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Ayumi bondit. Attaque au flanc. . Recul. Autre attaque — deux fois à gauche, une fois de face. Attaque au front. Men. Naoko parait chaque coup. Sa dextérité revenait. Ayumi frappait comme l’enseigne Musachi, visant les points vitaux : veine jugulaire, veine du poignet, cœur, larynx, foie…

Elle recula. Naoko passa à l’offensive — elle ne voulait plus lâcher le contact, le combat, la danse de mort… Elle voulait épuiser son adversaire, mais aussi ses propres chances de survie. Se risquer au bord du gouffre… Une attaque. Deux attaques. Trois attaques…

Ayumi fit encore un pas en arrière. À moins que ce ne soit Naoko. L’épuisement les séparait, la pluie les achevait. Naoko n’était pas blessée mais elle savait lire entre les lames : elle ne pouvait pas gagner. Elle pouvait juste tenir — et se battre jusqu’au bout, pour ses enfants.

Nouvel assaut. Elle sentait ses doigts vibrer sur le cuir tressé de la poignée. Elle était hors d’haleine. Ses yeux pleuraient. Son sang brûlait sous sa chair. Elle sentait monter en elle une ivresse. Celle des samouraïs, qui meurent dans une transe d’honneur et de destruction.

Elle hurla et visa le flanc. Recula et esquiva une attaque frontale. Ayumi armait de nouveau. Naoko frappa. Ayumi ne laissait rien passer. Elle semblait survoler le combat.

À bout de forces, Naoko perdit l’équilibre et se rattrapa de justesse contre le grand rocher noir. Malgré la pluie, elle sentit que sa paume poissait. Du sang. Déjà Ayumi se ruait sur elle.

Le choc des lames fit vibrer ses os sous sa chair. C’était la fin. L’acier venait de se briser. On dit que la ligne de trempe d’un sabre ne reflète qu’une chose : l’amour de son propriétaire. Naoko n’avait jamais entretenu le sien — et cette indifférence allait lui coûter la vie. Elle balança son katana et chercha dans sa poche le kaïken.

Elle fit un bond de côté. Juste à temps pour éviter un assaut mortel.

Ayumi avait dégainé son deuxième sabre et fit siffler les deux lames. Le style spécifique de Miyamoto Musashi. Sa vélocité était sidérante. Naoko se retrouva par terre : elle ne parvenait pas à se dépêtrer de sa veste, de sa poche.

Elle se réfugia à quatre pattes dans une cavité entre deux rochers. La lame la suivit, provoquant un horrible couinement contre le granit. Naoko songea au jan-ken-pon : la pierre bat les ciseaux, la feuille bat la pierre, les ciseaux battent la feuille… Elle sentit qu’on la tirait par les pieds. Dans une convulsion, elle se retourna et vit le visage d’Ayumi. Ses yeux n’étaient plus que deux marques d’ongle dans un masque de chair.

Sans réfléchir, Naoko se mit à battre des jambes mais l’autre la tenait toujours par les chevilles. Quand elle se retrouva à l’air libre, elle réalisa qu’Ayumi avait dû laisser tomber ses sabres pour l’attraper. Elle lui sauta au visage, lui mordant la joue. L’autre lui tira violemment les cheveux et la força à lâcher prise dans une cambrure douloureuse.

Naoko se trouva projetée contre la pierre volcanique. Le choc lui fit fermer les yeux. Quand elle les rouvrit, Ayumi avait récupéré son katana. Naoko se jeta sur le wakizaki et se redressa sabre en main.

Même si la fin était proche, elle ne devait rien regretter.

Elle avait fait le maximum.

93

Passan rôdait autour du sanctuaire quand il perçut de lointains claquements d’acier. Le vent venait de tourner. Il tendit l’oreille pour identifier leur direction : le bas de la colline, la plage. Lui-même en venait : comment avait-il pu les manquer ?

Il se mit à courir, dévalant le sentier, son visage s’écorchant aux aiguilles de pin. Des cris maintenant. Il accédait à la plage quand les hurlements changèrent de nature. Des sons atroces, des déchirements de gorge. Il lança un regard circulaire et ne découvrit qu’un paysage de noirceur. Sous le ciel de suie, les rouleaux éclataient sur le sable, l’écume sifflait entre ses milliards de bulles, grise et terne comme un crachat.

Personne. Les cris avaient cessé. Il remarqua, sur la gauche, des rochers dont les formes évoquaient des sculptures votives. D’instinct, il prit cette direction. Il se glissa entre les blocs en s’attendant à découvrir une cérémonie chamanique, un rituel de sorcellerie.

Deux formes humaines, disloquées par la pluie, s’agitaient sur fond de pins déchaînés. L’une était à terre, l’autre, silhouette noire, brandissait un sabre.

— NON !

L’ombre tourna la tête. Au-dessus d’elle, le ciel s’ouvrit en deux. L’éclair parut jaillir des eaux pour trancher les nuages. Passan reconnut le visage. Sa pâleur exprimait une froideur, un poli de pierre sans expression. Le plus frappant était son regard. Noir comme du carbone, il paraissait brûler d’un éclat vénéneux. Une phrase de Musachi lui revint : « Un esprit exalté est faible. » Ayumi ne lui paraissait pas faible du tout.

Il attaqua en hurlant, armé de ses seuls poings. Le coup de bluff réussit. Ayumi tourna les talons et s’enfuit dans la forêt comme un fauve effrayé. Passan se précipita sur Naoko. Du sang tachait sa veste. Sa petite poitrine pointait sous le tissu trempé. La même scène qu’au Pré-Saint-Gervais, mais sans la moindre aide aux alentours.

Dénouant avec précaution le yukata, il découvrit le pansement de la première blessure, imprégné de rouge. Dans la lutte, la plaie s’était rouverte. La marque de sang dessinait un cachet de cire sur le bandage. Naoko était une miraculée — à moins qu’Ayumi n’ait jamais eu l’intention de la tuer.

Passan murmura des paroles apaisantes. Au milieu d’une flaque, il repéra un sabre brisé et, du côté des rochers, une lame plus courte coincée dans une faille. Il songea au kaïken. Il fouilla les plis de la tunique, les poches du survêtement. Fourreau de jacquier noir, poignée d’ivoire : il était là.

Il se releva, poignard au poing. Naoko saisit le pan de sa veste — ses yeux étaient injectés de sang, ses lèvres frémissaient. Elle balbutia des mots qu’il ne comprit pas — sans doute une mise en garde.

De sa main gauche, il attrapa son portable, composa le numéro du pêcheur et plaça l’appareil dans la paume de Naoko.

— Le type qui m’a amené ici, souffla-t-il. Dis-lui de revenir. (Il ajouta plus fort.) Dis-lui de se magner !

Sans attendre de réponse, il partit à la poursuite de l’ennemie, parmi les pins chahutés.

— Ayumi-san !

Son cri s’éteignit comme une chandelle sous la pluie. Il trouva un nouveau sentier. Ni pierres flottantes ni terre compacte : seulement une boue grise qui s’effaçait au profit d’une latérite rouge dans laquelle ses pieds s’enfonçaient jusqu’aux chevilles. Ses vêtements pesaient des tonnes. Il fallait qu’il la trouve. Il fallait qu’il la tue…

Il grimpa, traversant les marigots, pataugeant sans ralentir.

— Ayumi-san !

Plus il montait, plus la pluie s’acharnait. Son champ de vision se limitait à quelques mètres. Il allait hurler de nouveau quand il atteignit une trouée. D’un coup, le ciel. D’un coup, le grondement sans limite de l’orage. En contrebas, une rivière bouillonnait. Ses flots oscillaient comme des chairs amples, sensuelles, repues. Au-delà, une île, longue de quelques centaines de mètres, ressemblait à une épave couchée.