une gorgée de café, posément.

— Je vais vérifier tout ça. Si vous avez raison, on va avoir du mal à enterrer notre commandant avec les honneurs.

Grelottant sur sa chaise, Passan feuilletait la liasse. Son visage le lançait à nouveau. Furieux de s’être endormi, il n’avait pris aucun cachet ce matin. En mode mineur, sa barbe de deux jours le démangeait mais il ne devait surtout pas se gratter.

— À la fin, reprit Calvini, Guillard annonce son projet de suicide. Cet aveu vous met hors de cause.

— Quelqu’un me soupçonnait ?

— Tout le monde.

— Quelle était l’autre version ?

— Que vous l’aviez poussé dans le feu.

— Et moi avec ?

— Dans la bousculade… Mais Guillard révèle aussi son intention de vous attirer dans les flammes. D’ailleurs, il parle de vous au passé, comme si vous étiez mort. Il était persuadé que vous feriez le grand saut avec lui.

— À qui d’autre a-t-il envoyé ce document ?

— Pour l’instant, les médias n’ont pas l’air au courant, Dieu merci. On va pouvoir rendre tout ça présentable.

Guillard ne cherchait pas le battage médiatique. Il méprisait le monde. Un seul homme comptait à ses yeux : Passan lui-même. S’il avait pensé que le flic pouvait survivre à son immolation, c’est à lui qu’il aurait envoyé ses confessions.

— Je suis donc… réintégré ?

— Hic et nunc. Vous reprenez votre poste aujourd’hui.

— Donnez-moi l’affaire Sandrine Dumas.

— Impossible. Je n’ai même pas été saisi.

— Qui l’est ?

— On ne sait pas encore. Le proc décidera.

— Intercédez en ma faveur.

— Ça ne servirait à rien. On ne change pas un groupe après une journée d’enquête. D’ailleurs, vous êtes trop impliqué sur ce coup.

— On ne bouffe pas où on chie, c’est ça ?

Il regretta aussitôt ce trait de vulgarité. Son hôte avait raison : il était trop tard…

— Revenez tranquillement parmi nous, ajouta Calvini. Vous avez une gueule de zombie. Vous tremblez des pieds à la tête. Votre place est à l’hôpital. D’ailleurs, vos exploits n’effacent pas tout.

— Qu’est-ce que vous voulez dire ?

Le juge sortit de sa poche un paquet de Marlboro et lui en offrit une qu’il refusa d’un signe de tête.

— En l’espace de quelques jours, vous avez accumulé les conneries. Vous avez continué à harceler Guillard, malgré le verdict du tribunal qui vous condamnait.

— Si sa culpabilité ne fait plus aucun doute…

— La loi est la loi. Vous avez aussi agressé un psychiatre avec une arme à feu.

— Il n’a pas porté plainte.

Calvini expira une longue bouffée :

— Vous êtes violent, incontrôlable. Ce que vous avez de mieux à faire, c’est de vous faire oublier. Sur tous les plans. J’ai entendu parler de vos… ennuis personnels.

Passan tressaillit.

— Si vous voulez garder un secret, évitez d’appeler les flics.

— Je n’ai pas appelé les flics.

— C’est votre erreur. Vous avez voulu jouer le coup en solitaire. Qu’est-ce que vous avez gagné ? On ne peut relier le meurtre de votre meilleure amie à une affaire qui n’existe pas. Le juge saisi va devoir ordonner une perquisition chez vous pour y voir clair.

Olivier frappa du poing sur la table :

— Vous avez décidé de m’enfoncer ?

— J’ai décidé de vous aider. Je vais voir si vous pouvez collaborer avec le groupe qui…

— Non. C’est mon enquête. C’est ma famille. Je travaillerai seul.

Calvini sourit. Passan était déjà debout. L’entrevue était terminée — de son point de vue. Le juge se leva à son tour, il était aussi grand que le flic.

— Arrêtez de vous comporter comme un gamin. Réfléchissez et rappelez-moi demain. (Il lui tendit le dossier.) N’oubliez pas ça.

Voyant les lignes patiemment écrites par Guillard, le flic songea à autre chose :

— Il savait qu’il allait mourir, il a rédigé un testament ?

— Bien sûr. Son notaire m’a appelé. Guillard avait amassé une vraie fortune avec ses garages.

— Il n’avait aucune famille, qui hérite ?

— Il lègue tout à un foyer d’accueil, à Bagnolet.

— Jules-Guesde ?

— Vous connaissez ?

— J’y ai passé une partie de mon enfance.

Calvini haussa les sourcils, comme si on venait à la fois de lui poser une question et de lui donner la réponse. Passan le remercia et tourna les talons.

Alors qu’il remontait l’allée de graviers, il médita sur cette dernière révélation. À quoi menait la somme des douleurs ? À un geste d’attendrissement, un ultime mouvement en faveur de l’humanité. Peut-être Guillard avait-il agi au nom d’un souvenir, ou d’un objet, comme ces 15 légendes de la mythologie qui lui avaient donné une clé infernale pour survivre.

Le magistrat ouvrit le portail à distance. Passan franchit le seuil sans se retourner. La vérité qui l’avait saisi à l’école des voleurs lui revint : la cruauté intime de Guillard n’était qu’une réponse à la cruauté générale.

Était-ce le même processus qui motivait la meurtrière de Sandrine ?

73

Passan avait acheté un bouquet de roses et s’était fendu d’une cravate. Il était fin prêt pour ses négociations de paix.

Dès le hall de l’hôpital Robert-Debré, il dut parlementer : les visites ne commençaient qu’à 14 heures. Il s’efforça de rester poli, préféra jouer du violon et évita de sortir sa carte. Enfin, il put accéder au deuxième étage. Quand il découvrit la chambre vide, chaque détail du décor s’enfonça dans sa rétine comme une aiguille.

Le matelas nu.

La structure d’inox privée de perfusion.

Le pied du lit sans relevé de température.