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Le froid lui arracha un frisson. Le ciel se couvrait ; aucune étoile n’était visible à travers la fenêtre, au-dessus du canapé. Dans la salle de bains, il trébucha sur un seau empli de couches. Puis, soudain, il sut qu’on l’appelait dans la maison.

Il retourna dans la chambre. Dépassant du petit placard au pied du lit, du côté de Kaye, le berceau du bébé semblait se détacher dans les ténèbres.

Ses yeux commençaient à accommoder, mais ce n’était pas avec eux qu’il percevait le berceau. Il renifla ; son nez coulait. Il renifla une nouvelle fois, se pencha sur le berceau, puis recula vivement et éternua à grand bruit.

— Qu’y a-t-il ? demanda Kaye en se redressant. Mitch ?

— Je ne sais pas.

— Tu m’as appelée ?

— Non.

— C’est Stella, alors ?

— Elle est tranquille. Je crois qu’elle dort.

— Allume la lumière.

Cela semblait raisonnable. Il s’exécuta. Stella le regardait depuis son berceau, les yeux grands ouverts, les mains formant des petits poings serrés. Elle avait les lèvres entrouvertes, ce qui la faisait ressembler à Marilyn Monroe bébé faisant la moue, mais elle était silencieuse.

Kaye rampa jusqu’au pied du lit et considéra leur fille.

Stella émit un petit roucoulement. Elle les suivait des yeux avec attention, les perdant parfois et se mettant à loucher, comme elle en avait coutume. Cependant, elle les voyait de toute évidence, et elle n’était pas malheureuse.

— Elle se sent seule, dit Kaye. Je l’ai nourrie il y a une heure.

— Elle aurait donc des pouvoirs psi ? interrogea Mitch en s’étirant. Elle nous a lancé un appel mental ?

Il renifla une nouvelle fois, éternua une nouvelle fois. La fenêtre était fermée.

— Qu’est-ce qu’il y a dans cette pièce ? lança-t-il.

Kaye s’accroupit près du berceau et prit Stella dans ses bras. Elle la serra contre elle puis leva les yeux vers Mitch, les lèvres retroussées dans une grimace quasi animale. Elle éternua à son tour.

Nouveau roucoulement de Stella.

— Je crois qu’elle a la colique. Sens-la.

Mitch lui prit Stella des mains. Elle gigota et leva les yeux vers lui, le front plissé. Mitch aurait juré qu’elle devenait lumineuse et que quelqu’un l’appelait, dans la pièce ou dehors. Il commençait à paniquer.

— Peut-être qu’elle sort tout droit de Star Trek, suggéra-t-il.

Il la renifla et retroussa les lèvres.

— C’est ça, dit Kaye d’un air sceptique. Elle n’a pas de pouvoirs psi.

Elle reprit le bébé, qui agitait les poings, ravi de toute cette agitation, et l’emporta dans la cuisine.

— Les êtres humains ne sont pas censés en avoir, mais les scientifiques ont prouvé le contraire il y a quelques années.

— De quoi parles-tu ? demanda Mitch.

— Des organes voméronasaux actifs. À la base de la cavité nasale. Ils traitent certaines molécules… les vomérophérines. Un peu comme des phéromones. Je pense que les nôtres sont devenus plus performants. (Elle cala le bébé sur sa hanche.) Quand tu as retroussé les lèvres…

— Tu l’as fait, toi aussi, dit Mitch, sur la défensive.

— C’était une réaction voméronasale. Notre chat faisait ça quand il sentait quelque chose d’intéressant – une souris morte ou l’aisselle de ma mère.

Kaye souleva le bébé, qui poussa un petit cri de plaisir, et renifla sa tête, son cou, son ventre. Puis elle s’attarda derrière ses oreilles.

— Sens ça, dit-elle.

Mitch s’exécuta, recula vivement, étouffa un éternuement. Il palpa délicatement Stella derrière les oreilles. Elle se raidit et manifesta sa contrariété par des petits rots annonçant les pleurs.

— Non, dit-elle distinctement. Non.

Kaye défit son soutien-gorge et lui donna la tétée avant qu’elle ne s’énerve pour de bon.

Mitch retira son index. L’extrémité en était légèrement huileuse, comme s’il venait de toucher un adolescent plutôt qu’un bébé. Mais cette substance n’était pas une sécrétion ordinaire. Elle était un peu cireuse, un peu grenue, et avait une odeur musquée.

— Des phéromones. Ou plutôt… Comment as-tu dit ?

— Des vomérophérines. Des attracteurs modèle bébé. Nous avons beaucoup à apprendre, conclut Kaye d’une voix ensommeillée tout en ramenant Stella dans la chambre pour la coucher auprès d’elle. Tu t’es réveillé le premier, murmura-t-elle. Tu as toujours eu un excellent odorat. Bonne nuit.

Mitch se palpa derrière les oreilles et flaira son index. Soudain, il se remit à éternuer, et il resta planté au pied du lit, complètement réveillé, avec des fourmillements dans le nez et le palais.

Une heure à peine après s’être rendormi, il se réveilla une nouvelle fois, sauta à bas du lit et enfila son pantalon. Il faisait encore nuit. Il secoua le pied de Kaye.

— Des camions, lui dit-il.

Il venait de boutonner sa chemise lorsqu’on frappa à la porte. Kaye poussa Stella au milieu du lit et enfila en hâte un pantalon et un sweat-shirt.

Mitch ouvrit la porte sans attendre d’avoir boutonné ses manches. Jack se tenait devant lui, les lèvres figées dans un pli lugubre, les yeux presque dissimulés par son chapeau à large bord.

— Sue est en travail, dit-il. Je dois retourner à la clinique.

— On arrive tout de suite. Galbreath est là ?

— Elle ne viendra pas. Vous devriez partir tout de suite. Le Conseil a voté hier soir, pendant que j’étais avec Sue.

— Que…, commença Mitch, et il vit les trois pick-up et les sept hommes dans la cour.

— Ils ont décidé que les bébés étaient malades, expliqua Jack d’un air misérable. Ils veulent qu’ils soient soignés par le gouvernement.

— Ils veulent récupérer leurs emplois.

— Ils refusent de me parler. (Jack porta un index épais à son masque.) Je les ai convaincus de vous laisser partir. Je ne peux pas vous accompagner, mais ces hommes vont vous conduire à une piste menant à l’autoroute. (Il leva les mains en signe d’impuissance.) Sue voulait que Kaye soit auprès d’elle. J’aimerais bien, moi aussi. Mais je dois y aller.

— Merci.

Kaye arriva derrière Mitch, portant Stella dans le siège pour bébé.

— Je suis prête. Je veux aller voir Sue.

— Non, dit Jack. C’est encore cette vieille Cayuse. On aurait dû l’envoyer sur la côte.

— Il n’y a pas que ça, intervint Mitch.

— Sue a besoin de moi ! s’écria Kaye.

— Ils ne vous laisseront pas aller jusqu’à la clinique, lui dit Jack. Trop de gens. Ils ont écouté les infos – plein de Mexicains morts près de San Diego. Ils ne veulent rien savoir. Leurs esprits sont comme pétrifiés. Ensuite, ils s’en prendront probablement à nous.

Kaye s’essuya les yeux, envahie par la colère et la frustration.

— Dites-lui que nous l’aimons. Merci pour tout, Jack. Dites-le-lui.

— Oui. Il faut que j’y aille.

Les sept hommes s’écartèrent pour laisser Jack regagner son pick-up. Il démarra et fila dans un nuage de poussière et de gravillons.

— La Toyota est en meilleur état, dit Mitch.

Il chargea leurs deux valises dans le coffre sous l’œil attentif des sept hommes. Ceux-ci échangeaient des murmures, et ils s’écartèrent lorsque Kaye installa Stella dans la voiture, attachant le siège pour bébé à l’arrière. Certains d’entre eux évitaient de croiser son regard et faisaient des signes avec les mains. Elle s’assit à côté du bébé.