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Par contre, la mutabilité de l’avenir parut lui échapper complètement. A moins qu’il ait refusé de s’arrêter à de tels détails. « Dieu prendra soin du monde », déclara-t-il, et il entreprit d’arracher à sa victime tout le savoir qu’il estimait nécessaire de maîtriser.

L’idée que des galions puissent appareiller pour d’autres époques enflammait son imagination. Non que les plus rares des trésors des âges aient excité sa convoitise : les origines de la civilisation, les poèmes perdus de Sappho, le récital du plus grand joueur de gamelan que l’histoire ait jamais connu, des sculptures en tridi susceptibles de rapporter une rançon de roi… Il ne pensait que rubis, esclaves et – surtout – armes à feu. A ses yeux, il était raisonnable que les souverains de l’avenir cherchent à réguler le voyage temporel et les bandits à détrousser les voyageurs.

« Donc, vous espionniez pour le compte de votre maître et ses ennemis ont été surpris de tomber sur nous quand ils se sont introduits dans la salle du trésor, mais, par la grâce de Dieu, nous voilà de nouveau libres, résuma-t-il. Et maintenant ? »

Le soleil était bas dans le ciel. Tamberly avait la gorge asséchée par la soif. Il avait l’impression que son crâne allait se fendre, ses os se pulvériser. La masse floue de Castelar – impitoyable, infatigable – occupait son champ visuel.

« Eh bien, il faut… il faut rejoindre… mes compagnons, coassa Tamberly. Ils sauront vous récompenser et… et vous ramener à la bonne époque.

— Ah bon ? » Sourire carnassier. « Et que puis-je espérer comme récompense ? Je ne suis pas sûr que vous m’ayez dit toute la vérité, Tanaquil. Une seule chose est sûre à mes yeux : le Seigneur a placé cet instrument entre mes mains et je dois en faire usage pour Sa plus grande gloire et pour l’honneur de l’Espagne. »

Tamberly se sentait aussi moulu que si le caballero lui avait asséné des coups de poing plutôt que des questions. « Que comptez-vous faire, alors ? »

Castelar se caressa la barbe. « Premièrement, murmura-t-il en plissant les yeux, oui, premièrement, vous allez m’apprendre à chevaucher cette cavale. » Il se redressa d’un bond. « Debout ! »

Il dut traîner son prisonnier jusqu’au scooter temporel.

Je dois lui mentir, ou alors gagner du temps, ou au pire rester muet et encaisser les coups. Mais Tamberly ne put respecter cette résolution. L’épuisement, la douleur, la soif, la faim eurent raison de lui. Il était incapable de résister.

Castelar ne le quittait pas des yeux, prêt à lui sauter dessus au moindre signe suspect ; et Tamberly n’avait plus la force de ruser.

Il lui décrivit les fonctions du panneau de contrôle. Lui montra comment taper la date souhaitée. La machine enregistrait tous ses déplacements dans le continuum. Oui, ils avaient fait un grand bond dans le passé, au XXXe siècle av. J.C.

« Avant Jésus-Christ, chuchota Castelar. Mais oui, je peux aller voir Notre Seigneur au moment où Il était descendu des cieux et m’agenouiller à Ses pieds…»

S’il avait été d’attaque, Tamberly aurait pu profiter de cet instant d’extase pour lui décocher un atémi. À peine s’il eut la force de chercher à atteindre un activateur. Castelar le jeta à terre d’une pichenette. Il manqua sombrer dans l’inconscience, mais la pointe de l’épée eut vite fait de le ranimer.

Affichage de la carte. Position actuelle : près de la côte du futur État d’Équateur. Obéissant aux instructions de Castelar, Tamberly fit défiler la totalité du globe sur l’écran. Le conquistador s’attarda un moment sur la Méditerranée. « Détruire les païens, murmura-t-il. Reconquérir la Terre sainte. »

Avec l’aide de l’unité cartographique, qui pouvait afficher n’importe quelle partie du monde à l’échelle souhaitée, le système de pilotage spatial était d’une simplicité enfantine. Du moins si on se contentait de coordonnées approximatives. Castelar déclara avec sagesse qu’il attendrait d’avoir un peu d’expérience avant de tenter de s’introduire dans une salle du trésor. Quant au pilotage temporel, il nécessitait la maîtrise de la numérotation postarabe, mais l’hidalgo ne mit que quelques minutes à l’acquérir.

Une telle maniabilité allait de soi. Un chrononaute pouvait être amené à quitter précipitamment tel point de l’espace-temps. Paradoxalement, il était bien plus délicat d’apprendre le pilotage aérien en antigravité. Castelar se fit décrire les contrôles puis enfourcha le scooter pour un vol d’essai, ordonnant à Tamberly de prendre place derrière lui. « Si je tombe, nous tomberons tous les deux », menaça-t-il.

Tamberly aurait préféré ce genre de conclusion. Lui-même faillit s’abîmer dans le vide peu après le décollage, mais Castelar ne tarda pas à prendre de l’assurance. Il tenta un petit saut dans le temps, reculant d’une demi-journée. Voilà que le soleil était haut dans le ciel et que le scanner lui montrait en contrebas… un moine et un caballero. Choqué, il s’empressa de revenir à son moment de départ. Puis il testa les commandes spatiales, se retrouvant quelques mètres au-dessus du sol. Au bout d’une minute de surplace, il procéda à un atterrissage un peu brusque.

Ils descendirent tous les deux. « Que le Seigneur soit loué ! s’écria Castelar. Ses prodiges et Sa miséricorde sont infinis.

— Je vous en supplie, fit Tamberly. Pouvons-nous aller au bord de l’eau ? Je meurs de soif.

— Vous pouvez boire. Mais il n’y a ici ni feu ni nourriture. Nous devons nous trouver un refuge plus hospitalier.

— Où cela ? croassa Tamberly.

— J’y ai longuement réfléchi. Il n’est pas question que j’aille voir votre souverain, ce serait me livrer à lui pieds et poings liés. Et il me confisquerait cette machine qui peut rendre de grands services à la chrétienté. Devons-nous retourner à Caxamalca lors de cette fameuse nuit ? Pas davantage. Nous risquerions de tomber sur les pillards. Et dans le cas contraire, avec tout le respect que je dois à mon capitaine Pizarro… j’aurais des difficultés à lui expliquer la situation. Mais si je reviens vers lui porteur d’armes redoutables, il écoutera mon conseil. »

En dépit de la brume qui lui obscurcissait l’esprit, Tamberly se rappela que les Indiens péruviens n’étaient pas complètement soumis lorsque les conquistadores avaient commencé à s’entre-déchirer.

« Vous me dites être originaire d’une période située deux mille ans après Notre Seigneur, poursuivit Castelar. J’y trouverai sans doute un havre quelque temps. Vous saurez m’y guider. Et les prodiges que j’y rencontrerai ne seront point trop étourdissants – cette machine sera inventée longtemps après, à ce que vous dites. » Il ignorait ce qui l’attendait, songea Tamberly. Automobiles, avions, gratte-ciel, télévision… Mais il ne se défaisait pas pour autant de sa méfiance. « Cependant, je préférerais aborder cet âge dans une contrée isolée, un havre où je ne risquerais aucune mauvaise surprise et à partir duquel je pourrais explorer votre monde. Oui, et si nous pouvions trouver là-bas une tierce personne, quelqu’un dont je pourrais comparer la parole à la vôtre…» Soudain, menaçant : « Il suffit. Vous avez compris mes vœux. Je vous écoute. »

A l’ouest, le soleil déversait sa lumière dorée. Les oiseaux volaient vers leurs nids au sein du feuillage vert foncé. Le fleuve étincelant coulait, coulait… Castelar n’hésita pas à recourir à la force. Il était expert en la matière.