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Richard Green repoussa du pied sous son bureau sa petite balance portative, découragé : il avait encore pris cinq livres à Abu-Dhabi. Sans même arriver à dissuader l’émir d’acheter des Mirages aux Français.

Ce qui le mettait à deux cent quarante livres.

— Je ne vous trouve pas gros, dit Malko pour lui remonter le moral.

Avec sa barbiche carrée, son front bas, ses traits réguliers et ses 1 m 90, Richard Green était imposant. Il ricana amèrement.

— J’ai un bon tailleur, c’est tout. Mais si vous me voyiez à poil… Bon, revenons à nos moutons. Qu’avez-vous l’intention de faire ?

— C’est exactement la question que j’étais en train de me poser, soupira Malko. Vous en savez autant que moi.

Et encore, je suis obligé de faire confiance au sheikh Sharjah. Je n’ai pas eu le temps d’apprendre l’arabe en vingt-quatre heures.

— Je crois qu’il est OK, fit Richard Green. Il déteste les Palestiniens. Et il tient à ce que le Koweit ait une bonne image de marque. Il voudrait faire une oasis de tourisme. Seulement, je sais qu’il ne lèvera pas le petit doigt officiellement. Il ne peut pas. Nous sommes quand même dans un pays arabe…

— Il a déjà levé plusieurs doigts avec Jafar, remarqua Malko.

L’Américain haussa les épaules.

— Un comparse… Mais quand il va falloir toucher aux responsables, il n’y aura plus personne.

Richard Green avait beaucoup ri en apprenant la façon dont il avait fait la connaissance du sheikh Sharjah. Assurant Malko que le Koweiti bluffait, qu’il n’avait jamais eu l’intention de lui faire du mal. Qu’il voulait seulement juger de son courage. Mais qu’ils pouvaient compter sur son aide. Jusqu’à un certain point…

— Le secrétaire d’État arrive dans dix-sept jours, reprit Richard Green. S’il est accueilli par des rafales de mitraillettes, même si on ne le tue pas, je n’aurai plus qu’à m’inscrire au chômage…

On frappa, et la porte s’ouvrit sur Eleonore Ricord, sagement vêtue d’un strict tailleur. Elle s’assit sur le canapé à côté de Malko et demanda :

— Qu’y a-t-il de neuf ?

Malko lui raconta la fin de sa soirée. Y compris son passage chez Abdul Zaki.

— Vous connaissez cette Winnie ? demanda-t-il. C’est une vraie pasionaria. Mais c’est peut-être la seule façon d’en savoir plus sur les projets de son mari. Après tout, elle n’est pas Arabe.

Eleonore Ricord hocha la tête.

— C’est une hystérique de la cause palestinienne. Elle me relance tout le temps. Parce que je suis Noire, elle voudrait me faire prononcer des discours antisionistes devant son club de femmes…

— Elle balancerait volontiers une grenade à Henry Kissinger de ses blanches mains, ajouta amèrement Richard Green. Oubliez cette bonne femme.

— Pourrait-on demander au Sheikh Sharjah de mettre Abdul Zaki sur table d’écoute ? interrogea Malko.

Le chef de station de la CIA eut un ricanement piteux.

— Cela ne servira à rien. Ils écoutent, mais ils ne dépouillent jamais. Cela va directement à la corbeille à papiers…

Malko n’insista pas. Il commençait à étouffer dans ce petit bureau au plafond bas. La CIA n’était pas gâtée au Koweit. Richard Green était installé dans le sous-sol d’un petit bâtiment dans le jardin de l’ambassade, à côté de la salle de cinéma de l’USIS. L’ambassadeur habitait dans le même complexe, face à la mer. Heureusement que le Hilton était de l’autre côté de la rue… Plusieurs postes de soldats koweitis équipés de fusils d’assaut et d’une solide flemme faisaient semblant de garder l’ambassade, isolée entre des terrains vagues et la mer.

Malko était atterré par l’absence d’information de Richard Green.

— Vous ne savez vraiment rien des Palestiniens ?

— Bien sûr que si, répliqua l’Américain. J’essaie d’avoir le maximum de contacts avec eux. Et j’en ai. Mais ce sont les « bons », les réguliers. Les autres me considèrent comme le diable et ne voudraient même pas être vus sur le même trottoir que moi. Ceux-là échappent à tout contrôle. Et ce sont les plus dangereux. Ceux qui sont soutenus par le colonel Kadhafi, « Kashaf »[6], comme l’appellent les Arabes modérés.

Malko pensa aux trente-trois morts de Rome. Richard Green avait des raisons légitimes d’être inquiet.

Le silence retomba, troublé seulement par les grincements de l’énorme drague qui opérait jour et nuit de l’autre côté de l’avenue Al Khalij Al Arabi, troublant le sommeil des hôtes du Hilton.

Un ange passa, les ailes chargées de grenades au phosphore… Malko réfléchissait désespérément. La CIA l’avait lancé dans une mission impossible. Cela l’excitait. Les satellites-espions ne pouvaient pas tout résoudre. On pouvait envoyer trente Samos photographier jusqu’à la dernière baïonnette de l’armée, Henry Kissinger risquerait quand même de se faire trucider…

— Cette salope de Winnie Zaki, gronda Richard Green. Quand je pense qu’elle est du côté des Arabes !

Une idée frappa brusquement Malko.

— Vous pouvez voir facilement Winnie Zaki ? demanda-t-il à Eleonore.

La Noire le regarda avec étonnement.

— Oui, je pense.

— Bien, dit Malko. Sait-elle que vous travaillez pour la « Company » ?

— Je ne pense pas.

Il sourit.

— Eh bien, vous allez le lui apprendre. Et lui demander un service.

Les deux femmes étaient les seules clientes de la pizzeria du Hilton. Winnie avait répondu immédiatement à l’appel de la vice-consul. Maintenant, elle écoutait ses explications sans dissimuler son intérêt.

Eleonore lui avait tout dit : qu’elle travaillait pour la CIA, comment le prince Saïd lui vendait des informations, qu’il allait lui dénoncer les Palestiniens qui projetaient d’assassiner Henry Kissinger.

Winnie Zaki l’écoutait avec attention. Finalement elle demanda :

— Pourquoi me dites-vous tout cela ?

Eleonore Ricord prit l’air soudainement embarrassée.

— Vous avez toujours montré beaucoup d’amitié pour moi, dit-elle. Je sais que nous n’avons pas les mêmes opinions politiques, mais j’ai pensé que…

Winnie posa la main sur la sienne.

— Je serai ravie de vous aider…

Eleonore leva les yeux et se sentit soudainement mal à l’aise. Winnie la regardait avec la même expression qu’un homme amoureux.

— Voilà, expliqua-t-elle. Nous savons que le prince Saïd avait parlé des Palestiniens, avant de mourir, avec cette Anglaise, Marietta. Ce qu’elle sait peut être précieux pour nous. Seulement, elle se trouve sous la garde de la police koweitie qui nous interdit de lui parler… Ils prétendent qu’elle ne sera pas en état de répondre aux questions avant une quinzaine de jours, ce qui fait beaucoup trop tard… Si vous pouviez aller l’interroger vous-même et me dire ce qu’elle vous a confié, ce serait fantastique…

La vice-consul se tut. Essayant de ne pas voir que les yeux de Winnie étaient transformés en deux blocs de glace…

Le silence se prolongea pendant près d’une minute.

Puis Winnie se dégela d’un coup. Avec un sourire éblouissant.

— Je crois que je vais pouvoir vous rendre ce service, dit-elle. Abdul a le bras long et cela ne posera pas de problème. Je dirai que je veux voir cette Anglaise pour prendre des nouvelles de son état…

— C’est parfait, approuva Eleonore. Vous me rendez un service immense…

Winnie la regarda d’un air ambigu.

— J’en suis heureuse. J’espère qu’un soir vous viendrez passer la soirée avec nous. Juste tous les trois. Abdul n’aime pas beaucoup sortir, mais nous passons quelques soirées très agréables parfois.

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6

Le scout.