— Vous avez oublié de régler, Sir.
Malko lui colla dans la main un billet de cinq dinars et se rua dans l’escalier. Le tueur avait disparu. Heureusement que Richard Green était dehors. Malko émergea sur l’avenue Al Hilali, aperçut la Cadillac garée en face, traversa en courant :
— Vous n’avez vu personne sortir ?
Richard Green secoua la tête, surpris :
— Non, et je n’ai pas quitté cette putain de porte des yeux depuis que vous êtes entré.
— Himmel herr Gott ! fit Malko entre ses dents.
Et pourtant il jurait rarement.
Il retraversa en courant. Le tueur ne s’était pourtant pas volatilisé ! Il inspecta le petit hall tapissé de photos et aperçut soudain un escalier étroit, dissimulé derrière une tenture, qui montait.
Il s’y engagea, arriva à un couloir sombre, traversa une salle à manger déserte, aboutit soudain dans une galerie surplombant une salle brillamment éclairée. Il se pencha et vit un hall d’hôtel avec un desk. Celui du Phoenicia, dont l’entrée donnait sur Fahd Al Salem Street, alors que la boîte s’ouvrait sur Al Hilali…
Il contourna la galerie, descendit par un autre escalier jusqu’au hall où un veilleur de nuit le fixa d’un air soupçonneux. Malko s’approcha :
— Avez-vous vu passer un monsieur avec une moustache il y a quelques minutes ?
L’autre secoua la tête :
— No, Sir. Je n’ai vu personne.
Puis il se désintéressa de Malko et se rassit. Malko sortit, contourna les arcades et rejoignit la Cadillac.
Ivre de rage, tous ces risques pour rien… Parce qu’il avait commis une erreur de psychologie.
— Alors ? demanda Richard Green.
Malko lui expliqua ce qui s’était passé.
— Attendez encore un peu, dit-il, je vais redescendre. J’ai une idée.
Quand Malko arriva dans la petite salle basse, l’orchestre et Amina avaient disparu, et les Japonais payaient leur addition. Des haut-parleurs vomissaient de la musique pop sur la salle désertée.
Le garçon à qui il avait donné cinq dinars s’approcha de lui, hésitant.
— Vous voulez votre monnaie, Sir ?
— Le spectacle est fini ?
Le garçon secoua la tête, désolé.
— Oui, Monsieur. Miss Amina est partie. Dans trois jours maintenant…
Il tendit sans enthousiasme trois dinars à Malko. Les Japonais passèrent près d’eux, échangeant d’une voix aiguë des plaisanteries sur les fesses de la danseuse.
Malko remonta à la surface. Déprimé. Il ne retrouverait pas facilement une occasion comme celle-là. Maintenant les autres allaient se méfier. Car où allait-il retrouver l’homme qui avait tenté de tuer Marietta ?
La seule piste était la pulpeuse Amina.
Malko souhaita de tout cœur que le tueur ne soit pas seulement un bon client amateur de danse orientale…
Chapitre VI
— Le sheikh Sharjah veut vous voir, annonça Richard Green.
— C’est pour cela que vous m’avez sorti du lit ! protesta Malko. À sept heures du matin.
L’Américain fit la grimace en avalant une petite pilule rose.
— Saloperie, grommela-t-il.
— Vous vous droguez ? demanda Malko.
— … truc pour maigrir, fit Richard Green. Je suis déjà à deux cent quarante-cinq livres, je voudrais m’arrêter là avant d’éclater. Mais dès que j’ai des soucis, je grossis. Alors, en ce moment… Le seul pays qui me va, c’est le Japon. J’ai perdu quarante-cinq livres en six mois, en ne bouffant que du poisson et du riz…
— Sharjah vous a dit pourquoi il veut nous voir, demanda Malko. Il a du nouveau ?
Richard Green soupira, son front bas plissé de rides.
— Je ne crois pas. Il veut nous montrer où le Secrétaire d’État va résider, et décider des mesures de précaution à prendre. On va lui parler du type d’hier soir… Sans lui, on ne le retrouvera jamais…
— Avec lui non plus, coupa Malko. À propos, Eleonore Ricord veille toujours sur Marietta ? Bien que les autres se soient sûrement aperçus qu’on leur avait tendu un piège. Nous allons sûrement entendre parler de la belle Winnie.
— Sharjah s’en est occupé, dit Green. Je ne pouvais pas laisser Eleonore indéfiniment à l’hôpital… Surtout après le trou qu’elle a fait dans le mur avec le Magnum…
Malko se leva.
— Allons rassurer Marietta Ferguson. Nous lui devons bien cela.
Richard Green fronça les sourcils.
— Maintenant ?
— Maintenant. Sharjah attendra.
Avant de sortir, Richard Green ne put s’empêcher de jeter un coup d’œil au calendrier. Il restait quinze jours avant l’arrivée de Henry Kissinger.
Deux policiers en casque rond et ciré noir étaient affalés sur des tabourets, dans le couloir, en face de la chambre de Marietta. Sans armes… Ils ne bougèrent même pas quand Malko et Richard Green ouvrirent la porte.
Malko s’arrêta net Winnie Zaki était assise sur une chaise à côté du lit, penchée tendrement sur la call-girl ! Elle se retourna, aperçut les deux hommes. Un éclair de fureur passa dans ses beaux yeux sombres, vite effacé par un sourire mondain.
— J’avais promis à Miss Ricord de passer voir Miss Ferguson. Malheureusement, je n’ai pu venir avant. Puisque vous avez pu obtenir la permission de la voir, je vais m’en aller.
Elle se leva. Une robe de soie imprimée moulait son corps épanoui et élancé. Mais ses yeux étaient froids comme de la glace lorsque Malko s’inclina sur sa main pour la baiser… Elle sortit de la chambre après un bref signe de tête, raide comme la justice. Malko la laissa refermer la porte, la regarda pensivement sortir, puis s’approcha de Marietta Ferguson. La jeune femme semblait avoir toute sa connaissance. Les bandages couvraient tout son visage, ne laissant apparaître que l’œil gauche. Il s’assit sur la chaise encore chaude de Winnie.
— Vous allez mieux ? demanda-t-il.
Elle hocha la tête.
— Un peu. Je voudrais bien rentrer chez moi.
— Ce n’est plus qu’une question de jours, assura-t-il avec un sourire encourageant. J’espère que la visite de Mme Zaki vous a fait plaisir…
— Je ne comprends pas pourquoi elle est venue, avoua Marietta. Je ne la connais pas. Mais c’est gentil… Elle est très curieuse, elle m’a posé des tas de questions auxquelles je n’ai rien compris.
Les yeux dorés de Malko pétillèrent :
— Tiens. Quoi, par exemple ?
Marietta toucha légèrement le bandage de sa joue avant de répondre. Sous le tissu léger de la chemise de nuit, on voyait pointer sa poitrine pleine et haute, avec de larges aréoles. C’était une belle plante, avec un corps lourd et sain…
— Elle m’a demandé depuis combien de temps je connais sais le prince Saïd. Ce que je savais de ses activités politiques, s’il m’avait parlé des gens qui en voulaient à sa vie.
— J’ai dû la choquer, car je lui ai dit qu’il ne me parlait même pas quand nous faisions l’amour ! J’étais un bel objet pour lui. Un point, c’est tout. Qu’il essayait d’amortir au maximum…
Brusquement, des larmes jaillirent de son œil découvert par le bandage, et elle gémit :
— Maintenant, je… suis défigurée ! Je ne…
Malko l’interrompit gentiment :
— Dans quelques semaines, vous serez aussi belle qu’avant, affirma-t-il. Le sheikh Sharjah vous fait dire que le Koweit prend à sa charge tous les frais chirurgicaux occasionnés par votre blessure. Même le traitement en Europe. Pour que vous ne gardiez pas un trop mauvais souvenir de son pays.