— Je vais encore prendre deux kilos pour rien. On ferait mieux de kidnapper ce Salem Bakr et de faire parler ce salaud…
Malko se leva, se forçant à sourire.
— Vos pilules vous rendent pessimiste.
Il comptait sur Amina. S’il arrivait à être certain que son amant faisait partie du complot et à l’identifier, il aurait avancé d’un grand pas.
Le night-club du Phoenicia était toujours aussi sinistre. Et encore, grâce à la présence de Dinah, Malko était plus avantagé que les autres clients de la boîte, étrangers moroses, seuls, par deux ou par quatre. Y compris les inéluctables Japonais.
Il était onze heures et, en dépit de la musique qui hurlait à tue-tête, les clients s’éclipsaient les uns après les autres.
Amina aurait déjà dû être là. Intrigué, Malko appela le garçon :
— Il n’y a pas de danseuse ce soir ?
— Si, si, affirma l’autre. Elle va venir.
Malko commanda son troisième Pepsi-Cola et reprit avec Dinah une fascinante conversation sur la pruderie des Saoudiens. Mais, au bout d’une demi-heure, saoul de musique pop de mauvaise qualité, il se leva et alla au bar. Trois nouveaux clients s’étaient installés près de l’escalier. Des Arabes vêtus à l’européenne. Jeunes.
— Miss Amina ne danse pas ce soir ?
Le barman eut un sourire navré.
— Miss Amina est malade, dit-il, elle ne viendra pas.
Décontenancé, Malko rejoignit Dinah. Cette brusque absence l’inquiétait. Et aussi le fait qu’on ne l’ait pas averti tout de suite. Il connaissait l’adresse de la danseuse, mais il risquait de l’affoler en allant la voir.
Il n’y avait plus qu’à aller se coucher. Dinah semblait tomber de sommeil. Il appela le garçon, réalisa soudain qu’à part Dinah et lui il n’y avait plus que les trois Arabes, en col roulé. Silencieux devant leurs verres intacts. Inquiétants avec leurs cheveux ras et leurs mains épaisses.
Pas du tout le style night-club.
Machinalement, il tâta la crosse de son pistolet extraplat glissé dans sa ceinture. Se souvenant de ce que lui avait dit Richard Green : le Phoenicia était le QG des Palestiniens…
Son cœur battit plus vite. Il était certain maintenant que l’absence d’Amina n’était pas due à la maladie. Et qu’il était lui-même en danger de mort. Il repensa à la façon féroce dont les Palestiniens avaient liquidé le prince Saïd Al Fujailah.
Surveillant du coin de l’œil les trois Arabes, il appela le garçon. Ce dernier accourut, avec l’addition. Malko laissa cinq dinars et se leva.
— Allons nous coucher, dit-il à Dinah.
Presque à la même seconde, les trois hommes se levèrent d’un bloc. Sans le regarder. Ils ne souriaient pas, ils ne parlaient pas. Leurs costumes européens découpaient des épaules athlétiques.
Malko essaya de se dire qu’il était trop impressionnable. Il se dirigea vers l’escalier et au moment de monter la première marche, se retourna.
Les trois hommes arrivaient sur lui, silencieux et menaçants. Vraisemblablement, dès qu’il serait dehors, on lui arracherait le cœur comme au prince Saïd.
Il leva la tête vers la sortie et s’arrêta net : deux Arabes, jeunes, au visage dur, les mains dans les poches bloquaient l’escalier.
Dinah poussa un petit cri effrayé.
Chapitre VIII
— N’ayez pas peur ! dit Malko.
Il n’avait que quelques secondes pour agir. De la main gauche, il prit le poignet de Dinah. Sa main droite ressortit de sa ceinture à la vitesse d’un cobra, avec son pistolet extra-plat. Visant au-dessus de ses adversaires d’en haut, il tira. Les deux Arabes reculèrent précipitamment vers la sortie. Malko bondit, entraînant Dinah.
Il y eut un piétinement derrière lui, puis le hurlement de Dinah qui le tira brusquement en arrière. L’un des trois Arabes l’avait plaquée aux jambes. Malko s’arrêta, fit face. Un de ses adversaires arrivait droit sur lui. Il vit une énorme moustache noire, un ballet de manchettes, esquiva, tira. Le troisième Arabe se glissa entre le mur et lui, le ceintura. Aussitôt, son compagnon assena sur le poignet de Malko une manchette à couper un bœuf en deux. Le pistolet vola en bas des marches. D’un effort désespéré, Malko parvint à se dégager. Dinah hurlait sans arrêt. Il bondit vers le haut de l’escalier.
Derrière lui le cri de Dinah s’arrêta brusquement. Les deux Arabes qui avaient reculé vers la porte revenaient sur lui. Jamais il ne forcerait le passage, sans arme. Au moment où les deux groupes allaient se rejoindre sur lui, il esquiva et fonça vers le petit escalier intérieur reliant le night-club au Phoenicia.
Surpris, ses adversaires perdirent quelques secondes. Il traversait déjà la salle à manger déserte. Des interjections en arabe éclatèrent derrière lui. Il se rua pour dévaler l’escalier menant au hall du Phoenicia et s’arrêta net.
Deux hommes veillaient près de la porte de la rue. L’un était Salem Bakr.
Derrière lui, il entendait déjà la galopade de ses poursuivants. Il fit demi-tour, vit un ascenseur ouvert, s’y engouffra, appuya sur le bouton du cinquième, le plus haut. Avant tout, gagner du temps pour appeler à l’aide. Sinon, il ne sortirait jamais vivant du Phoenicia. L’ascenseur s’arrêta. Il était déjà dehors, dans un couloir vide avec une rangée de portes.
Il essaya la première : fermée à clef. La seconde aussi. Il frappa à la troisième. Une voix répondit en arabe, mais personne n’ouvrit. Dans l’escalier, il entendit ses poursuivants s’interpeller. Il tourna la poignée de la dernière porte, et elle s’ouvrit. Personne. Malko fonça vers le téléphone près du lit. Il prit l’appareil, attendit d’interminables secondes avant d’avoir la standardiste.
— Donnez-moi le 45843, demanda-t-il. Pour la chambre 504.
Il attendit, le cœur cognant dans sa poitrine. Il y eut un brait de chasse d’eau et un Arabe bedonnant émergea de la salle de bains, nu comme un ver. Il poussa une exclamation étranglée en voyant Malko. Celui-ci lui sourit gentiment sans lâcher le téléphone. Dans le couloir, il entendait des exclamations, des jurons, des appels. Ses poursuivants n’allaient pas tarder à le retrouver.
— Your number is ringing, annonça la standardiste.
Il attendit, avec l’impression qu’une main géante lui comprimait la poitrine. Cela sonnait dans le vide, indéfiniment. La standardiste marmonna quelque chose et Malko cria :
— Ne coupez pas !
On frappa à la porte de la chambre… L’homme nu se retourna, y courut. Au même moment on décrocha, et Malko entendit la voix endormie de Richard Green.
— Allô ?
— Je suis au Phoenicia, jeta Malko, avec des Palestiniens qui essaient de me tuer. Venez vite… Prév…
Il ne put terminer sa phrase. Ses adversaires avaient fait irruption dans la chambre. Un des Palestiniens plongea à travers le lit et l’arracha du téléphone, le projetant par terre avec une violence inouïe. Il réussit à se relever mais reçut aussitôt les deux autres sur le dos. Des habitués du combat de commando, frappant avec une brutalité féroce. Il crut qu’ils allaient le tuer sur place, à coups de pied, de manchette, de poing.
Mais ils le traînèrent hors de la chambre dans le couloir. Muet de terreur, l’Arabe nu referma sa porte. Malko cria :
— Appelez la police !
Sachant qu’il n’en ferait rien…
Tout en le bourrant de coups, les trois Palestiniens le poussèrent dans l’ascenseur. Malko se retrouva serré contre un moustachu énorme, à la poitrine de taureau. Il tira de sa ceinture un poignard à lame effilée et, avec un sale sourire, commença à l’enfoncer lentement dans l’estomac de Malko. Comme pour l’épingler à la paroi. Il ricana :