— Une des voitures est repartie. Quand les policiers sont arrivés ils ont trouvé ça.
Il alluma rageusement une cigarette, regardant les policiers sortir le corps du coffre. L’un d’eux se pencha et saisit un pistolet automatique qu’il montra au sheikh. Malko poussa une exclamation :
— Mais c’est mon pistolet !
Le sheikh le prit des mains du policier et le tendit à Malko. Ce dernier le prit et l’examina. Le chargeur était vide. Les Palestiniens avaient un sens cruel de l’ironie. Il empocha l’arme sous les regards méfiants et stupéfaits des policiers.
— Il faut retrouver Amina, dit-il. Elle doit être vivante, sinon, ils l’auraient abandonnée aussi.
Il pensa à la danseuse sourde-muette avec un serrement de cœur. Il fallait que les Palestiniens soient sûrs d’eux pour réagir avec une pareille férocité. La jeune morte de la voiture était Arabe comme eux, et en plus, pro-palestinienne !
— Allez vous coucher, dit le sheikh. Je m’occupe des recherches.
Ils se serrèrent la main. Leurs rapports s’étaient implicitement modifiés depuis leur première rencontre. Malko sentait que le sheikh l’avait pris en amitié et le Koweiti lui était profondément sympathique. Sharjah avait gardé la pureté de sentiments des Bédouins et leur courage.
Il ne put s’empêcher d’éprouver un pincement de cœur en sortant de l’ascenseur sur le palier désert… Mais le Sheraton était silencieux et calme.
À travers sa fenêtre, Malko observait deux automobilistes en train de s’agonir d’injures en face du Sheraton… La chambre était glaciale. Les nouvelles décourageantes. La journée s’était écoulée sans qu’on trouve aucune trace d’Amina. Le sheikh Sharjah avait fait fouiller tous les terrains vagues de la ville, perquisitionner chez des activistes palestiniens, alerté tous ses informateurs. Toutes les deux heures, il téléphonait à Malko.
Ce dernier s’empressait de répercuter les mauvaises nouvelles à Richard Green qui s’était barricadé dans son sous-sol de l’ambassade, seul avec sa balance.
La Dodge avait été volée. La chambre où Malko avait failli sauter louée sous un faux nom. Les cinq Palestiniens s’étaient volatilisés. Et pendant ce temps, les télex de Washington s’amoncelaient sur le bureau de Richard Green, demandant anxieusement où en était l’enquête.
Malko consulta sa montre. Six heures moins cinq. Le sheikh Sharjah devait passer à six heures.
On frappa à la porte. Il alla ouvrir. C’était Sharjah, mâchonnant son éternel fume-cigarette, son visage rond plissé de rides inquiètes. Il se laissa tomber sur le canapé, sortit un flask de sa dichdacha et but au goulot une rasade de whisky.
— Rien ! fit-il en claquant ses mains sur ses cuisses grassouillettes. Salem Bakr vit la vie la plus tranquille que j’aie jamais vue. Il a été de chez lui à son journal et ensuite à la radio pour sa chronique quotidienne. Nous l’avons mis sur table d’écoute. Aucun résultat.
— Est-ce qu’il s’est aperçu de tout cela ? demanda Malko.
Le sheikh eut un geste d’impuissance.
— Inch’Allah ! J’espère que non. Mais Koweit est petit, et je crois qu’il connaît certains de mes hommes.
Autant se mettre autour du cou un écriteau « police secrète »… Malko ne se faisait guère d’illusions sur les chances de succès d’une telle surveillance. Le Palestinien savait qu’il était dans le collimateur. Il ne commettrait pas la moindre imprudence.
— Et Abdul Zaki ?
— Il est aussi sur table d’écoute. Bien sûr, il est très pro-palestinien, mais il n’y a rien de précis à lui reprocher. En plus, c’est un Koweiti.
Sous-entendu, intouchable.
Devant l’air déçu de Malko, le sheikh montra ses dents en or.
— Il donne un cocktail tout à l’heure. En l’honneur d’un de ses gros clients saoudiens. J’y suis invité, si vous voulez venir…
Malko n’hésita pas. Cela vaudrait mieux que de compter les vagues du golfe Persique. Et il ne lui déplaisait pas de défier le Koweiti sur son propre terrain. Il regarda la pluie qui tombait, fine et glaciale.
— Moi qui croyais mourir de chaleur ! soupira-t-il.
— Oh, il ne fait ce temps-là que deux ou trois jours par an, affirma le sheikh.
Malko cumulait décidément toutes les chances.
C’était toujours la même ambiance des soirées koweities bruyantes et guindées. L’absence d’alcool empêchait les gens de se dégeler. Abdul Zaki avait accueilli Malko comme un vieil ami. Et présenté à des tas d’Arabes en dichdacha qui montraient des dents éblouissantes sous des moustaches d’un noir d’encre. La seule femme présente était la superbe Winnie moulée dans une robe de dentelle marron, achetée – bien entendu – chez Aziz. Qu’elle jetterait probablement le lendemain.
La mettre deux fois, c’était signe de misère…
Noyé dans des flots de Pepsi-Cola, Malko avait essayé de coller à Winnie Zaki. Sans grands résultats. La jeune Danoise était toujours aussi distante. Elle évoluait discrètement entre les invités, s’occupant surtout des boissons, se mêlant très peu aux conversations. Plusieurs fois, Malko avait essayé de la dégeler, mais elle s’était habilement dérobée.
Les invités commençaient à s’en aller et bientôt il devrait se replier aussi, sans avoir rien obtenu de sa visite. À plusieurs reprises, il avait cru discerner dans le regard d’Abdul Zaki une lueur froidement ironique. Comme si le Koweiti était au courant des vicissitudes de Malko. De nouveau, il avait entrepris Malko sur les prodiges des guérilleros palestiniens du Sud-Liban… Avec un aveuglement digne d’éloges.
Malko aperçut soudain Winnie en train d’essayer de soulever un plateau énorme chargé de verres vides. Bousculant un Saoudien sombre, méfiant et majestueux, un des innombrables fils du roi Ibn Seoud, il se précipita, et prit le plateau. Bon gré mal gré, Winnie dut le précéder à la cuisine. Plusieurs servantes en abaya noir évoluaient dans la cuisine entièrement en marbre rose. Malko posa le plateau et fit face à la Danoise. Elle le toisa d’un air moqueur.
— Alors, comment trouvez-vous le Koweit ?
— Charmant, dit Malko. Sauf le temps. Et vous, toujours aussi pro-palestinienne ?
Elle rit.
— Je m’occupe d’eux en leur donnant du travail. Elle prit par le bras une des servantes en abaya et la planta en face de Malko.
— Regardez Fawzia ! Elle mourait de faim dans un camp. Elle gagne deux cents dinars chez moi maintenant.
Malko regardait de tous ses yeux. Sous son abaya noir, Fawzia portait le chemisier de dentelle noire offert par Malko à Amina.
Chapitre X
Les seins épais de la Palestinienne, boudinés dans un soutien-gorge douteux, semblaient prêts à crever la dentelle. Malko n’arrivait pas à détacher les yeux du chemisier. Il n’y avait pas d’erreur possible. Il se souvenait de la remarque du vendeur de chez Aziz c’était le seul de ce modèle.
Comment se trouvait-il sur cette Palestinienne ? Il parvint à détourner son regard et à sourire à Winnie. La jeune Palestinienne s’éloigna dans la cuisine.
— Ce que vous faites est très bien, dit-il. Ce serait encore mieux si les Palestiniens n’avaient pas une fâcheuse tendance à l’assassinat. De préférence de civils innocents.
Les yeux de la Danoise jetèrent un éclair.
— Ce sont des calomnies sionistes ! Les Palestiniens n’assassinent pas. Ils portent des coups à l’impérialisme, partout où ils le peuvent.